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XXV JOUR.

Sur la détermination entière à être à Dieu.

1. Seigneur, que voulez-vous que je fasse1? C'est ce que disait saint Paul, renversé miraculeusement, et converti par la grâce du Sauveur qu'il persécutait. Hélas! combien l'avons-nous persécuté par nos infidélités, par nos humeurs, par nos passions qui ont troublé l'ouvrage de sa miséricorde dans notre cœur! Enfin il nous a renversés par la tribulation; il a écrasé notre orgueil; il a confondu notre prudence charnelle; il a consterné notre amour-propre. Disons-lui donc avec un acquiescement entier : Seigneur, que voulez-vous que je fasse? Jusqu'ici je ne m'étais tourné vers vous qu'imparfaitement; j'avais usé de mille remises, et j'avais tâché de sauver et d'emporter du débris de ma conversion tout ce qu'il m'avait été possible: mais présentement je suis prêt à tout, et vous allez devenir le maître absolu de mon cœur et de ma conduite.

II. Il ne suffit pas cependant que l'offre soit universelle ce ne serait rien faire, si elle demeurait vague et incertaine, sans descendre au détail ni à la pratique. Il y a trop longtemps, dit saint Augustin, que nous traînons une volonté vague et languissante pour le bien. Il ne coûte rien de vouloir être parfait, si on ne fait rien pour la perfection. Il la faut vouloir plus que toutes les choses temporelles les plus chères et les plus vivement poursuivies ; et il ne faut pas vouloir faire moins pour Dieu, que l'on n'a fait pour le monde. Sondons notre cœur. Suisje déterminé à sacrifier à Dieu mes amitiés les plus fortes, mes habitudes les plus enracinées, mes inclinations dominantes; mes plus agréables amusements?

XXVI JOUR.

Sur la capitulation qu'on voudrait faire avec Dieu. I. Jusques à quand clocherez-vous de deux cótés1? Nulne peut servir deux maîtres 3. On sait bien qu'il faut servir Dieu et l'aimer, si on veut être sauvé; mais on voudrait bien ôter de son service et de son amour tout ce qu'il y a d'onéreux, et n'y laisser que ce qu'il y a d'agréable. On voudrait le servir, à con

On voudrait l'aimer, à condition de ne diminuer en rien cet aveugle amour de nous-mêmes qui va jusqu'à l'idolâtrie; et qui fait qu'au lieu de nous rapporter à Dieu, comme à celui pour qui nous sommes faits, on veut au contraire rapporter Dieu à soi, et ne le chercher que comme une ressource qui nous console quand les créatures nous manqueront. On voudrait le servir et l'aimer, à condition qu'il sera permis d'avoir honte de son amour, de s'en cacher comme d'une faiblesse, de rougir de lui comme d'un ami indigne d'être aimé, de ne lui donner que quelque extérieur de religion pour éviter le scandale, et de vivre à la merci du monde pour ne rien donner à Dieu qu'avec la permission du monde même. Quel service et quel amour!

II. Dieu n'admet point d'autre pacte avec nous, que celui qui a rapport à notre première alliance dans le baptême, où nous avons promis de renoncer à tout pour être à lui; et au premier commandement de sa loi, où il exige sans réserve tout notre cœur, tout notre esprit et toutes nos forces. Peuton en effet aimer Dieu de bonne foi, et avoir tant d'égards pour le monde son ennemi auquel il a donné de si terribles malédictions? Peut-on aimer Dieu, et craindre de le trop connaître, de peur d'avoir trop de choses à lui sacrifier? Peut-on aimer Dieu, et se contenter de ne l'outrager pas, sans se mettre en peine de lui plaire, de le glorifier, et de lui témoigner courageusement, dans les occasions qui se présentent tous les jours, l'ardeur et la sincérité de son amour? Dieu ne met ni bornes ni réserves en se donnant à nous; et nous voudrions en apporter mille avec lui! Est-il sur la terre des créatures assez viles pour se contenter d'être aimées de nous comme nous n'avons pas honte de vouloir que Dieu se contentât d'être aimé?

XXVII JOUR.

Sur le bon emploi du temps.

