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La variété des sujets empêche qu'on s'arrête à l'uniformité des dénoûments; et le poëte, en variant à l'infini les formes de son style, et en tirant de ses trésors des richesses toujours nouvelles, ne permet ni à l'intérêt de languir, ni au lecteur de se fatiguer ou de sentir la moindre nausée. Ovide n'a guère eu qu'un tort un peu sérieux : c'est d'avoir voulu quelquefois trop bien refaire ce qui avait été admirablement fait avant lui par d'autres. On comprendra ce que je veux dire, si l'on prend la peine de comparer, par exemple, l'épisode d'Orphée et d'Eurydice, dans les Métamorphoses, avec le récit de Protée dans les Georgiques. Cette joute contre Virgile ressemble presque à une gageure. Malheureusement Ovide n'en sort pas à son honneur, sinon aux yeux de ceux qui se plaisent à une escrime brillante, et qui préfèrent l'esprit au sentiment, les agencements de mots aux accents de la passion, la versification à la poésie.

Médée.

Ovide nous montre, dans les Métamorphoses, que les plus hautes parties et les plus divines du génie poétique ne lui étaient point étrangères. Il l'avait déjà montré aux Romains, dès avant la publication des Métamorphoses, en écrivant sa Médée. Cette pièce était, avec le Thyeste de Varius, la plus renommée de toutes les tragédies du théâtre latin. C'est le témoignage que rendent à Ovide Quintilien et l'auteur du Dialogue des Orateurs. Ovide lui-même, en plus d'un passage, fait allusion au succès de son œuvre : « J'ai manié le sceptre; la tragédie, grâce à mes soins, a pris un ton plus élevé............. J'ai fait parler les rois avec la dignité qui leur convient; j'ai rendu au cothurne toute sa majesté. » Quintilien dit que la Médée d'Ovide faisait voir ce que l'auteur aurait pu faire, s'il avait su régler son génie, au lieu de s'y abandonner. Il ne reste qu'un seul vers de cette composition dramatique. Nous ne pouvons donc pas dire si l'œuvre justifiait les éloges des anciens. Rien ne nous empêche de le croire. Nous ne savons pas si la Médée d'Ovide fut représentée au théâtre. On peut admettre qu'elle y parut, qu'elle y souleva même un applaudissement unanime. J'ai peine à me figurer pourtant que le

peuple de ce temps-là ait fait un accueil bien sympathique à ce qui n'était qu'un tableau des passions humaines. Le génie du poëte a triomphé un jour, je le veux, des instincts féroces de la plèbe; mais je m'assure que les spectateurs retournaient dès le lendemain à leurs bateleurs, à leurs ours et à leurs boucheries, et qu'ils laissaient les histrions d'Ovide se morfondre dans la solitude, devant une poignée de chevaliers et de sénateurs. Peut-être Ovide se borna-t-il, selon l'usage d'alors, à quelques lectures publiques, uniquement soucieux du suffrage des gens de goût et des lettrés: c'était assez pour la réputation de la tragédie; et la publication en forme par le libraire avait achevé le succès, à Rome et dans l'empire.

Ovide s'était-il donné la peine d'imaginer des combinaisons dramatiques nouvelles, et sa Médée était-elle autre chose qu'une imitation de quelque pièce du théâtre grec? Il n'est pas besoin de forcer les conjectures, pour avancer le contraire. Ovide avait imité les Grecs; j'ajoute qu'il a dû prendre Euripide pour modèle, et que sa Médée a dû être une copie de cette belle Médée que nous lisons encore. Ce n'est pas que d'autres qu'Euripide n'eussent traité le sujet, même avec talent; mais la Médée d'Euripide était la seule qui fût un chef-d'œuvre. D'ailleurs, je vois trop d'analogie d'esprit entre le poëte latin et le poëte grec, pour qu'Ovide ne fût pas entraîné, bon grẻ mal gré, par une sympathie secrète, vers la tragédie d'Euripide. Il y avait là du mouvement, du pathétique, de la pompe théâtrale, des discours éloquents, du trait quelquefois, et un certain abus de la parole. Il n'en fallait pas tant pour décider les préférences d'Ovide; et personne plus que lui n'était en état de donner en latin l'équivalent de toutes les qualités d'Euripide, de tous ses défauts. même.

Autres ouvrages d'Ovide.

Il y a, dans le recueil des œuvres d'Ovide, quelques pièces qui ne semblent pas authentiques: ainsi les élégies intitulées le Noyer, Philomèle, etc. Plusieurs de ses ouvrages authentiques, indépendamment de ceux qu'il avait détruits lui

même, ne nous sont point parvenus. Quintilien mentionne quelque part un livre d'Ovide contre les mauvais poëtes. C'était probablement quelque poëme didactique ou quelque satire générale. Il n'en reste rien, non plus que du poëme sur le triomphe de Tibère. Il reste quelques vers d'un poëme d'Ovide sur la pêche, qui était intitulé Halieutiques. Ovide, à qui les vers ne coûtaient rien, avait écrit en se jouant un très-grand nombre d'épigrammes. En vivant parmi les barbares, il eut bientôt appris leur langue. Quelques-uns de ces Gètes, et notamment le roi Cotys, qui gouvernait Tomes et les environs pour les Romains, se piquaient de poésie, et n'étaient pas insensibles aux choses de l'esprit. Ovide les charma, en pliant sa muse à l'idiome et aux rhythmes en usage dans sa nouvelle et triste patrie. Il avoue lui-même avec quelque honte, à ses amis de Rome, qu'il a composé en vers gétiques un poëme sur la mort et l'apothéose d'Auguste. Les Tomitains, surtout dans les dernières années, n'oublièrent rien pour adoucir ses amertumes et lui rendre l'existence moins insupportable. Il fut reconnaissant de leurs attentions et de leurs soins; mais les honneurs et les priviléges dont on le comblait n'effacèrent point Rome de son âme, et lui laissèrent tous ses regrets.

