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qu'à la mort de la croix, et que la mesure de son obéissance a été celle de son amour. Quand cet amour remplit bien une âme, eile goûte la paix de la conscience; elle est contente et heureuse; il ne lui faut ni grandeur, ni réputation, ni plaisir, rien de tout ce que le temps emporte sans en laisser aucunes traces; elle ne veut que la volonté de Dieu, et elle veille incessamment dans l'heureuse attente de son époux.

XXXIX.

Suite du même sujet.

Je vous souhaite tous les biens que vous devez chercher dans la ratraite : le principal est la paix dans une conduite simple, où on ne regarde jamais l'avenir avec trop d'inquiétude. L'avenir est à Dieu, et point à vous. Dieu l'assaisonnera comme il faut, selon vos besoins; mais si vous voulez pénétrer cet avenir par votre propre sagesse, vous n'en tirerez aucun fruit que l'inquiétude, et la prévoyance de certains maux inévitables. Songez seulement à profiter de chaque jour; chaque jour a son bien et son mal, en sorte même que le mal devient souvent un bien, pourvu qu'on laisse faire Dieu, et qu'on ne le prévienne jamais par impatience.

Dieu vous donnera alors tout le temps qu'il faudra pour aller à lui. Il ne vous donnera peut-être pas tout celui que vous voudriez pour vous occuper selon votre goût, et pour vivre à vous-même sous prétexte de perfection; mais vous ne manquerez ni de temps ni d'occasion de renoncer à vous-même et à vos inclinations. Tout autre temps au delà de celui-là est perdu, quelque bien employé qu'il paraisse. Soyez même persuadé que vous trouverez sur toutes ces choses des facilités convenables à vos vrais besoins; car, autant que Dieu déconcertera vos inclinations, autant soutiendra-t-il votre faiblesse. Ne craignez rien, et laissez-le faire : évitez seulement par une occupation douce, tranquille et réglée, la tristesse et l'ennui, qui sont la plus dangereuse tentation pour votre naturel. Vous serez toujours libre en Dieu, pourvu que vous ne vous imaginiez point d'avoir perdu votre liberté.

XL.

En quoi consiste la simplicité sa pratique et ses divers degrés.

Il y une simplicité qui est un défaut, et il y a une simplicité qui est une merveilleuse vertu. La simplicité est souvent un défaut de discernement, et

une ignorance des égards qu'on doit à chaque per sonne. Quand on parle dans le monde d'une personne simple, on veut dire un esprit court, crédule et grossier; la simplicité qui est une vertu, loin d'être grossière, est quelque chose de sublime. Tous les gens de bien la goûtent, l'admirent, sentent quand ils la blessent, la remarquent en autrui, et sentent quand il est nécessaire de la pratiquer; mais ils auraient de la peine à dire précisément ce que c'est que cette vertu. On peut dire là-dessus ce que le petit livre de l'Imitation de Jésus-Christ dit de la componction du cœur : Il vaut mieux la pratiquer que de savoir la définir 1.

La simplicité est une droiture de l'âme qui retranche tout retour inutile sur elle-même et sur ses actions. Elle est différente de la sincérité. La sincérité est une vertu au-dessous de la simplicité. On voit beaucoup de gens qui sont sincères sans être simples: ils ne disent rien qu'ils ne croient vrai; ils ne veulent passer que pour ce qu'ils sont; mais ils craignent sans cesse de passer pour ce qu'ils ne sont pas; ils sont toujours à s'étudier eux-mêmes, à compasser toutes leurs paroles et toutes leurs pensées, et à repasser tout ce qu'ils ont fait dans la crainte d'avoir trop fait ou trop dit. Ces gens-là sont sincères, mais ils ne sont pas simples: ils ne sont point à leur aise avec les autres, et les autres ne sont point à leur aise avec eux : on n'y trouve rien d'aisé, rien de libre, rien d'ingénu, rien de naturel, on aimerait mieux des gens moins réguliers et plus imparfaits, qui fussent moins composés. Voilà le goût des hommes, et celui de Dieu est de même : il veut des âmes qui ne soient point occupées d'elles, et comme toujours au miroir pour se composer.