1. Faisons bien pendant que nous en avons le temps. Une nuit viendra pendant laquelle personne ne peut agir 2. Le temps est précieux, mais on n'en connaît pas le prix; on le connaîtra quand

dition de ne lui donner que des paroles et des céré-il n'y aura plus lieu d'en profiter. Nos amis nous le

monies courtes dont on est bientôt lassé et ennuyé. On voudrait l'aimer, à condition qu'on aimerait avec lui, et peut-être plus que lui, tout ce qu'il n'aime point et qu'il condamne dans les vanités mondaines.

Act. IX, 6.

2 III. Reg. XVIII, 21. 3 Matth. VI, 24.

demandent comme si ce n'était rien; et nous le donnons de même. Souvent il nous est à charge; nous ne savons qu'en faire, et nous en sommes embarrassés. Un jour viendra qu'un quart d'heure nous paraîtra plus estimable et plus désirable que toutes

Galat. VI, 10.

2 Joan. IX, 4.

les fortunes de l'univers. Dieu, libéral et magnifique dans tout le reste, nous apprend, par la sage économie de sa providence, combien nous devrions être circonspects sur le bon usage du temps, puisqu'il ne nous en donne jamais deux instants ensemble, et qu'il ne nous accorde le second qu'en retirant le premier, et qu'en retenant le troisième dans une entière incertitude si nous l'aurons. Le temps nous est donné pour ménager l'éternité et l'éternité ne sera pas trop longue pour regretter la perte du temps, si nous en avons abusé.

II. Toute notre vie est à Dieu aussi bien que tout notre cœur. L'un et l'autre ne sont pas trop pour lui. Il ne nous les a donnés que pour l'aimer et pour le servir. Ne lui en dérobons rien. Nous ne pouvons pas à tous moments faire de grandes choses, mais nous en pouvons toujours faire de convenables à notre état. Se taire, souffrir, prier, quand nous ne sommes pas obligés d'agir extérieurement, c'est beaucoup offrir à Dieu. Un contre-temps, une contradiction, un murmure, une importunité, une injustice reçue et soufferte dans la vue de Dieu, valent bien une demi-heure d'oraison; et on ne perd pas le temps, quand, en le perdant, on pratique la douceur et la patience. Mais pour cela il faut que cette perte soit inévitable, et que nous ne nous la procurions pas par notre faute. Ainsi réglez vos jours, et rachetez le temps, comme dit saint Paul, en fuyant le monde, et en abandonnant au monde des biens qui ne valent pas le temps qu'ils nous ôtent. Quittez les amusements, les correspondances inutiles, les épanchements de cœur qui flattent l'amourpropre, les conversations qui dissipent l'esprit et qui ne conduisent à rien. Vous trouverez du temps pour Dieu; et il n'y a de bien employé que celui qui est employé pour lui.

XXVIII JOUR.

Sur la présence de Dieu.

I. Marchez en ma présence, et soyez parfait 2. Voilà, Seigneur, ce que vous disiez au fidèle Abraham et en effet, qui marche en votre présence est dans la voie de la perfection. On ne s'écarte de cette voie sainte qu'en vous perdant de vue, et qu'en cessant de vous voir en tout. Hélas! où vais-je lorsque je ne vous vois plus, vous qui êtes ma lumière, et le terme unique où doivent tendre tous mes pas ? Vous regarder dans toutes les démarches que l'on fait, c'est le moyen de ne s'égarer jamais. O foi lu

1 Ephes. V, 16,

* Gen. XVII, 1.

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mineuse au milieu des ténèbres qui nous environrent! O regards pleins de confiance et d'amour, qui conduisez l'homme à la perfection! O Dieu, je ne vois que vous; c'est vous seul que je cherche et que je considère dans tout ce que mes yeux semblent regarder! L'ordre de votre providence est ce qui attire mon attention. Mon cœur ne veille que pour vous dans la multitude des affaires, des devoirs et des pensées qui m'occupent; parce qu'elles ne m'occupent que pour obéir à vos ordres. Ainsi je tâche de réunir toute mon attention en vous, ô souverain et unique objet de mon cœur! lors même que je suis obligé de partager mes soins selon les lois de votre divine volonté. Eh! que pourrais-je regarder dans ces viles créatures, si vous cessiez de m'y appliquer, et si je cessais de vous y voir?

