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lonté. Aussi est-ce celle dont Dieu est jaloux, car il nous l'a donnée, non afin que nous la gardions, et que nous en demeurions propriétaires, mais afin que nous la lui rendions tout entière, telle que nous l'avons reçue, et sans en rien retenir. Quiconque réserve le moindre désir ou la moindre répugnance en propriété fait un larcin à Dieu contre l'ordre de la création. Tout vient de lui, et tout lui est dû.

Hélas! combien d'âmes, propriétaires d'ellesmêmes, qui voudraient faire le bien et aimer Dieu, mais selon leur goût et par leur mouvement propre; qui voudraient donner à Dieu des règles dans la manière de les satisfaire et de les attirer à lui! Elles veulent le servir et le posséder; mais elles ne veulent pas se donner à lui et se laisser posséder. Quelle résistance Dieu ne trouve-t-il pas dans ces âmes, lors même qu'elles paraissent si pleines de zèle et de ferveur ! Il est certain même qu'en un sens leur abondance spirituelle leur devient un obstacle; car elles ont tout, même jusqu'aux vertus, en propriété et avec une continuelle recherche d'elles-mêmes dans le bien. Oh! qu'une âme bien pauvre, bien renonçante à sa propre vie et à tous ses mouvements naturels, bien désappropriée de toute volonté pour ne plus vouloir que ce que Dieu lui fait vouloir à chaque moment, selon les règles de son Évangile et selon le cours de sa providence, est au-dessus de toutes ces âmes ferventes et lumineuses qui veulent toujours marcher dans les vertus par leur propre chemin!

Voilà le sens profond des paroles de Jésus-Christ, prises dans toute leur étendue : Que celui qui veut être mon disciple se renonce, et qu'il me suive1. Il faut suivre pas à pas Jésus-Christ, et non pas s'ouvrir une route vers lui. On ne le suit qu'en se renonçant. Qu'est-ce que se renoncer, sinon abandonner tout droit sur soi sans reserve? Aussi saint Paul nous dit-il 2: Vous n'êtes plus à vous: non, il ne nous reste plus rien en nous qui nous appartienne. Malheur à qui se reprend après s'être donné!

Je prie le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation de vous arracher votre propre cœur, et de ne pas vous en laisser la moindre parcelle. Il en coûte beaucoup dans une si douloureuse opération; on a bien de la peine à laisser faire Dieu, et à demeurer sous sa main quand il coupe jusqu'au vif. Mais c'est la patience des saints et le sacrifice de la pure foi.

Laissons Dieu faire de nous tout ce qu'il voudra. Jamais aucune résistance volontaire d'un seul moment. Dès que nous apercevons la révolte des sens

Matth. XVI, 24; Luc. XIV, 27, 33. ■ I. Cor. VI, 19.

et de la nature, tournons-nous vers Dieu avec confiance, et soyons pour lui contre la nature lâche et rebelle; livrons-la à l'esprit de Dieu qui la fera peu à peu mourir. Veillons en sa présence contre les moindres fautes, pour ne jamais contrister le SaintEsprit, qui est jaloux de tout ce qui se passe dans l'intérieur. Profitons des fautes que nous aurons faites, par un sentiment humble de notre misère, sans découragement et sans lassitude.

Peut-on mieux glorifier Dieu qu'en se désappropriant de soi-même et de toute volonté, pour le laisser faire selon son bon plaisir ? C'est alors qu'il est véritablement notre Dieu, et que son règne arrive en nous, lorsque, indépendamment de tous les secours extérieurs et de toutes les consolations intérieures, nous ne regardons plus, et au dedans et au dehors, que la seule main de Dieu qui fait tout, et que nous ne cessons point d'adorer.