Conclusion.

Nous transcrirons ici, comme conclusion de tout ce qui précède, le jugement fort sage de La Harpe sur Ovide : « Il faut avouer, avec les critiques les plus éclairés, qu'Ovide, dans tous ses ouvrages, a plus ou moins abusé d'une facilité toujours dangereuse quand on ne s'en méfie pas. Il ne se refuse aucune manière de répéter la même pensée; et, quoique souvent elles soient toutes agréables, l'une nuit souvent à l'autre. On peut lui reprocher aussi les faux brillants, les jeux de mots, les pensées fausses, la profusion des ornements. Ainsi, venant après Virgile, Horace et Tibulle, les modèles de la perfection, il a marqué le premier degré de la décadence chez les Latins, pour n'avoir pas eu un goût assez sévère et une composition assez travaillée. A le considérer du côté moral, quoique ses écrits, comme a dit un de

nos poëtes, alarment un peu l'innocence, il n'a du moins montré dans ses poésies que cette espèce d'amour que l'on. peut avouer sans honte; et c'est un mérite presque unique, dans la corruption des mœurs grecques et romaines.... Il était d'un caractère très-doux; et lui même se rend ce témoignage, dans un endroit de ses Tristes, que la censure n'a jamais attaqué sa personne ni ses écrits: aussi était-il l'ami et le panégyriste de tous les talents. Tous les écrivains célèbres qui furent ses contemporains sont loués dans ses vers, avec autant de candeur que d'affection; et il en est plusieurs parmi eux dont les ouvrages ont été perdus, et qui ne nous sont connus que par ses éloges.

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Il y a bien peu de noms à ajouter aux noms des poëtes fameux dont nous venons d'étudier le caractère et les œuvres. Pourtant la poésie du siècle d'Auguste n'est pas tout entière dans Virgile, dans Horace, dans Properce, dans Tibulle, dans Ovide. Nous l'avons déjà remarqué, à propos de Varius et de quelques autres. Il ne s'agissait alors que de l'épopée; et voilà pourquoi nous n'avons rien dit de l'ouvrage qui avait fait surtout la renommée de Varius. C'était une tragédie intitulée Thyeste. On ne sait pas ce qu'était au juste cette tragédie, aujourd'hui entièrement perdue. Peutêtre Varius avait-il essayé de traiter d'une façon nouvelle son terrible et dramatique sujet; peut-être s'était-il borné à imiter plus ou moins librement quelque chef-d'œuvre grec,

comme Ovide, selon toute vraisemblance, avait naturalisé à Rome la Médée d'Euripide. Quoi qu'il en soit, le Thyeste de Varius passait, avec la Médée d'Ovide, pour la plus belle composition dramatique que possédassent les Romains : « Il n'y a pas, dit un critique ancien, un livre d'Asinius ou de Messala qui soit aussi célèbre que la Médée d'Ovide ou le Thyeste de Varius 1. » Il est probable que le succès du Thyeste, comme celui de la Médée, fut tout littéraire; que le peuple y fut à peu près étranger; que Varius avait écrit pour les lettrés bien plus que pour le théâtre, et que ce qu'on prisait particulièrement dans sa tragédie, c'était la beauté d'un style mâle et ferme, et digne, presque partout, des grands maîtres, digne même, selon Quintilien, des grands tragiques de la Grèce.

Pour trouver un poëte épique après Virgile, il faut descendre jusqu'au temps de Néron et jusqu'à l'auteur de la Pharsale. Quelques-uns cependant donnent le titre d'épopée au poëme historique qu'un ami d'Ovide, Pédo Albinovanus, avait rédigé en l'honneur de Germanicus, et dont il reste. quelques vers. Ces vers, qui n'ont rien de bien remarquable, sont un fragment du récit de l'expédition de Germanicus dans l'Océan septentrional. Mais, si l'auteur de l'Eneide n'eut point d'héritiers immédiats, je ne dis pas d'émules, l'auteur des Géorgiques n'en manqua pas. Ce ne sont ni des Virgiles, ni des Lucrèces, ni même des Ovides; mais ce sont des hommes de quelque mérite, et que nous ne pouvons passer sous silence.

Macer.

Émilius Macer, de Vérone, fut un imitateur de Nicandre. Il avait écrit un poëme sur les propriétés des plantes vénéneuses. Cet ouvrage n'existe plus. Les vers attribués par quelques-uns à ce contemporain d'Auguste sont, selon toute apparence, d'un autre Macer, qui vivait à la fin du deuxième siècle. Il n'y a, daus ces vers, ni talent, ni style; et le premier Macer ne passait point, dans son temps, pour un poëte

1. Dialogue des Orateurs, paragraphe XII.

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