II. J'ai donc résolu de tenir mes yeux levés vers les montagnes saintes, d'où j'attends toute ma force et tout mon secours1. C'est en vain que je m'appli querais uniquement à regarder à mes pieds, pour me délivrer des piéges innombrables qui m'environnent. Le danger vient d'en bas; mais la délivrance ne peut venir que d'en haut : c'est là que mes vœux s'élèvent pour vous voir. Tout est piége pour moi sur la terre, le dedans et le dehors. Tout est piége, Seigneur, sans vous. C'est vers vous seul que se portent mes yeux et mon cœur. Je ne veux voir que vous; je n'espère qu'en vous. Mes ennemis m'assiégent sans cesse: ma propre faiblesse m'effraye. Mais vous avez vaincu le monde pour vous et pour moi; et votre force toute-puissante soutiendra mon infirmité.

XXIX JOUR.

Sur l'amour que Dieu a pour nous.

1. Je vous ai aimé d'un amour éternel 2. Dieu n'a pas attendu que nous fussions quelque chose pour nous aimer: avant tous les siècles, et avant même que nous eussions l'être que nous possédons, il pensait à nous, et il n'y pensait que pour nous faire du bien. Ce qu'il avait médité dans l'éternité, il l'a exécuté dans le temps. Sa main bienfaisante a répandu sur nous toutes sortes de biens : nos infidélités mémes, ni nos ingratitudes, presque aussi nombreuses que ses faveurs, n'ont pu encore tarir la source de ses dons, ni arrêter le cours de ses grâces. O amour sans commencement, qui m'avez aimé durant des siècles infinis, et lors même que je ne pouvais le ressentir ni le reconnaître ! O amour sans mesure, qui m'avez fait ce que je suis, qui m'avez donné ce que

1 Ps. CXX, I.

2 Jerem. XXXI, 3.

j'ai, et qui m'en promettez encore infiniment davantage! O amour sans interruption et sans inconstance, que toutes les eaux amères de mes iniquités n'ont pu éteindre! Ai-je un cœur, ô mon Dieu! si je ne suis pas pénétré de reconnaissance et de tendresse pour vous?

II. Mais que vois-je? Un Dieu qui se donne luimême, après même avoir tout donné; un Dieu qui me vient chercher jusqu'au néant, parce que mon ⚫ péché m'a fait descendre jusque-là; un Dieu qui prend la forme d'un esclave, pour me délivrer de l'esclavage de mes ennemis; un Dieu qui se fait pauvre pour m'enrichir; un Dieu qui m'appelle, et qui court après moi quand je le fuis; un Dieu qui expire dans les tourments pour m'arracher des bras de la mort et pour me rendre une vie heureuse : et je ne veux souvent ni de lui, ni de la vie qu'il me présente! Pour qui prendrait-on un homme qui aimerait un autre homme comme Dieu nous aime? et de quels anathèmes ne se rend pas digne, après cela, celui qui n'aimera pas le Seigneur Jésus!

XXX JOUR.

Sur l'amour que nous devons avoir pour Dieu.

I. Qu'ai-je à désirer dans le ciel, et que puis-je aimer sur la terre, si ce n'est vous, 6 mon Dieu 2! Souvent, quand nous disons à Dieu que nous l'aimons de tout notre cœur, c'est un langage, c'est un discours sans réalité : on nous a appris à parler ainsi dans notre enfance; et nous continuons, quand nous sommes grands, sans savoir bien souvent ce que nous disons. Aimer Dieu, c'est n'avoir point d'autre volonté que la sienne, c'est observer fidèlement sa sainte loi, c'est avoir horreur du péché. Aimer Dieu, c'est aimer ce que Jésus-Christ a aimé, la pauvreté, les humiliations, les souffrances; c'est haïr ce que Jésus-Christ a haï, le monde, la vanité, les passions. Peut-on croire qu'on aime un objet auquel on ne voudrait pas ressembler? Aimer Dieu, c'est s'entretenir volontiers avec lui, c'est désirer d'aller à lui, c'est soupirer et languir après lui. Oh! le faux amour que celui qui ne se soucie pas de voir ce qu'il aime!