Vouloir le servir en un lieu plutôt qu'en un autre par une telle voie et non par celle qui y est opposée, c'est vouloir le servir à notre mode, et non à la sienne. Mais être également prêt à tout, vouloir tout et ne vouloir rien, se laisser comme un jouet dans les mains de la Providence, ne mettre point de bornes à cette soumission, comme l'empire de Dieu n'en peut souffrir, c'est le servir en se renonçant soi-même; c'est le traiter véritablement en Dieu, et nous traiter en créature qui n'est faite que pour lui.

Oh! que nous serions heureux, s'il nous mettait aux plus rudes épreuves pour lui donner la moindre gloire! A quoi sommes-nous bons, si celui qui nous a faits trouve encore quelque résistance ou quelque réserve dans notre cœur, qui est son ouvrage?

Ouvrez donc votre cœur, mais ouvrez-le sans mesure, afin que Dieu et son amour y entrent sans mesure comme un torrent. Ne craignez rien dans le chemin où vous marchez. Dieu vous mènera comme par la main, pourvu que vous ne doutiez pas, et que vous soyez plus rempli de son amour que de crainte par rapport à vous.

XXXV.

Recevoir avec soumission ce que Dieu fait au dehors et au dedans de nous.

Ce qu'il y a de meilleur à faire, c'est de recevoir également et avec la même soumission toutes les différentes choses que Dieu nous donne dans la journée, et au dedans et au dehors de nous.

Au dehors, il y a des choses désagréables qu'il faut supporter courageusement, et des choses agréables auxquelles il ne faut point arrêter son cœur.

On résiste aux tentations des choses contraires en les acceptant, et l'on résiste aux choses flatteuses en refusant de leur ouvrir son cœur. Pour les choses du dedans, il n'y a qu'à faire de même. Celles qui sont amères servent à crucifier, et elles opèrent dans l'âme selon toute leur vertu, si nous les recevons simplement avec une acceptation sans bornes, et sans chercher à les adoucir. Celles qui sont douces, et qui nous sont données pour soutenir notre faiblesse par une consolation sensible dans les exercices extérieurs, doivent aussi être acceptées, mais d'une autre façon. Il faut les recevoir, puisque c'est Dieu qui les donne pour notre besoin; mais il faut les recevoir, non pour l'amour d'elles, mais par conformité aux desseins de Dieu. Il faut en user dans le moment, comme on use d'un remède, sans complaisance, sans attachement, sans propriété. Ces dons doivent être reçus en nous, mais ils ne doivent point tenir en nous, afin que, quand Dieu les retirera, leur privation ne nous trouble ni ne nous décourage jamais. La source de la présomption est dans l'attachement à ces dons passagers et sensibles. On s'imagine ne compter que sur le don de Dieu; mais on compte sur soi, parce qu'on s'approprie le don de Dieu, et qu'on le confond avec soimême. Le malheur de cette conduite, c'est que toutes les fois qu'on trouve quelque mécompte en soi-même, on tombe dans le découragement. Mais une âme qui ne s'appuie que sur Dieu, n'est point surprise de sa propre misère : elle se plaît à voir qu'elle ne peut rien, et que Dieu seul peut tout. Je ne me soucie guère de me voir pauvre, sachant que mon père possède des biens infinis qu'il me veut donner. Ce n'est qu'en nourrissant son cœur de la pure confiance en Dieu, qu'on s'accoutume à se passer de la confiance en soi-même.

C'est pourquoi il faut moins compter sur une ferveur sensible, et sur certaines mesures de sagesse que l'on prend avec soi-même pour sa perfection, que sur une simplicité, une petitesse, un renoncement à tout mouvement propre, et une souplesse parfaite pour se laisser aller à toutes les impressions de la grâce. Tout le reste, en établissant des vertus éclatantes, ne ferait que nous inspirer secrètement plus de confiance en nos propres efforts.

Prions Dieu qu'il arrache de notre cœur tout ce que nous voudrions y planter nous-mêmes, et qu'il y plante de ses propres mains l'arbre de vie chargé de fruits.

XXXVI.

