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Mais il ne paraît pas que son talent oratoire, non plus que son talent poétique, fût beaucoup au-dessus du médiocre. On sait seulement que c'était un homme de goût et un homme d'esprit, et qui s'entendait à manier la plaisanterie. La prose de ses discours, comme les vers de ses tragédies, manquait absolument de nerf, sinon de douceur : c'est l'expression même dont se sert Cicéron.

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Il reste un curieux passage d'un discours du chevalier romain Caïus Titius, où l'on voit avec quel cynisme certains juges de ce temps-là se moquaient et des bienséances et de leurs fonctions mêmes. Ils passaient la matinée à faire la débauche; ils arrivaient au comice la tête lourde, les yeux appesantis; ils n'écoutaient pas un mot ni de la cause ni des dépositions testimoniales; et, quand il fallait donner son avis, c'étaient des réflexions philosophiques du bon genre: Qu'ai-je affaire avec ces impertinents? Que n'allons-nous plutôt boire le vin grec mêlé de miel, manger la grive bien grasse, un bon poisson, un loup du vrai cru, pêché entre les deux ponts?» Titius était poëte, comme César Strabon : il avait fait des tragédies; mais ses vers ne valaient pas sa prose, qui est vive et piquante. On dit qu'il ne savait pas le grec; mais peut-être se donnait-il ce ton, à titre d'ennemi des choses nouvelles et des nouvelles mœurs; et je ne jurerais pas que son ignorance littéraire fût plus réelle que celle d'Antoine ou de Crassus.

Il y avait, même hors de Rome, des orateurs dont quelquesuns méritaient une certaine estime. Tel était, d'après Cicéron, T. Bétucius Barrus, d'Asculum. On avait de lui plusieurs discours. Il était venu une fois à Rome, pour accuser Cépion. Le discours qu'il avait prononcé était célèbre, et Cicéron dit que ce discours n'était pas sans qualités.

Hortensius.

Tous les noms que nous venons de citer sont assez obscurs; il n'en est pas de même de celui d'Hortensius. Malheureusement pour nous, Hortensius n'est qu'un nom fameux. Il ne reste à peu près rien de ses discours; et l'on ne trouvera ici autre chose que les honorables témoignages de Cicéron sur

l'homme qui avait été son précurseur immédiat, et dont il fut d'abord l'émule, puis le vainqueur.

Quintus Hortensius Ortalus naquit en l'an 115 avant notre ère, et il mourut en l'an 51, à l'âge de soixante-quatre ans. Il n'avait guère que dix-neuf ans quand il débuta dans la carrière oratoire : c'était sous le consulat de Crassus. Il défendit, dans le sénat, la cause de l'Afrique; et ce premier discours eut un plein succès. D'autres discours placèrent bientôt Hortensius à un rang très-élevé parmi les orateurs vivants. Après la mort de Crassus et d'Antoine, ses rivaux eux-mêmes ne contestaient point sa supériorité. Cicéron seul devait éclipser cette grande renommée. Cicéron rappelle, dans le Brutus (chapitre XCII), les qualités par lesquelles Hortensius avait conquis cette royauté. Il montre Hortensius à son apogée oratoire; il nous apprend qu'Hortensius fut le modèle que lui-même se proposa d'abord : « Deux orateurs excellaient en ce temps-là, Cotta et Hortensius; et leur talent allumait en moi une vive émulation. Le premier, doux et coulant, exprimait avec aisance et facilité sa pensée, et il la revêtait des formes les plus naturelles; l'autre, orné et plein de feu, n'était pas tel que tu l'as connu, Brutus, déjà sur son déclin : il avait un bien autre mouvement et de style et d'action. Il me sembla donc que c'était surtout avec Hortensius qu'il me fallait lutter; car c'était de lui que me rapprochaient le plus et mon âge et la chaleur qui m'animait en parlant. J'avais aussi remarqué que, dans les causes qu'ils soutenaient ensemble, comme celle de M. Canuléius et celle du consulaire Cn. Dolabella, Hortensius remplissait toujours le premier rôle, quoique Cotta eût été pris comme principal défenseur. En effet, une grande réunion d'hommes et le fracas du barreau exigent un orateur ardent et passionné, une action forte, une voix sonore. »

D

Hortensius était consul désigné, quand il prit en main la défense du préteur Verrès, accusé par Cicéron. « C'est la lutte la plus vive, dit Cicéron, que j'aie jamais eue avec lui. » Les deux orateurs étaient liés alors d'une amitié étroite; mais l'intérêt de leurs clients les emporta l'un contre l'autre à ces petites méchancetés qu'entre avocats on ne se refuse

guère, et qui n'empêchent pas de se retrouver bons amis, une fois la cause plaidée. Ainsi, Hortensius ayant dit, à propos de certaines observations de son adversaire, dont le sens lui paraissait équivoque : « Je ne sais pas deviner les énigmes. Pourtant, répondit Cicéron, tu as le sphinx chez toi. » Hortensius avait reçu en effet de Verrès un sphinx d'ivoire, objet d'art fort précieux, et un des produits des déprédations de l'accusé. Ce n'était même, dit-on, que par l'appât de ce salaire qu'Hortensius, faisant taire ses répugnances, avait consenti à prêter à Verrès l'appui de son talent. Cicéron et Hortensius publièrent leurs discours; mais le Verrines de Cicéron firent grand tort aux Verrines d'Hortensius, qui n'étaient pas des chefs-d'œuvre. Hortensius commençait déjà à déchoir; et l'âge ne fit qu'ajouter chaque jour à sa décadence. Il continua de parler, au sénat, au Forum, dans les tribunaux, jusqu'à la fin de sa vie; mais, longtemps avant sa mort, il n'était déjà plus qu'une ombre de lui-même. Cicéron, par déférence pour son aîné, affectait toujours de proclamer Hortensius le premier des orateurs; mais l'illusion n'était plus possible pour personne, pas même pour Hortensius. Hortensius proclamait à son tour la supériorité de Cicéron. Cet aveu lui coûtait, il faut bien le dire; et il lui coûtait d'autant plus que ce n'était pas simplement un témoignage d'affection ou un acte de déférence.

