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même, comme l'indiquent suffisamment les titres, aux plus célèbres productions des trois grands tragiques. Mais elles n'ont rien de commun, ou presque rien, avec les chefsd'œuvre dont elles rappellent le souvenir. Sénèque réduit ses sujets à n'être plus que des canevas à déclamations; il cherche, comme on l'a dit, des effets non de théâtre, mais de style. Aussi bien ces tragédies, ou plutôt ces suites de tirades, n'étaient pas destinées à paraître sur la scène, mais à être lues. Le dialogue n'est qu'un assaut de bel esprit; les descriptions superflues et les lieux communs abondent; tous les caractères se ressemblent, hommes, femmes, enfants même; ou plutôt ils ressemblent à Sénèque. Veut-on savoir aussi comment Sénèque s'y prend pour perfectionner l'art admirable des poëtes antiques? Voilà un messager qui vient annoncer à Thésée qu'Hippolyte n'est plus. Il raconte comment le jeune homme a péri. A peine a-t-il prononcé le mot monstre, que le père au désespoir l'interrompt, afin d'avoir une description détaillée de l'énorme animal; et le messager complaisant satisfait son désir en une vingtaine de vers. Mais qu'importait la vraisemblance, ou même le goût le plus vulgaire, si les auditeurs applaudissaient les vers de la description si étrangement amenée? Car ces vers sont vigou- . reux et bien frappés. Racine en a fait son profit, comme il a profité aussi de quelques traits vraiment tragiques épars çà et là dans les autres parties de la pièce. Si l'on oublie un instant que les tragédies de Sénèque sont des tragédies, et qu'on ne veuille que de beaux vers, que de nobles sentiments exprimés avec beaucoup de force et d'éclat, que des morceaux de poésie et non pas des poëmes dramatiques, il n'y a guère d'œuvres où l'on trouve plus à se contenter. Seulement cette poésie est bien monotone et bien tendue; la versification en est plus savante qu'agréable; les ïambes et les anapestes n'ont ni laisser-aller ni grâce, et les mètres lyriques imités de Catulle et d'Horace font regretter leurs modèles. La tragédie en manuscrit, comme M. Nisard caractérise le genre, ne pouvait guère donner plus que ne nous donne Sénèque. Même avec un sujet contemporain, même dans Octavie, Sénèque, ou l'imitateur de Sénèque, était

condamné, si je l'ose ainsi dire, aux descriptions, aux lieux communs, aux traits d'esprit et aux sentences.

Pour montrer combien il est facile de reconnaître Sénèque le philosophe dans Sénèque le tragique, je citerai un de ces chœurs où le poëte se mettait complétement à son aise, et où, bien plus encore que dans le dialogue, il ne songeait qu'à lui-même, et oubliait, pour être tout à fait lui-même, sujet, action, personnages, toutes les conditions de l'art et de la vraisemblance. C'est le chœur qui termine le deuxième acte du Thyeste.

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« Enfin cette noble maison, cette race de l'antique Inachus, a pacifié les haines qui divisaient des frères ! Quelle fureur vous pousse à verser tour à tour le sang l'un de l'autre; à vous disputer le sceptre par des forfaits? Vous ignorez, hommes avides de dominer d'en haut, où réside la royauté. Ce qui fait un roi, ce ne sont point les richesses, ni la couleur d'un vêtement de Tyr, ni le diadème qui pare son front, ni des portes resplendissantes d'or. Celui-là est roi, qui s'est dégagé de toutes craintes, de toutes les misères d'un cœur coupable; celui que ne troublent point l'ambition insensée, ni la faveur toujours inconstante d'un peuple passionné ; celui qui méprise tout ce que l'Occident arrache de ses mines, tout l'or que roule le Tage dans son lit éclatant, toutes les moissons que la Libye bat sur l'aire brûlante; celui que n'ébranlera point la foudre qui tombe en sillonnant obliquement la nue, ni l'Eurus bouleversant la mer, ni la tempête terrible gonflant les flots courroucés de l'Adriatique; celui qui a résisté et à la lance du soldat et à la pointe menaçante du glaive; celui qui, placé dans une région sereine, voit sous ses pieds toutes choses, court avec joie au-devant du trépas, et ne se plaint pas de mourir. En vain se conjureraient contre lui les rois qui conduisent les Dahes nomades; ou ceux qui possèdent au loin les bords de la mer Rouge, de cette mer empourprée par le reflet brillant des pierres précieuses; ou ceux qui ouvrent aux Sarmates belliqueux les montagnes Caspiennes. En vain lutteraient contre lui et les peuples qui foulent d'un pied intrépide les glaces du Danube, et les Sères, habitants de la contrée inconnue fa

meuse par ses fils précieux. L'âme d'un homme de bien possède la royauté. Le sage n'a nul besoin de coursiers, nul besoin d'armes, ni de ces traits sans vigueur que le Parthe, dans sa fuite simulée, fait pleuvoir de loin sur son ennemi; il n'a nul besoin de renverser des villes, à l'aide de ces machines qui lancent au loin des rochers. Est roi celui qui ne craint rien; est roi celui qui ne désirera rien. Cette royauté, chacun se la donne. Qu'un autre à son gré se tienne debout au faîte périlleux de la puissance et de la faveur pour moi, qu'un doux repos comble mes vœux; que je goûte, dans une condition obscure, un calme loisir; que ma vie s'écoule en silence, inconnue de tous les citoyens. Ainsi, après que mes jours auront passé sans bruit, je mourrai vieillard confondu avec le vulgaire. La mort tombe pesante sur celui qui, trop connu de tous, meurt inconnu à lui-même. »

L'Apocolokintose.