Sur l'utilité et le bon usage des croix.. On a bien de la peine à se convaincre de la bonté

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avec laquelle Dieu accable de croix ceux qu'il aime. Pourquoi, dit-on, prendre plaisir à nous faire souf. frir? Ne saurait-il nous rendre bons sans nous rendre misérables? Oui, sans doute, Dieu le pouvait; car rien ne lui est impossible. Il tient dans ses mains toutes-puissantes les cœurs des hommes, et les tourne comme il lui plaît, ainsi que la main d'un fontainier donne aux eaux, sur le sommet d'une montagne, la pente qu'il veut. Mais Dieu, qui a pu nous sauver sans croix, n'a pas voulu le faire; de même qu'il a mieux aimé laisser les hommes croître peu à peu, avec tous les embarras et toutes les faiblesses de l'enfance, que de les faire naître avec toute la force d'un âge mûr: Sur cela il est le maître; nous n'avons qu'à nous taire, et qu'à adorer sa profonde sagesse sans la comprendre. Ce que nous voyons clairement, c'est que nous ne pouvons devenir entièrement bons qu'autant que nous deviendrons humbles, désintéressés, détachés de nous-mêmes, pour rapporter tout à Dieu sans aucun retour sur

nous.

L'opération de la grâce, qui nous détache de nous-mêmes et qui nous arrache à notre amour-propre, ne peut, sans un miracle de grâce, éviter d'être douloureuse. Dieu, dans l'ordre de la grâce, non plus que dans celui de la nature, ne fait pas tous les jours des miracles. Ce serait pour la grâce un aussi grand miracle de voir une personne pleine d'ellemême, en un moment morte à tout intérêt propre et à toute sensibilité, que ce serait un grand miracle de voir un enfant qui se couche enfant, et qui se lèverait le lendemain grand comme un homme de trente ans. Dieu cache son opération, dans l'ordre de la grâce comme dans celui de la nature, sous une suite insensible d'événements. C'est par là qu'il nous tient dans les o curités de la foi. Non-seulement il fait son ouvrage peu à peu, mais il le fait par des voies qui paraissent les plus simples et les plus convenables pour y réussir, afin que les moyens paraissant propres au succès, la sagesse humaine attribue le succès aux moyens qui sont comme naturels, et qu'ainsi le doigt de Dieu y soit moins marqué : autrement tout ce que Dieu fait serait un perpétuel miracle, qui renverserait l'état de foi où Dieu veut que nous vivions.

Cet état de foi est nécessaire, non-seulement pour exercer les bons, en leur faisant sacrifier leur raison dans une vie pleine de ténèbres, mais encore pour aveugler ceux qui méritent par leur présomption, de s'aveugler eux-mêmes. Ceux-ci, voyant les ouvrages de Dieu, ne les comprennent point; ils n'y trouvent rien que de naturel. Ils sont privés de la vraie intelligence, parce qu'on ne la mérite qu'autant

qu'on se défie de son propre esprit, et que la sagesse superbe est indigne de découvrir les conseils de Dieu.

C'est donc pour tenir dans l'obscurité de la foi P'opération de la grâce, que Dieu rend cette opération lente et douloureuse. Il se sert de l'inconstance, de l'ingratitude des créatures, des mécomptes et des dégoûts qu'on trouve dans les prospérités, pour nous détacher des créatures et des prospérités trompeuses. Il nous désabuse de nous-mêmes par l'expérience de notre faiblesse et de notre corruption dans une infinité de rechutes. Tout cela paraît naturel, et c'est cette suite de moyens comme naturels qui nous fait brûler à petit feu. On voudrait bien être consumé tout d'un coup par les flammes du pur amour; mais cette destruction si prompte ne nous coûterait presque rien. C'est par un excès d'amourpropre qu'on voudrait ainsi devenir parfait en un moment et à si bon marché.

