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CHAPITRE XXV.

L'ÉPOPÉE DEPUIS ENNIUS JUSQU'A VIRGILE.

Caractères de la véritable épopée.

Successeurs épiques d'Ennius.

Contemporains de César. — Contemporains d'Auguste.

Caractères de la véritable épopée.

On se rappelle ce qu'avait été l'épopée aux mains de Névius et d'Ennius. Le chantre des guerres Puniques avait fait de l'histoire en vers; l'auteur des Annales et du Scipion, de même. Leurs poëmes, à proprement parler, n'étaient qu'à moitié ce que nous entendons par le mot épopée. C'étaient des récits épiques; c'était le ton et le style de l'épopée; c'en était quelquefois le merveilleux; mais on y eût cherché en vain une unité véritable : les parties se suivaient, mais elles n'étaient pas solidaires les unes des autres; rien n'était ordonné ni construit, sinon dans les détails; il n'y avait enfin ni plan général ni ensemble. Ce n'est pas ainsi qu'Homère avait conçu ses ouvrages. Il n'avait songé ni à raconter la guerre de Troie depuis ses origines, ni à retracer la vie entière du fils de Laërte. Un épisode de la guerre de Troie, la colère d'Achille et ses conséquences, voilà toute l'Iliade; le retour d'Ulysse de Troie à Ithaque, voilà toute l'Odyssée. Une épopée est une histoire; mais c'est quelque chose de plus encore. C'est le tableau d'une époque, mais d'une époque qui se résume ou dans un fait, ou dans un homme, ou dans une idée. Le poëte, celui qui crée et qui invente, n'est point tenu à nous donner le passé tel qu'il a été réellement, et à se réduire au rôle de chroniqueur. Il raconte les choses telles qu'elles ont dû, ou telles qu'elles ont pu se passer; il met en lumière les plus secrètes pensées des hommes; il dispose de la nature; il soumet à ses volontés les puissances divines elles-mêmes. Ce n'est pas tout d'avoir le poëte, il faut le sujet. Toute époque quelconque peut être plus ou moins ma

tière à chants épiques : toute époque quelconque n'est pas matière à épopée. Il faut ou le fait mémorable qui la caractérise, ou l'homme en qui, pour ainsi dire, elle s'incarne, ou l'idée qui est son originalité et sa grandeur. Névius et Ennius avaient le talent; ils n'ont manqué ni d'inspiration ni de verve donnez-leur un sujet bien circonscrit; faites qu'ils nous peignent une époque placée dans un majestueux lointain, et qui paraisse, à cette distance, toute pleine de merveilles; faites qu'ils aient un vrai sujet d'épopée : je ne dis pas qu'ils seront des Homères, mais nous ne contesterons plus à leurs poëmes un titre que les anciens attribuaient en général à la narration versifiée. Névius et Ennius sont des épiques à la manière de la plupart des héritiers d'Homère, de ceux qui prenaient pour sujet l'histoire entière des exploits d'un héros, toute la vie d'Hercule, par exemple, ou de Thésée.

Successeurs épiques d'Ennius.

Il n'est guère douteux que Névius et Ennius n'aient eu des émules parmi leurs contemporains, et qu'après eux, plus d'un poëte n'ait essayé de marcher sur leurs traces. Mais nous ne pouvons citer avec certitude aucun nom de poëte épique, aucun titre d'épopée, ni dans leur siècle, ni dans le siècle qui les suivit. Nous pourrions du moins nommer quelques hommes qui travaillèrent à perfectionner le style et la versification de l'épopée. Ce sont ces traducteurs d'Homère qui reprirent l'œuvre autrefois tentée par le vieux Livius Andronicus. Ainsi ce Lévius dont les vers sont cités fréquemment sous le nom du poëte de Tarente.

Contemporains de César.

Même en descendant jusqu'au temps où vivait César, que trouvons-nous? tout d'abord deux traducteurs: Matius, ce même Matius que nous connaissons déjà, qui avait mis l'Iliade en vers ïambiques; Varron de l'Atax, que nous connaissons aussi, qui avait mis en latin les Argonautiques d'Apollonius de Rhodes. Il est vrai que Varron essaya de l'épopée originale: il écrivit un poëme sur la guerre de César contre les Séquanais. Nous ignorons ce qu'était

précisément ce poëme. Il est assez probable que Varron, imitateur d'Homère, ou plutôt d'Ennius, ne valait pas beaucoup mieux que Varron imitateur de Lucilius, ou que Varron dissertant en vers sur les marées. Hostius chanta la guerre d'Istrie, avec quelque talent, dit-on; et quelques-uns veulent que Virgile fît cas de cet ouvrage, et qu'il en ait même tiré parti.

Contemporains d'Auguste.