Sénèque avait été durement traité par Claude, ou plutôt par Messaline. Il s'abaissa inutilement, durant son exil, à flatter Claude et ses ministres. Rappelé par Agrippine, il dut flatter chaque jour le vieillard imbécile. Enfin, après la mort de Claude, c'est lui qui fut réduit à écrire le discours funèbre que Néron prononça en l'honneur du divin César. Sénèque avait donc à se venger de Claude. Il se vengea cruellement. Il écrivit l'Apocolokintose, c'est-à-dire le récit de la métamorphose de Claude en citrouille. Cette apothéose burlesque est une sorte de ménippée, où se mêlent la prose et les vers, comme autrefois dans les satires de Varron. Les vers sont piquants et spirituels, et la prose plus encore. Il n'y eut personne qui n'éclatât de rire au tableau des mésaventures du triste dieu qui avait été Claude sur la terre. Mais quel nouvel abaissement pour Sénèque, qu'une telle vengeance! Fouler aux pieds ce qu'on a trop redouté, c'est chose assurément vile; qu'est-ce donc que couvrir de boue ce qu'on a adoré, ce qu'on a enivré de tous les encens? O fatale ambition! ô malheureux Sénèque !

CHAPITRE XXXIII.

LUCAIN.

Le père de Lucain. — Vie de Lucain.— La Pharsale. — Génie de Lucain. Style; versification; diction. - Conclusion.

Le père de Lucain.

Le père de Lucain se nommait Marcus Annéus Méla, et était le plus jeune des fils de Sénèque le rhéteur. On admet généralement que ce Méla, chevalier romain, ne fait qu'un avec le géographe Pomponius Méla; quelques-uns cependant croient que Pomponius Méla était petit-fils, et non pas fils, du premier Sénèque. La seule chose incontestable, c'est que Pomponius Méla était né en Espagne : il se donne lui-même pour un Espagnol. Quoi qu'il en soit de sa parenté avec les Sénèque, Pomponius Méla est un géographe bien informé et un écrivain de talent. Son style se sent quelquefois de son siècle et de son pays, et, si l'on veut, de sa famille; mais ce style est précis et vigoureux, sinon toujours simple et naturel; si les mots ne sont pas toujours en proportion exacte avec la pensée, on n'est jamais en droit de dire qu'ils en usurpent complétement la place. Les descriptions de Pomponius Méla sont courtes et rapides, mais intéressantes; il puise ses renseignements à de bonnes sources, et il s'en sert avec intelligence et critique. Sans avoir parcouru luimême tous les pays qu'il décrit, il sait du moins les figurer aux yeux du lecteur, sous les traits les plus frappants et les plus vraisemblables. Il fait souvent des observations pleines de sens, sur les mœurs des différents peuples. Mais son ouvrage n'a que trois livres, et n'est, par conséquent, qu'un abrégé. Le plan en est assez ingénieux. L'auteur commence par la description de la Mauritanie, c'est-à-dire de l'Afrique occidentale; puis il suit les côtes de l'Afrique, de l'Asie et de l'Europe, et il revient à son point de départ. Il y a des ́omissions, et l'ordre de succession n'est pas toujours observé

avec une rigueur suffisante; mais ces légers défauts n'ôtent que peu de chose au mérite vraiment solide de Pomponius Méla.

Vie de Lucain.

Marcus Annéus Lucanus naquit à Cordoue, en l'an 39 de notre ère. Dès l'âge de huit ans, il fut amené à Rome par son père, et mis sous la direction de son oncle, qui était déjà précepteur de Néron. Il entendit les maîtres les plus fameux du temps, entre autres Palémon et Cornutus. Il déclama avec succès dans l'une et l'autre langue, comme on disait alors, et il se fit de très-bonne heure une réputation au barreau. Néron le traitait en ami : il le nomma questeur, il lui conféra même la dignité d'augure; mais cette amitié ne dura pas. Néron, qui se piquait de poésie, fut choqué des applaudissements qui accueillaient les vers de Lucain: il réduisit au silence un rival trop redoutable. Lucain ne sut pas se résigner. Le dépit de l'orgueil blessé, l'ambition peut-être, le jetèrent dans la conspiration de Pison. Lucain, selon Tacite, en voulait à Néron d'avoir étouffé la renommée de ses vers, en lui interdisant de les publier. La conjuration fut découverte. Lucain et les autres conjurés furent menacés de la torture, et sommés de déclarer leurs complices. Ils résistèrent longtemps; mais ils finirent par céder lâchement à une promesse d'impunité. On voudrait ignorer que Lucain dénonça Acilia, sa mère. Mais comment déchirer la page, trop véridique, hélas! où Tacite a immortalisé l'infamie du poëte? Lucain s'était inutilement déshonoré. Il lui fallut mourir. Il retrouva son courage, et il se fit ouvrir les veines. « Tandis que son sang coulait, dit Tacite, que le froid glaçait ses pieds et ses mains, et que la vie se retirait des extrémités, il gardait encore la chaleur du cœur et de l'imagination; et, s'étant souvenu de quelques vers où il avait peint un soldat blessé, mourant de la perte de son sang, il se mit à les réciter ce furent ses dernières paroles1. » Il n'avait que vingt-sept ans. Il laissait une veuve,

1. Tacite, Annales, livre XV, chapitre LXX.

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