Qu'est-ce qui nous révolte contre la langueur des croix? C'est l'attachement à nous-mêmes, et c'est cet attachement que Dieu veut détruire; car, tandis que nous tenons encore à nous-mêmes, l'œuvre de Dieu ne s'achève point. De quoi pouvons-nous donc nous plaindre? Notre mal est d'être attaché aux créatures, et encore plus à nous-mêmes. Dieu prépare une suite d'événements qui nous détache peu à peu des créatures et qui nous arrache enfin à nous-mêmes. Cette opération est douloureuse; mais c'est notre corruption qui la rend nécessaire, et qui est cause de la douleur que nous souffrons. Si cette chair était saine, le chirurgien n'y ferait aucune incision. Il ne coupe qu'à proportion que la plaie est profonde, et que la chair est plus corrompue. Si l'opération nous cause tant de douleur, c'est que le mal est grand. Est-ce cruauté au chirurgien de couper jusqu'au vif? Non, tout au contraire c'est affection, c'est habileté; il traiterait ainsi son fils unique.

Dieu nous traite de même. Il ne nous fait jamais aucun mal que malgré lui, pour ainsi dire. Son cœur de père ne cherche point à nous désoler; mais il coupe jusqu'au vif pour guérir l'ulcère de notre cœur. Il faut qu'il nous arrache ce que nous aimons trop, ce que nous aimons mal et sans règle, ce que nous aimons au préjudice de son amour. En cela que fait-il? il nous fait pleurer comme des enfants à qui on ôte le couteau dont ils se jouent, et dont ils pourraient se tuer. Nous pleurons, nous nous décourageons, nous crions les hauts cris; nous sommes prêts à murmurer contre Dieu, comme les enfants sedépitent contre leurs mères. Mais Dieu nous laisse pleurer, et nous sauve. Il ne nous afflige que

pour nous corriger. Lors même qu'il paraît nous accabler, c'est pour notre bien, c'est pour nous épargner les maux que nous nous ferions à nousmêmes. Ce que nous pleurons nous aurait fait pleurer éternellement; ce que nous croyons perdu était perdu quand nous pensions le posséder: Dieu l'a mis en sûreté pour nous le rendre bientôt dans l'éternité qui s'approche. Il ne nous prive des choses que nous aimons que pour nous les faire aimer d'un amour pur, solide et modéré, pour nous en assurer l'éternelle jouissance dans son sein, et pour nous faire cent fois plus de bien que nous ne saurions nous en désirer à nous-mêmes.

Il n'arrive rien sur la terre que Dieu n'ait voulu. C'est lui qui fait tout, qui règle tout, qui donne à chaque chose tout ce qu'elle a. Il a compté les cheveux de notre tête, les feuilles de chaque arbre, les grains de sable du rivage, et les gouttes d'eau qui composent les abîmes de l'Océan. En faisant l'univers, sa sagesse a mesuré et pesé jusqu'au dernier atome. C'est lui qui en chaque moment produit et renouvelle le souffle de vie qui nous anime; c'est lui qui a compté nos jours, qui tient dans ses puissantes mains les clefs du tombeau, pour le fermer ou pour l'ouvrir. Ce qui nous frappe le plus n'est rien aux yeux de Dieu : un peu plus ou un peu moins de vie sont des différences qui disparaissent en présence de son éternité. Qu'importe que ce vase fragile, ce corps de boue, soit brisé et réduit en cendres un peu plus tôt ou un peu plus tard?