II. Le Sauveur est venu apporter un feu divin sur la terre, et son désir est que ce feu brûle 3 et consume tout. Cependant les hommes vivent dans une froideur mortelle. Ils aiment un peu de métal, une maison, un nom, un titre en l'air, une chimère qu'ils appellent réputation; ils aiment une

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conversation, un amusement qui leur échappe. Il n'y a que Dieu pour qui il ne leur reste point d'amour. Tout s'épuise pour les créatures les plus méprisables. Ne voudrons-nous jamais goûter le bonheur de l'amour divin? Jusques à quand préférerons-nous d'aimer les créatures les plus empoisonnées? O Dieu! régnez sur nous malgré nos infidélités! que le feu de votre amour éteigne tout autre feu! Que pouvons-nous voir d'aimable hors de vous, que nous ne trouvions parfaitement en vous qui êtes la source de tout bien? Accordez-nous la grâce de vous aimer, et nous n'aimerons plus que vous, et nous vous aimerons éternellement.

XXXI JOUR.

Sur les sentiments de l'amour divin.

I. O Dieu de mon cœur! 6 Dieu mon partage pour jamais ! Peut-on vous connaître, ô mon Dieu! et ne vous pas aimer, vous qui surpassez en beauté, en vertu, en grandeur, en pouvoir, en bonté, en libéralité, en magnificence, en toutes sortes de perfections, et, ce qui me touche de plus près, en amour pour moi, tout ce que les esprits créés peuvent comprendre? Le respect et l'inégalité entre vous et moi devraient, ce semble, m'arrêter : mais vous me permettez, c'est trop peu dire, vous m'ordonnez de vous aimer. Après cela, Seigneur, je ne me connais plus et je ne me possède plus. O amour sacré, qui avez blessé mon cœur, et qui de vos propres traits vous êtes vous-même blessé pour moi, venez me guérir, ou plutôt venez rendre la blessure que vous m'avez faite encore plus profonde et plus vive! Séparez-moi de toutes les créatures; elles m'incommodent, elles m'importunent: vous seul me suffisez, et je ne veux plus que vous.

II. Quoi il sera dit que les amants insensés de la terre porteront jusqu'à un excès de délicatesse et d'ardeur leurs folles passions; et on ne vous aimerait que faiblement et avec mesure! Non, non, mon Dieu; il ne faut pas que l'amour profane l'emporte sur l'amour divin. Faites voir ce que vous pouvez sur un cœur qui est tout à vous. L'accès vous en est ouvert, les ressorts vous en sont connus. Vous savez ce que votre grâce est capable d'y exciter. Vous n'attendez que mon consentement et que l'acquiescement de ma liberté. Je vous donne mille et mille fois l'un et l'autre. Prenez tout: agissez en Dieu; embrasez-moi; consumez-moi. Faible et impuissante créature que je suis, je n'ai rien à vous donner que mon amour. Augmentez-le, Seigneur.

1 Ps. LXXII, 26.

et rendez-le plus digne de vous. Oh! si j'étais capable de faire pour vous de grandes choses! Oh! si j'avais beaucoup à vous sacrifier! Mais tout ce que je puis n'est rien. Soupirer, languir, aimer, et mourir pour aimer encore davantage, c'est désormais tout ce que je veux.

MÉDITATIONS

SUR DIVERS SUJETS

TIRÉS DE L'ÉCRITURE SAINTE.

I. DE LA VRAIE CONNAISSANCE DE L'ÉVANGILE. Seigneur, à qui irions-nous, sinon à vous qui avez les paroles de la vie éternelle? S. Jean, VI, 69.

Nous ne connaissons point assez l'Évangile; et ce qui nous empêche de l'apprendre, c'est que nous croyons le savoir. Nous en ignorons les maximes, nous n'en pénétrons point l'esprit, nous recherchons curieusement les paroles des hommes, et nous négligeons celles de Dieu. Une parole de l'Évangile est plus précieuse que tous les autres livres du monde ensemble; c'est la source de toute vérité. Avec quel amour, avec quelle foi, avec quelle adoration devrions-nous y écouter Jésus-Christ! Disons-lui donc désormais avec saint Pierre: Seigneur, à qui irionsnous? Un moment de recueillement, d'amour et de présence de Dieu, fait plus voir et entendre Ja vérité, que tous les raisonnements des hommes.

