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Martial écrivit et publia à Rome même presque toutes ses épigrammes. Le douzième livre du recueil fut le seul qu'il envoya de Bilbilis à Rome. Les Xenia et les Apophoreta, bien que classés à la suite de ce livre, sont d'une époque antérieure, et avaient paru chez le libraire Tryphon avant que Martial quittât l'Italie.

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Caractères de la poésie de Martial.

Il est difficile de ne pas traiter sévèrement un poëte qui semble étranger aux plus simples notions de la morale, et presque à tout sentiment de pudeur. Martial se complaît dans l'obscénité; il s'y vautre avec une satisfaction manifeste. Encore s'il y portait quelque chose de ce génie créateur qui fait qu'on pardonne à Aristophane tant de péchés impardonnables. Mais non! ses épigrammes ordurières sont précisément les moins bonnes pour être obscène, comme le remarque fort bien La Harpe, Martial n'en est pas meilleur; et, condamnable en morale, il ne peut être absous en poésie. Quelques critiques sont plus indulgents. Pour eux Martial est une sorte de moraliste, un satirique au petit pied, qui essayait de corriger à sa manière les vices de son temps: Martial, dit M. Nisard, jouait le rôle de censeur; censeur suspect, je l'avoue, et qui parlait trop en connaisseur des vices qu'il critiquait, mais qui trouvait de temps en temps des accents honnêtes, et un certain dégoût digne de la haute satire. Il y a de l'indignation dans plus d'une de ses épigrammes; et l'on dirait qu'il va prendre au sérieux les turpitudes de ses contemporains. Mais cette indignation finit par une pointe : la colère du poëte expire dans un jeu de mots. On sent que Martial a trop de tolérance pour faire de la satire; il a quelquefois du mépris, du dégoût, jamais de la haine. Il est presque reconnaissant envers les débauches monstrueuses dont il parle, pour les traits heureux qu'il en tire, et il songe bien plus à faire rire que réfléchir son lecteur. Cette espèce d'insouciance nous blesse, il est vrai : nous ne concevons pas qu'on ne trouve qu'à rire de ce qui fait horreur; mais telle était la corruption des mœurs, au temps de Martial, que les grands vices pour lesquels la satire

se réserve, et qui, dans tout autre temps, marquent d'une certaine célébrité d'ignominie le très-petit nombre de ceux qui en sont atteints, étaient communs à tous les Romains, et tombaient par là dans le domaine de l'épigramme, du cancan, petites armes qui ne s'emploient d'ordinaire que contre les manies, les préjugés et les travers d'une époque, Tout ce qu'on pouvait exiger de Martial, vivant au milieu de ces vices, dans leur intimité, et peut-être dans leur confidence, c'est que, ne pouvant pas être leur ennemi ouvert, il ne fût pas leur flatteur, et qu'il eût assez de courage pour faire rire de ceux qu'il n'avait pas le pouvoir de déshonorer. Or, il a rempli cette tâche, quelquefois avec vigueur, quelquefois avec un sentiment qui n'a pas dû sortir d'une âme dépravée. » Je voudrais que cette apologie fût aussi fondée qu'elle est ingénieuse. Martial serait encore un assez pauvre personnage, puisqu'on reconnait qu'il avait sa part, et sa bonne part, de toutes les corruptions dont il se faisait le censeur. Il n'avait pas le bras d'Hercule, et il n'était pas fait pour terrasser le vice. Cela est parfaitement incontestable; mais ce qui ne l'est pas, ce qui est même le contraire de la vérité, c'est que la satire, au temps de Martial, fût nécessairement réduite à la petite guerre et aux coups d'épingle. Le célèbre critique a, oublié un instant que Martial était le contemporain de Juvénal; et que cette satire, qu'il proclame impossible à une pareille époque, n'a jamais été ni plus énergique ni plus foudroyante; efficace, c'est une autre affaire. M. Nisard explique ailleurs pourquoi, après avoir lu Martial, il s'est senti naturellement porté à l'indulgence. C'est que Martial lui peignait Rome au vif, dans toutes ses hontes, dans tous ses avilissements, et qu'il l'avait singulièrement amusé de ses pointes sur les mœurs des chevaliers, des sénateurs et des valets. C'est quelque chose d'être l'image fidèle et naïve d'une époque, même de l'époque de Domitien. Mais nous ne cherchons pas si l'on peut tirer du recueil de Martial toute une piquante galerie d'originaux nous nous demandons si Martial a fait de ses talents un digne et honnête usage. Force nous est de répondre que non. A cela près, je n'éprouve aucune répugnance à

reconnaître qu'il est arrivé souvent à Martial de sentir et d'exprimer de nobles pensées, et qu'il ne va pas toujours au gré d'un vil instinct : il n'est même pas étranger à certaines délicatesses de l'âme; et quelquefois les vers de ce poëte impur sont pleins d'une douce mélancolie. Il y en a aussi, et en très-bon nombre, qui sont tout simplement des vers spirituels et agréables, et où la pruderie la plus farouche ne saurait trouver à redire. Les meilleures épigrammes de Martial sont même les plus irréprochables, celles, comme dit La Harpe, qu'on peut citer partout. La Harpe prend pour exemple celle-ci, qui peut servir de leçon, suivant sa remarque, à Paris comme à Rome, et qui ne corrigera personne, ni à Rome ni à Paris. Elle s'adresse à un avocat : << Il ne s'agit ni de violence, ni de meurtre, ni de poison; mais je suis en procès pour trois chevreaux. Ma plainte, c'est que mon voisin me les a dérobés. Voilà ce que le juge veut qu'on lui démontre. Et toi, tu fais retentir, d'une voix éclatante et avec un geste emphatique, Cannes, et la guerre de Mithridate, et les parjures de la fureur punique, et les Sylla, et les Marius, et les Mucius. Parle un peu, Postumus, de mes trois chevreaux1. »