Oh! que nos vues sont courtes et trompeuses! On est consterné de voir une personne mourir en la fleur de son âge. Quelle horrible perte! dit-on. Mais pour qui est la perte? Que perd celui qui meurt? Quelques années de vanité, d'illusion et de danger pour la mort éternelle. Dieu l'enlève du milieu des iniquités, et se hâte de l'arracher au monde corrompu et à sa propre fragilité. Que perdent les personnes dont il était aimé? Elles perdent le poison d'une félicité mondaine; elles perdent un enivrement perpétuel, elles perdent l'oubli de Dieu et d'elles-mêmes, où elles étaient plongées; ou plutôt elles gagnent, par la vertu de la croix, le bonheur du détachement. Le même coup qui sauve la personne qui meurt prépare les autres à se détacher par la souffrance, pour travailler courageusement à leur salut. Oh! qu'il est donc vrai que Dieu est bon, qu'il est tendre, qu'il est compatissant à nos vrais maux lors même qu'il paraît nous foudroyer, et que nous sommes tentés de nous plaindre de sa rigueur!

Quelle différence trouvons-nous maintenant entre deux personnes qui ont vécu il y a cent ans? L'une est morte vingt ans avant l'autre; mais enfin elles

sont mortes toutes deux. Leur séparation, qui a pa- | donc la source de nos larmes et de nos douleurs! ru dans le temps si longue et si rude, ne nous paraît plus maintenant et n'était dans la vérité qu'une courte séparation. Bientôt ce qui est séparé sera réuni, et il ne paraîtra aucune trace de cette séparation si courte. On se regarde comme immortel, ou du moins comme devant vivre des siècles. Folie de l'esprit humain! Ceux qui meurent tous les jours suivent de bien près ceux qui sont déjà morts. Celui qui va partir pour un voyage ne doit pas se croire éloigné de celui qui prit les devants il n'y a que deux jours. La vie s'écoule comme un torrent. Le passé n'est plus qu'un songe; le présent, dans le moment que nous croyons le tenir, nous échappe, et se précipite dans cet abîme du passé. L'avenir ne sera point d'une autre nature, il passera aussi rapidement. Les jours, les mois, les années se pressent comme les flots d'un torrent se poussent l'un l'autre. Encore quelques moments, encore un peu, dis-je, et tout sera fini. Hélas! que ce qui nous paraît long par l'ennui et par la tristesse nous paraîtra court quand il finira!

C'est par faiblesse d'amour-propre que nous sommes si sensibles à notre état. Le malade qui dort mal la nuit trouve la nuit d'une longueur sans fin; mais cette nuit est aussi courte que les autres. On exagère par lâcheté toutes ses souffrances: elles sont grandes, mais la délicatesse les augmente encore. Le vrai moyen de les raccourcir, c'est de s'abandonner à Dieu courageusement. Il est vrai qu'on souffre; mais Dieu veut cette souffrance pour nous purifier, et pour nous rendre dignes de lui. Le monde nous riait, et cette prospérité empoisonnait notre cœur. Voudraiton passer toute sa vie jusqu'au moment terrible de la mort dans cette mollesse, dans ces délices, dans cet éclat, dans cette vaine joie, dans ce triomphe de l'orgueil, dans ce goût du monde ennemi de JésusChrist, dans cet éloignement de la croix qui seule nous doit sanctifier? Le monde nous tournera le dos, nous oubliera avec ingratitude, nous méconnaîtra, nous mettra au rang des choses qui ne sont plus. Eh bien! faut-il s'étonner que le monde soit toujours monde, injuste, trompeur, perfide? C'est pourtant là ce monde que nous n'avions pas honte d'aimer, et que peut-être nous voudrions pouvoir aimer encore. C'est à ce monde abominable que Dieu nous arrache, pour nous délivrer de sa servitude maudite, et pour nous faire entrer dans la liberté des âmes Detachées; et c'est là ce qui nous désole. Si nous sommes si sensibles à l'indifférence de ce monde qui est si méprisable et si digne d'horreur, il faut que nous soyons bien ennemis de nous-mêmes. Quoi! nous ne pouvons souffrir ce qui nous est si bon, et nous regrettons tant ce qui nous est si funeste! Voilà