Un seul des contemporains d'Auguste et de Virgile semble avoir excellé dans la narration épique. C'est Lucius Varius. Varius avait raconté en beaux vers les conquêtes d'Auguste et d'Agrippa. Il ne reste rien de ces vers, non plus que du poëme sur la mort de César, qu'on attribue au même auteur. Horace disait de Varius : « Il mène l'épopée comme personne. » Horace caractérise le poëte par l'épithète d'impétueux, et semble dire, par conséquent, que son style était plein de feu et d'énergie. Les anciens nomment avec quelque distinction Titus Valgius Rufus. Velléius Paterculus place Caïus Rabirius à côté de Virgile. Ce jugement ne faisait peut-être pas beaucoup d'honneur au goût de Velléius; mais Rabirius avait donné des preuves de talent, dans son poëme sur la bataille d'Actium. Je dois avouer pourtant que certains vers retrouvés dans les papyrus d'Herculanum, et que plusieurs critiques reconnaissent pour des vers du poëme de Rabirius, sont d'une grand médiocrité, et qu'ils ne rappellent guère le style ni l'harmonie de l'Enéide. Parlerons-nous de Marcus Furius Bibaculus, de ce poëte détestable dont Horace s'est moqué, et qui était l'exagération et l'enflure mêmes? Parlerons-nous d'Aulus Furius d'Antium et de ses Annales? Parlerons-nous d'Anser, le parasite d'Antoine, le détracteur de Virgile? A ce compte, il nous faudrait ne point passer sous silence Bavius et Mévius, ces deux ennemis de Virgile, qu'un vers de Virgile a couverts d'un immortel ridicule. Cornélius Sévérus était un autre homme. Ses vers sur la mort de Cicéron prouvent qu'il avait du cœur et du talent; mais il n'est point de ceux que Virgile a connus. Bien loin d'avoir rien fourni à Virgile, c'est lui qui a dû en partie à Virgile ce qu'il a été.

Son poëme sur la guerre de Sicile est postérieur à la publication de l'Énéide; son autre poëme, celui dont on a admiré ailleurs les magnifiques restes, était aussi une œuvre que Virgile n'avait pu lire. Quoi qu'il en soit, nous transcrirons ici, pour terminer ce chapitre, le jugement de Quintilien sur Cornélius Sévérus : « Cornélius Sévérus est plutôt un bon versificateur qu'un bon poëte. Pourtant, s'il eût écrit jusqu'au bout sa Guerre de Sicile dans le style du premier livre, il prétendrait à bon droit à la seconde place. Mais une mort prématurée ne lui permit pas d'atteindre à la perfection. Néanmoins les œuvres de son enfance montrent un grand caractère, et une volonté de bien faire admirable, surtout dans un pareil âge.

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CHAPITRE XXVI.

VIRGILE.

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Génie de Virgile. — Vie de Virgile. — Jugements des anciens. — Virgile philosophe. - Premiers essais poétiques de Virgile. - Les Bucoliques. - Virgile et Théocrite. - Style des Églogues. Les Géorgiques. Excellence littéraire des Géorgiques. L'Enéïde. - Virgile et Homère. - Divers emprunts de Virgile. - Héros de l'Enéïde. Mœurs de l'Enéïde. Style de l'Eneïde.

Génie de Virgile.

Nous avons dit et ce qui manquait d'art à Lucrèce, et ce qui manquait à Catulle d'ampleur et de fécondité. Notre pensée, quand nous signalions ces lacunes, a dû se reporter plus d'une fois vers le poëte à qui rien, ou presque rien, n'a manqué; vers ce Virgile qui fut, non moins que Lucrèce, le favori des Muses, et qui fut aussi, non moins que Catulle, un artiste consommé. Nous avons donc noté déjà quelquesunes des vertus qui recommandent ses œuvres à une admiration immortelle. M. Nisard nous a fourni, à propos de Tite Live, une belle page sur la sensibilité de Virgile. Il s'agit maintenant d'entrer dans quelque détail, et d'expliquer pour

quoi le nom de Virgile est un des plus grands noms de toutes les littératures, et, avec le nom de Cicéron, le plus grand de toute la littérature romaine.

Virgile a eu plusieurs manières, s'il est permis d'appeler ainsi les caractères divers qui distinguent son style dans ses divers ouvrages. Mais nous prenons le mot manière dans l'acception qu'il a chez les critiques qui étudient les progrès du talent des grands peintres. Le Raphaël de la Transfiguration n'est pas le même que le Raphaël continuateur du Pérugin, ou que le Raphaël de l'École d'Athènes. Une page de l'Eneide ne ressemble point à une page des Géorgiques, ni une page des Georgiques à une page des Eglogues. Ce qu'il y a de commun et dans les Églogues, et dans les Géorgiques, et dans l'Énéide, c'est cette diction pure et irréprochable, ce latin dégagé de toutes les rusticités antiques, de toutes les importations pédantesques; c'est cette simplicité ingénue qui s'allie sans effort à l'art le plus savant; c'est l'absence de toute affectation et de toute recherche, même là où le poëte eût pu sans crime se laisser aller aux séductions du bel esprit; c'est, comme dit un critique, cet art difficile d'offrir une succession de beautés variées, de réveiller dans un seul trait un grand nombre d'impressions, de ne les épuiser jamais en les prolongeant; c'est surtout, selon moi, cette imagination puissante, mais toujours réglée, et qui ne perd rien de sa force ni de son éclat, pour se circonscrire sévèrement dans le cercle étroit du bon sens et de la raison; c'est plus encore: c'est la grâce enchanteresse, c'est le sentiment, c'est le souffle divin; en un mot, c'est l'âme et le cœur de Virgile. Voilà les ressemblances; voilà aussi ce qu'on peut nommer le génie de Virgile. Mais les œuvres du poëte sont comme ces sœurs dont il dit que leur figure, malgré la conformité de phy>sionomie, n'est pourtant pas la même, et fait connaître seulement qu'elles sont sœurs. Nous marquerons plus tard les différences. Disons auparavant quelques mots de la personne du poëte.

Vie de Virgile.

Publius Virgilius Maro naquit près de Mantoue, au village d'Andes, le 15 octobre de l'an 70 avant notre ère. On a la

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