Cicéron explique avec quelque détail le caractère du talent d'Hortensius; et la conclusion qui sort manifestement de ses paroles, c'est qu'Hortensius eut surtout les qualités extérieures de l'éloquence, et que les qualités solides lui ont trop souvent manqué; je dis celles qui font vivre à jamais les œuvres oratoires, et qui se passent du débit, de la voix et de l'action. Hortensius fut un parleur consommé : ce n'était ni un penseur profond ni un grand écrivain. « Si nous cherchons, dit Cicéron dans le Brutus (chapitre XCV), pourquoi l'éloquence d'Hortensius a jeté plus d'éclat quand il était jeune que plus tard, nous en trouverons deux causes principales. D'abord, c'était une éloquence du genre asiatique; et ce genre sied mieux à la jeunesse qu'à la vieil

lesse.... Hortensius enleva les suffrages tant qu'il fut jeune. Il avait, comme Ménéclès, une abondance de pensées vives et délicates; mais, chez lui, comme chez l'orateur grec, ces pensées étaient quelquefois plus agréables et fleuries que nécessaires ou même utiles. Son style était animé et impétueux, en même temps que travaillé et poli. Tout cela ne contentait guère les vieillards. Souvent je voyais Philippe rire de pitié, ou même s'irriter et maudire l'orateur; mais les jeunes gens admiraient, et la multitude était émue. Hortensius, dans sa jeunesse, excellait donc, au jugement du vulgaire, et il occupait le premier rang sans conteste. Ce genre d'éloquence, il est vrai, n'avait rien de bien imposant; mais il paraissait du moins approprié à l'âge d'Hortensius: d'ailleurs, on y voyait briller une certaine beauté de génie. Cette beauté, perfectionnée par l'exercice, le tour savant et heureux des périodes, voilà ce qui excitait les transports d'admiration. Quand les honneurs, quand la dignité de l'âge mûr exigèrent quelque chose de plus grave, ce fut toujours le même orateur, et ce n'étaient plus les mêmes convenances. Hortensius s'exerçant beaucoup moins, et sa passion pour le travail, jadis si vive, s'étant refroidie, il lui restait son ancienne abondance de pensées fines et ingénieuses, mais non plus revêtue, comme autrefois, de la parure d'un style éblouissant. C'est pour cela sans doute, mon cher Brutus, qu'il ne t'a pas plu autant qu'il l'aurait fait, si tu avais pu l'entendre quand il était enflammé de toute son ardeur, quand il florissait dans tout l'éclat de son talent. »

Hortensia.

Hortensius avait un fils indigne de lui, et qui ne se signala que par ses folies et ses débauches. Mais quelque chose du génie oratoire du père devait revivre dans Quinta Hortensia, la fille. Au temps du triumvirat d'Antoine, de Lépide et d'Octave, les dames romaines, frappées d'un énorme tribut, n'avaient pas pu trouver un orateur qui osât réclamer pour elles devant le tribunal sanguinaire des tyrans. Hortensia eut le courage qui manquait à tous les hommes. Elle prit en main la cause; elle rappela les trium

virs à l'équité, et elle ne parla pas en vain. Grâce à son éloquence, les matrones furent déchargées de la somme presque entière qu'on exigeait d'elles. Le discours semble avoir été digne de ce triomphe. « On lit, dit Quintilien, le discours prononcé par Quinta Hortensia, fille de Quintus, devant les triumyirs; et on le lit non. pas uniquement par honneur pour le sexe. »

CHAPITRE XVI.

CICERON.

Naissance de Cicéron; ses études.

Cicéron orateur judiciaire.

Plaidoyers de Cicéron. - Pathétique de Cicéron.-Cicéron orateur politique. Style oratoire de Cicéron. Premiers discours politiques de Cicéron. Les Catilinaires. Autres discours politiques

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Ouvrages de Cicéron sur l'art oratoire.
Ouvrages philosophiques de Cicéron.
Cicéron poëte.

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Lettres de Cicéron. - Dernier triomphe

Naissance de Cicéron; ses études.

Il est difficile de parler brièvement de Cicéron. Les bornes étroites de cet ouvrage nous permettront à peine de donner une idée sommaire des immenses travaux qui remplirent sa vie, et d'indiquer ses principaux titres à l'estime et à l'admiration de la postérité. Mais Cicéron peut se passer d'un panégyrique; et dire à peu près ce qu'il a fait, c'est assez pour faire comprendre, sinon tout ce que fut son génie, au moins que ce génie fut un des plus puissants et des plus extraordinaires qu'il y ait eu au monde.

Marcus Tullius Cicéro naquit dans une campagne voisine d'Arpinum, le 3 janvier de l'an 647 de Rome, cent sept ans avant notre ère. Sa famille habitait de tout temps Arpinum; mais les habitants de ce municipe avaient le droit de cité romaine, et ils votaient, dans les comices, avec la tribu

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