Oh! mon Dieu, vous qui voyez le fond de notre misère, vous seul pouvez nous en guérir. Hâtez-vous de nous donner la foi, l'espérance, l'amour, le courage chrétien qui nous manquent. Faites que nous jetions sans cesse les yeux sur vous, ô Père toutpuissant, qui ne donnez rien à vos chers enfants que pour leur salut, et sur Jésus votre Fils, qui est notre modèle dans les souffrances. Vous l'avez attaché sur la croix pour nous; vous l'avez fait l'homme de douleurs pour nous apprendre combien les douleurs sont utiles. Que la nature molle et lâche se taise donc à la vue de Jésus rassasié d'opprobres et écrasé par les souffrances. Relevez mon cœur, ô mon Dieu! donnez-moi un cœur selon le vôtre, qui s'endurcisse contre soi-même, qui ne craigne que de vous déplaire, qui du moins craigne les douleurs éternelles, et non pas celles qui nous préparent votre royaume. Seigneur, vous voyez la faiblesse et la désolation de votre créature: elle n'a plus de ressource en ellemême, tout lui manque. Tant mieux, pourvu que vous ne lui manquiez jamais, et qu'elle cherche en vous avec confiance tout ce qu'elle désespère de trouver dans son propre cœur.

XXXVII.

Il n'y a que le pur amour qui sache souffrir comme il faut.

On sait qu'il faut souffrir, et qu'on le mérite; cependant on est toujours surpris de la souffrance; comme si on croyait ne la mériter ni en avoir besoin. Il n'y a que le vrai et pur amour qui aime à souffrir, parce qu'il n'y a que le vrai et pur amour qui s'abandonne. La résignation fait souffrir; mais il y a en elle quelque chose qui souffre de souffrir, et qui résiste. La résignation, qui ne donne rien à Dieu qu'avec mesure et avec réflexion sur soi, veut bien souffrir; mais elle se tâte souvent, craignant de souffrir mal. A parler proprement, on est comme deux personnes dans la résignation: l'une dompte l'autre, et veille sur elle pour l'empêcher de se révolter. Dans le pur amour, qui est désapproprié et abandonné, l'âme se nourrit en silence de la croix et de l'union à JésusChrist crucifié, sans aucun retour sur sa souffrance. Il n'y a qu'une volonté unique, simple, qui se laisse voir à Dieu telle qu'elle est, sans songer à se voir elle-même. Elle ne dit rien; elle ne remarque rien. Que fait-elle? Elle souffre. Est-ce tout? Oui, c'est tout; elle n'a qu'à souffrir. L'amour se fait assez entendre sans parler et sans penser. Il fait l'unique chose qu'il a à faire, qui est de ne vouloir rien quand il manque de toute consolation. Une volonté rassa

siée de celle de Dieu, pendant que tout le reste lui est ôté, est le plus pur de tous les amours.

Quel soulagement de penser qu'on n'a donc point tant d'inquiétudes à se donner pour s'exciter sans cesse à la patience, et pour être toujours en garde et tendu, afin de soutenir le caractère d'une vertu accomplie au dehors! Il suffit d'être petit et abandonné dans la douleur. Ce n'est point courage; c'est quelque chose de moins et de plus : de moins, aux yeux du commun des hommes vertueux; de plus, aux yeux de la pure foi. C'est une petitesse en soi, qui met l'âme dans toute la grandeur de Dieu; c'est une faiblesse qui désapproprie de toute force, et qui donne la toute-puissance de Dieu. Quand je suis faible, dit saint Paul, c'est alors que je suis puissant : je puis tout en celui qui me fortifie1.