II. DU CHANGEMENT DE la lumière EN
TÉNÈBRES.

Prenez donc garde que la lumière qui est en vous ne soit que ténèbres. S. Luc, x1, 35.

Il n'est pas étonnant que nos défauts nous défigurent au yeux de Dieu. Mais que nos vertus mêmes ne soient souvent que des imperfections, c'est ce qui doit nous faire trembler. Souvent notre sagesse n'est qu'une politique charnelle et mondaine; notre modestie, qu'un extérieur composé et hypocrite pour garder les bienséances et nous attirer des louanges; notre zèle, qu'un effet de l'humeur ou de l'orgueil; notre franchise qu'une brusquerie, et ainsi du reste. Avec quelle lâcheté sont exécutés en détail les sacrifices que nous faisons à Dieu, et qui paraissent les plus éclatants! Craignons que la lumière se change en ténèbres.

III. DES PIÉGES ET DE LA TYRANNIE DU

MONDE.

Malheur au monde à cause de ses scandales! S. Matth. XVIII, 7.

Que volontiers, Seigneur, je répète cette terrible parole de Jésus-Christ votre fils et mon sauveur! Elle est terrible pour le monde à jamais réprouvé, mais elle est douce et consolante pour ceux qui vous aiment et qui le méprisent. Elle serait pour moi un coup de foudre, si jamais je me rengageais contre vous dans la servitude du siècle. Ah! monde aveugle et injuste tyran! tu flattes pour trahir; tu amuses pour donner le coup de la mort. Tu ris, tu fais rire; tu méprises ceux qui pleurent; tu ne cherches qu'à enchanter les sens par une vaine joie qui se tourne en poison; mais tu pleureras éternellement, pendant que les enfants de Dieu seront consoles. Oh! que je méprise tes mépris, et que je crains tes complaisances!

IV. COMBIEN PEU RENONCENT A L'AMOUR DU MONDE, QUI EST SI DIGNE DE MÉPRIS. N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. I Ép. de S. Jean, 11, 15.

Que ces paroles ont d'étendue! Le monde est cette multitude aveugle et corrompue que JésusChrist maudit dans l'Évangile, et pour lequel il ne veut pas même prier en mourant. Chacun parle contre le monde, et chacun a pourtant le monde dans son cœur. Le monde n'est que l'assemblage des gens qui s'aiment eux-mêmes, et qui aiment les créatures sans rapport à Dieu. Nous sommes donc le monde nous-mêmes, puisqu'il ne faut pour cela que s'aimer, et que chercher dans les créatures ce qui n'est qu'en Dieu. Avouons que nous appartenons au monde, et que nous n'avons point l'esprit de Jésus-Christ. Quelle pitié de renoncer en apparence au monde, et d'en conserver les sentiments! Jalousie pour l'autorité, amour pour la réputation qu'on ne mérite paş, dissipation dans les compagnies, recherche des commodités qui flattent la chair, lâcheté dans les exercices chrétiens, inapplication à étudier les vérités de l'Évangile : voilà le monde. Il vit en nous, nous voulons vivre en lui, puisque nous désirons tant qu'on nous aime, et que nous craignons qu'on nous oublie. Heureux le saint Apôtre pour qui le monde était crucifié, et qui l'était aussi pour le monde1.

Galat. VI, 14.

V. SUR LA VÉRITABLE PAIX.

Je vous donne la paix, non comme le monde la donne. S. Jean, XIV, 27.

Quel bonheur de savoir combien le monde est méprisable! C'est sacrifier à Dieu peu de chose, que de lui sacrifier ce fantôme. Qu'on est faible quand on ne le méprise pas autant qu'il le mérite! qu'on est à plaindre quand on croit avoir beaucoup quitté en le quittant! Tout chrétien y a renoncé par son baptême les personnes religieuses et retirées ne font donc que suivre cet engagement avec plus de précaution que les autres. C'est avoir cherché le port en fuyant la tempête. Le monde promet la paix, il est vrai, mais il ne la donne jamais; il cause quelques plaisirs passagers, mais ces plaisirs coûtent plus qu'ils ne valent. Jésus-Christ seul peut mettre l'homme en paix; il l'accorde avec lui-même; il soumet ses passions; il borne ses désirs; il le console par son amour; il lui donne la joie dans la peine même : ainsi cette joie ne peut lui être ôtée.

