Immagini della pagina
PDF
ePub

<< La sensibilité est un don commun à Tite Live et à Virgile. Ils se ressemblent tous deux par cette faculté supérieure et charmante, par laquelle le poëte et l'historien s'aiment moins que les créations de leur esprit, et vivent, pour ainsi dire, de la vie qu'ils leur ont donnée. Virgile souffre pour Didon délaissée, et porte dans son sein les ennuis de la veuve d'Hector; il pleure la mort du jeune guerrier dont un javelot a percé la blanche poitrine. C'est trop peu : ce feu de tendresse se répand sur tout ce qu'il voit, sur tout ce qu'il décrit. Il s'intéresse à l'herbe naissante, qui ose se confier à l'air attiédi par le printemps; il est tour à tour la génisse exhalant son âme innocente auprès de la crèche pleine, l'oiseau à qui les airs mêmes sont funestes et qui meurt au sein de la nue, le taureau vaincu qui aiguise ses cornes contre les chênes pour de nouveaux combats. Comme Virgile, Tite Live est tour à tour chacun des personnages qu'il aime; il est Rome elle-même dans toutes ses fortunes, Rome que le poëte appelle la plus belle des choses, rerum pulcherrima, par le même enthousiasme tendre qui fait dire à l'historien, dans son éloquente préface, que l'empire romain est le plus grand après celui des dieux, maximum secundum deorum opes imperium.

« La sensibilité de Tite Live a la plus forte part dans cette connaissance du cœur humain dont le loue le moins favorable de ses juges, le savant Niebuhr. C'est même par les passions dont son cœur lui a donné le secret qu'il arrive à connaître les intérêts, et qu'il pénètre dans les complications des affaires. D'autres écrivains, qui ont mérité le même éloge, n'ont porté dans le cœur humain que la lumière de la raison. Leur propre cœur est resté indifférent, soit qu'ils l'eussent fait taire pour ne pas troubler leur jugement, soit plutôt que l'expérience l'eût desséché. Aussi leur science instruit, mais ne rend pas meilleur. Ils fournissent des expédients et ôtent des scrupules à ceux qui, nés avec de l'ambition, cherchent dans leurs études des moyens d'empire sur les hommes. Tite Live est l'historien des âmes généreuses il apprend à ceux qui ne sont pas faits pour commander comment on honore l'obéissance. Sa science

n'instruit guère moins, mais elle touche, et donne du res

sort.

« On en dirait autant de Virgile, ce maître si profond et si doux dans la science de la vie. Plus je compare ces deux hommes, plus je les trouve frères. Virgile pourtant est le premier, parce que son cœur, le plus tendre de l'antiquité, a ressenti encore plus profondément le contre-coup des choses humaines. On voudrait croire qu'ils se sont connus et aimés; que, dans ce palais d'Auguste qui leur était si hospitalier, ils se sont entretenus de Rome, de sa gloire passée, de ses grands hommes, et que, sans médire d'Auguste, ils se sont quelquefois attendris pour Pompée et exaltés pour Caton. »

[blocks in formation]

En même temps que Tite Live, florissait Trogue Pompée, infiniment moins célèbre comme écrivain, mais historien estimé, et, autant qu'on peut croire, vraiment digne d'estime. Ce Trogus Pompéius, ou Pompéius Trogus, était d'origine gauloise, et même, dit-on, né dans la Gaule; mais sa famille jouissait du droit de cité romaine, que lui avait fait conférer le grand Pompée. C'est à Rome probablement que Trogue Pompée vécut, et qu'il composa son histoire. Cette histoire, en quarante-quatre livres, était intitulée Philippiques. C'était le récit de la fondation, de l'agrandissement et de la chute de l'empire macédonien, depuis Philippe, père d'Alexandre, jusqu'à la réduction de la Macédoine en province romaine. L'auteur faisait entrer dans son cadre des notices géographiques et historiques sur les diverses nations qui se trouvèrent successivement en lutte avec les Macédo