Ces petites pièces, si nettes et si sobres, rappellent assez bien, quoi qu'en disent certains exclusifs, la savante et discrète manière de Catulle. Martial excelle, comme Catulle, à manier les rhythmes les plus divers; comme lui, il triomphe surtout dans l'hendécasyllabe; comme lui aussi, il sait l'art d'enfermer beaucoup de sens en peu de mots. C'est l'esprit et la lime de Catulle, sinon toute sa perfection et toute sa grâce. Aussi Pline le Jeune, en apprenant la mort de Martial, a-t-il pu dire, sans se faire tort auprès des gens de goût, et sans qu'on le pût taxer d'avoir fait office d'ami indulgent à l'excès: « C'était un homme spirituel, piquant, vif, qui avait, en écrivant, beaucoup de sel, beaucoup de fiel, et non moins de candeur2. » C'est cette candeur qui fait le charme des vers de Martial; et, si Martial

4. Martial, Épigrammes, livre VI, épigramme 19.

2. Pline le Jeune, Lettres, livre III, lettre 21.

LITT. ROM.

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mérite d'être lu, ce n'est pas parce qu'il fut malin, c'est parce qu'il fit sans l'être, comme dirait Boileau, ses plus grandes malices.

Style de Martial.

« Martial, dit M. Nisard, poëte de goût, malgré tout son libertinage d'esprit encore plus que de mœurs, n'avait pas l'ardeur de nouveauté des poëtes d'imagination, ni cette négligence propre à toutes les poésies ambitieuses. Ses petites pièces sont pour la plupart, dans l'expression, timides et travaillées. Martial se souvenait des préceptes d'Horace : il composait, selon la méthode de l'Epitre aux Pisons, pour l'oreille fine de quelque Métius. De là bon nombre de morceaux d'une facture excellente.... La nature de son esprit le portait à continuer les maîtres : il avait le sens de leur grande poésie; il l'aimait et il l'admirait. » M. Nisard remarque ensuite que les sujets traités par Martial ne comportaient guère les témérités qui firent, en ces temps-là, la fortune de tant d'autres poëtes; et que Martial fut simple dans son style, précisément parce qu'il n'écrivait que des épigrammes « Ses poésies n'étaient pas de celles qui se lisent en public: elles sont à la fois trop courtes et de trop peu d'apparat, et ne comportent ni les éclats de voix, ni les suspensions préméditées, ni le geste théâtral, ni toute cette pantomime dont les faiseurs d'épopées accompagnaient leurs solennelles lectures; outre que ses petites satires pouvaient tomber à l'improvisté sur quelques-uns de ses auditeurs.... Son public était pris dans toutes les classes et de tous les côtés; public indépendant, lisant pour son plaisir bien plus que pour des querelles d'école, et qui demandait un style simple, sans grands frais d'invention, populaire, et des vers qui pussent s'apprendre et se répéter comme des airs faciles. De là, de temps en temps, la simplicité de Martial, sa concision, sa clarté; sauf un reste de barbarie espagnole, soit que les pièces gâtées par ce défaut soient plus près de son début littéraire, soit qu'à certains moments de paresse et de relâchement, le naturel provincial reprît le dessus sur son éducation romaine. Mais les

poëtes qui ont plus de qualités que de défauts doivent être caractérisés par leurs qualités : aussi est-il juste de ranger Martial parmi les poëtes qui savent être originaux en restant fidèles à la tradition. Sa langue est de bon aloi, malgré quelques fautes qui lui viennent soit de son pays, soit de concessions faites au goût du jour; concessions d'autant plus choquantes qu'elles manquaient de cette tournure ingénieuse que les poëtes d'imagination savent donner même à l'extravagance. »

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L'école de Sénèque et de Lucain était dans tout l'éclat de sa victoire, à l'époque où Martial sentit sa vocation de poëte. Un heureux instinct, un grand bon sens, la nature particulière de son talent, préservèrent l'Espagnol de Bilbilis de presque tous les défauts mis à la mode par les deux Espagnols de Cordoue. Il donna, sans y penser peut-être, le signal d'une réaction classique. Quintilien, son ami, commença bientôt une guerre systématique et savante contre le faux goût et la fausse éloquence. Les grands modèles furent remis en honneur Cicéron détrôna Sénèque, et Lucain fit place à Virgile. Il y eut des poëtes qui se proclamèrent hautement, publiquement, les disciples du chantre des Géorgiques et de l'Énéide. Ce sont ceux que je nomme les pseudo-virgiliens, entre autre Valérius Flaccus, Silius Italicus et Stace. Ces poëtes, avec beaucoup d'esprit et beaucoup de talent, n'ont été poëtes qu'à demi : leurs poëmes sont des œuvres sans vie; des merveilles, si l'on veut, de versification, mais distillant,

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