Alors il suffit de se nourrir par quelque courte lecture proportionnée à son état et à son goût, mais souvent interrompue pour soulager les sens, et pour faire place à l'esprit intérieur qui met en recueillement. Deux mots simples, sans raisonnement, et pleins de l'onction divine, sont la manne cachée. On oublie ces paroles; mais elles opèrent secrètement, et on s'en nourrit; l'âme en est engraissée. Quelquefois on souffre sans savoir presque si l'on souffre : d'autres fois on souffre et on trouve qu'on souffre mal, et on supporte son impatience comme une seconde croix plus pesante que la première, mais rien n'arrête, parce que le vrai amour va toujours, n'allant point pour lui-même et ne se comptant plus pour rien. Alors on est vraiment heureux. La croix n'est plus croix quand il n'y a plus un moi pour la souffrir, et qui s'approprie les biens et les maux.

XXXVIII.

La paix intérieure ne se trouve que dans un entier abandon à la volonté de Dieu.

Il n'y aura jamais de paix pour ceux qui résistent a Dieu s'il y a quelque joie au monde, elle est réservée à la conscience pure : toute la terre est un lieu de tribulation et d'angoisse pour une mauvaise conscience.

Oh! que la paix qui vient de Dieu est différente de celle qui vient du siècle! Elle calme les passions; elle entretient la pureté de la conscience; elle est inséparable de la justice; elle unit à Dieu; elle nous fortifie contre les tentations. Cette pureté de conscience s'entretient par la fréquentation des sacrements. La tentation, si elle ne nous surmonte point,

porte toujours son fruit avec elle. La paix de l'âme

1 II. Cor. XII, 10. Philip. IV, 13.

consiste dans une entière resignation à la volonté de Dieu.

Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous vous troublez pour bien des choses; il n'y en a qu'une de nécessaire 1. Une vraie simplicité, un certain calme d'esprit qui est le fruit d'un entier abandon à tout ce que Dieu veut, une patience et un support pour les défauts du prochain, que la présence de Dieu inspire, une certaine candeur et une certaine docilité d'enfant pour avouer ses fautes, pour vouloir en être repris, et pour se soumettre au conseil des personnes expérimentées, seront des vertus solides, utiles, et propres pour vous sanctifier.

La peine que vous avez sur un grand nombre de choses, vient de ce que vous n'acceptez pas avec assez d'abandon à Dieu tout ce qui peut vous arriver. Mettez donc toutes choses entre ses mains, et faites-en par avance le sacrifice entier dans votre cœur. Dès le moment que vous ne voudrez plus rien selon votre propre jugement, et que vous voudrez sans réserve tout ce que Dieu voudra, vous n'aurez plus tant de retours inquiets et de réflexions à faire sur ce qui vous regarde; vous n'aurez rien à cacher ni à ménager. Jusque-là vous serez troublé, changeant dans vos vues et dans vos goûts, facilement mécontent d'autrui, peu d'accord avec vous-même, plein de réserve et de défiance: votre bon esprit, jusqu'à ce qu'il soit bien humilié et simple, ne servira qu'à vous tourmenter; votre piété, quoique sincère, vous donnera moins de soutien et de consolation que de reproches intérieurs. Si au contraire vous abandonnez tout votre cœur à Dieu, vous serez tranquille, et plein de la joie du Saint-Esprit.

Malheur à vous si vous regardez encore l'homme dans l'œuvre de Dieu! Quand il s'agit de choisir un guide, il faut compter tous les hommes pour rien. Le moindre respect humain fait tarir la grâce, augmente les irrésolutions. On souffre beaucoup, et on

déplaît encore davantage à Dieu.

Ce qui nous oblige à aimer Dieu, c'est qu'il nous a aimés le premier, et aimés d'un amour tendre, comme un père qui a pitié de ses enfants, dont il tris. Il nous a cherchés dans nos propres voies, qui connaît l'extrême fragilité et la boue dont il les a pésont celles du péché; il a couru comme un pasteur qui se fatigue pour retrouver sa brebis égarée. Il ne s'est pas contenté de nous chercher; mais, après nous avoir trouvés, il s'est chargé de nous et de nos langueurs; il a été obéissant jusqu'à la mort de la croix. On peut dire de même qu'il nous a aimés jus

1 Luc. X, 41, 42.

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