VI. JÉSUS-CHRIST A REFUSÉ DE PRIER POUR

LE MONDE.

Je ne prie point pour le monde. S. Jean, xvII, 9. Jésus-Christ mourant prie pour ses bourreaux, et refuse de prier pour le monde. Que dois-je donc penser de ces hommes qu'on appelle honnêtes gens, et que j'ai appelés mes amis, puisque les persécuteurs et les meurtriers de Jésus-Christ lui sont moins odieux que ces hommes auxquels j'avais livré mon cœur? Que puis-je attendre de ma faiblesse dans les compagnies où l'on se pique d'oublier Dieu, de traiter la piété de faiblesse, et de suivre tous ses désirs? Puisje croire que j'aime Dieu, et que je ne rougisse point de son Évangile, si j'aime tant la société de ses ennemis et si je crains de leur déplaire en témoignant que je crains Dieu? O Seigneur! soutenez-moi contre les torrents du monde; rompez mes liens; éloignez-moi des tabernacles des pécheurs; unissez-moi avec ceux qui vous aiment !

VII. SUR LA FUITE DU MONDE.
Malheur au monde, à cause de ses scandales!
S. Matth. xvII, 7.

Le monde porte déjà sur son front la condamnation de Dieu, et il ose s'ériger en juge pour décider de tout. On veut aimer Dieu, et on craint lâchement de déplaire au monde, son irréconciliable ennemi. O âme adultère, et infidèle à l'époux sacré! ne savezvous pas que l'amitié du monde rend ennemi de Dieu?

Malheur donc à ceux qui plaisent au monde, ce juge aveugle et corrompu!

Mais qu'est-ce que le monde? est-ce un fantôme? Non; c'est cette foule d'amis profanes qui m'entretiennent tous les jours; qui passent pour honnêtes gens, qui ont de l'honneur, que j'aime et dont je suis aimé, mais qui ne m'aiment point pour Dieu. Voilà mes plus dangereux ennemis. Un ennemi déclaré ne tuerait que mon corps; ceux-ci ont tué mon âme. Voilà le monde que je dois fuir avec horreur, si je veux suivre Jésus-Christ.

VIII. SUR LE MÊME SUJET.

Le monde est crucifié pour moi, comme je suis crucifié pour le monde. Gal. vi, 14.

Il ne suffit pas, selon l'Apôtre, que le monde soit crucifié pour nous, il faut que nous le soyons aussi pour lui. On croit être bien loin du monde, parce qu'on est dans une retraite; mais on parle le langage du monde; on en a les sentiments, les curiosités, on veut de la réputation, de l'amitié, de l'amusement; on a encore des idées de noblesse; on souffre avec répugnance les moindres humiliations. On veut bien, dit-on, oublier le monde; mais on ressent, dans le fond de son cœur, qu'on ne veut pas être oublié par lui. En vain cherche-t-on un milieu entre JésusChrist et le monde.

IX. QUE, DANS LA VOIE DE LA PERFECTION, LES PREMIERS SONT BIEN SOUVENT ATTEINTS ET DEVANCÉS PAR LES DERNIERS.

Ceux qui étaient les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers. S. Luc, XIII, 30.

Combien d'âmes, qui, dans une vie commune, auront atteint à la perfection, pendant que les épouses du Seigneur, comblées de grâces, appelées à goûter la manne céleste, auront langui dans une vie lâche et imparfaite! Combien de pécheurs, qui, après avoir passé tant d'années dans l'égarement et dans l'ignorance de l'Évangile, laisseront tout d'un coup derrière eux, par la ferveur de leur pénitence, les âmes qui avaient goûté, dès leur plus tendre jeunesse, les dons du Saint-Esprit, et que Dieu avait prévenues de ses plus douces bénédictions! Qu'il sera beau aux derniers de remporter ainsi la couronne, et d'être, par leur exemple, la condamnation des autres ! Mais qu'il sera douloureux aux premiers de devenir les derniers,de se voir derrière ceux dont ils étaient autrefois le modèle, de perdre leurs couronnes, et de les perdre pour quelques amusements qui les ont retardés! Je ne saurais voir le recueillement de cer

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