niens. Les Philippiques étaient donc une histoire universelle, sinon embrassant tous les temps, du moins comprenant une période considérable de la vie des principaux peuples connus, et formant suite aux récits d'Hérodote, de Thucydide et de Xénophon. Trogue Pompée était le premier écrivain latin qui eût conçu le plan d'une composition de ce genre. Il n'y avait eu à Rome, avant lui, que des historiens de Rome, ou même simplement des narrateurs d'épisodes historiques et des auteurs de mémoires. Un autre point par où Trogue Pompée se distinguait de presque tous ses devanciers, c'est qu'il proscrivait les harangues, et qu'on en voyait moins encore dans ses récits que dans ceux de César même; et il y avait bien quelque mérite à entreprendre de réduire l'histoire à ce qui est proprement son domaine, et de la séparer absolument de la rhétorique. L'ouvrage de Trogue Pompée n'existe plus. Les fragments insignifiants qu'on en cite ne peuvent pas même donner une idée du style de l'écrivain. Mais l'histoire que nous avons sous le nom de Justin n'est qu'un abrégé de celle de Trogue Pompée; et cet abrégé est loin d'être un livre sans valeur. Nul doute qu'il ne faille faire honneur à Trogue Pompée lui-même de toutes les choses remarquables qu'on y admire avec juste raison. Mais nous devons dire aussi que la plupart des défauts qu'on y signale ne sauraient davantage être imputés à l'abréviateur. Il est difficile de se persuader que Justin, par exemple, eût de son chef altéré la chronologie de l'ouvrage original, et introduit dans le récit plus d'un fait controuvé, ou qui ne s'appuie que d'autorités suspectes. Si la critique et la science de Trogue Pompée avaient été l'exactitude même, nous n'aurions pas beaucoup d'inadvertances ou d'erreurs à reprocher à Justin.

Fénestella, etc.

On a publié, sous le nom de Lucius Fénestella, un ouvrage en deux livres sur les sacerdoces et les magistratures des Romains. Cet ouvrage est d'un faussaire italien du quatorzième siècle. Il ne reste rien, ou à peu près, des écrits de Fénestella. On sait seulement que cet auteur avait composé des

Annales, c'est-à-dire une histoire générale de Rome. Fénestella vivait à la même époque que Tite Live, et on place sa mort vers l'an 20 après J. C. Les autres historiens du siècle d'Auguste sont à peine connus de nom, à l'exception de Crémutius Cordus, qui périt, sous Tibère, pour avoir écrit avec trop de vérité et de franchise, et dont les livres furent brûlés par la main du bourreau. A quoi bon nommer Aufidius Bassus, ou Labiénus, surnommé Rabiénus?

Auguste.

Il faut bien mentionner pourtant l'empereur Auguste. Ce n'est pas qu'Auguste ait été précisément, ni voulu être, un historien dans toute l'acception du terme; mais il avait rédigé un sommaire de ses propres actions, une sorte de testament politique, dont nous possédons quelques restes précieux. Cet écrit fut remis au sénat après sa mort. On le grava sur des tables de bronze, selon la volonté du testateur, et on le déposa dans le mausolée. Les villes qui élevaient des temples à la divinité d'Auguste ne manquèrent pas de reproduire un pareil monument. C'est dans les ruines du temple d'Auguste à Ancyre que des voyageurs en ont retrouvé les pages plus ou moins mutilées. On avait gravé le texte original avec une traduction grecque en regard il subsiste des passages importants et du texte latin et de la copie grecque. Ni ce latin ni ce grec n'ont beaucoup de mérite littéraire; mais la valeur historique en est considérable. Auguste n'a fait que des têtes de chapitres. S'il l'eût voulu, il était en état de composer le livre; et ce livre serait tout à la fois et une autobiographie intéressante, et un écrit digne de la grande époque classique. Le style d'Auguste, en vers comme en prose, ne manquait ni de naturel ni d'élégance: sa fameuse épigramme et quelques lettres sont là pour le dire.

[blocks in formation]

La mort de l'éloquence politique fut, à Rome, la mort de presque toute éloquence. Il semble que rien n'empêchait les orateurs judiciaires, même sous Auguste, même dans le monde pacifié, de produire des œuvres comme la Milonienne, ou comme le discours pour Archias. Mais ces œuvres ne naquirent point. Le génie perdit sa fécondité en perdant la liberté de la pensée et de la parole. Ceux qui parlaient dans les tribunaux ou dans le sénat purent être admirés par les contemporains comme des prodiges, et même comme des passeCicéron la postérité n'a pas ratifié ces jugements, et il n'y a pas un seul de ces prétendus génies dont elle se souvienne.

:

Je ne dis rien des Messala, des Pollion, de ces hommes d'un autre âge, qui conservèrent d'abord quelques-unes des traditions antiques. Leurs successeurs furent indignes d'eux; et eux-mêmes n'étaient guère dignes des Hortensius et des Cicéron. Mais le temps nous a dispensés de lire les discours de ces soi-disant orateurs; il nous a même fait une autre grâce: il a anéanti, avec leurs écrits, la plupart de leurs noms.

Le genre démonstratif ne périt pas; bien au contraire! mais quels orateurs et quelle éloquence! L'institution des lectures publiques favorisa outre mesure le développement d'une foule de talents faux et vides; le panégyrique fleurit dans toute sa gloire, c'est-à-dire en pleine adulation et en plein mensonge. Ces discours d'apparat n'avaient pas besoin d'être des chefs-d'œuvre pour plaire aux intéressés; et, quand l'auteur s'était concilié quelque protecteur puissant, et qu'il avait échangé sa banale monnaie contre des espèces un peu

« IndietroContinua »