Être tout occupé des créatures, sans jamais faire aucune réflexion sur soi, c'est l'état d'aveuglement des personnes que le présent et le sensible entraînent toujours c'est l'extrémité opposée à la simplicité. Etre toujours occupé de soi dans tout ce qu'on a à faire, soit pour les créatures, soit pour Dieu, c'est l'autre extrémité qui rend l'âme sage à ses propres yeux, toujours réservée, pleine d'ellemême, inquiète sur les moindres choses qui peuvent troubler la complaisance qu'elle a en elle-même. Voilà la fausse sagesse, qui n'est, avec toute sa grandeur, guère moins vaine et guère moins folle que la folie des gens qui se jettent tête baissée dans tous les plaisirs. L'une est enivrée de tout ce qu'elle voit au dehors; l'autre est enivrée de tout ce qu'elle s'imagine faire au dedans; mais enfin ce sont deux ivresses. L'ivresse de soi-même est encore pire que

Lib. I, cap. I, no 3.

propres misères, avant que de l'introduire dans la liberté des enfants bien aimés. Tant que l'attrait et le besoin de la crainte dure, il faut nourrir l'âme de ce

celle des choses extérieures, parce qu'elle paraît une sagesse, et qu'elle ne l'est pas : on songe moins à en guérir; on s'en fait honneur; elle est approuvée; on y met une force qui élève au-dessus des hon-pain de tribulation et d'angoisse. Quand Dieu comneurs et au-dessus du reste des hommes: c'est une maladie semblable à la frénésie; on ne la sent pas; on est à la mort, et on dit: Je me porte bien. Quand on ne fait point de retours sur soi, à force d'être entraîné par les objets extérieurs, on est étourdi; au contraire, quand on fait trop de retours, c'est une conduite forcée, et contraire à la simplicité.

La simplicité consiste en un juste milieu où l'on n'est ni étourdi, ni trop composé : l'âme n'est point entraînée par l'extérieur, en sorte qu'elle ne puisse plus faire les réflexions nécessaires : mais aussi elle retranche les retours sur soi qu'un amour-propre inquiet et jaloux de sa propre excellence multiplie à l'infini. Cette liberté d'une âme qui voit immédiatement devant elle pendant qu'elle marche, mais qui ne perd point son temps à trop raisonner sur ses pas, à les étudier, à regarder sans cesse ceux qu'elle a déjà faits, est la véritable simplicité.

Voici donc le progrès de l'âme. Le premier degré est celui où elle se déprend des objets extérieurs pour rentrer au dedans d'elle-même, et pour s'occuper de son état pour son propre intérêt : jusque-là il n'y a encore rien que de naturel; c'est un amour-propre sage, qui veut sortir de l'enivrement des choses extérieures.

Dans le second degré, l'âme joint à la vue d'ellemême celle de Dieu, qu'elle craint. Voilà un faible commencement de la véritable sagesse; mais elle est encore enfoncée en elle-même : elle ne se contente pas de craindre Dieu, elle veut être assurée qu'elle le craint; elle craint de ne le pas craindre; sans cesse elle revient sur ses propres actes. Ces retours si inquiets et si multipliés sur soi-même sont encore bien éloignés de la paix et de la liberté qu'on goûte dans l'amour simple: mais ce n'est pas encore le temps de goûter cette liberté; il faut que l'âme passe par ce trouble; et qui voudrait d'abord la mettre dans la liberté de l'amour simple courrait risque de l'égarer.

mence à ouvrir le cœur à quelque chose de plus pur, il faut suivre, sans perdre le temps et comme pas à pas, l'opération de sa grâce. Alors l'âme commence à entrer dans la simplicité.

Dans le troisième degré, elle n'a plus ces retours inquiets sur elle-même; elle commence à regarder Dieu plus souvent qu'elle ne se regarde, et insensiblement elle tend à s'oublier pour s'occuper en Dieu par un amour sans intérêt propre. Ainsi l'âme, qui ne pensait point autrefois à elle-même parce qu'elle était toujours entraînée par les objets extérieurs qui excitaient ses passions, et qui dans la suite a passé par une sagesse qui la rappelait sans cesse à ellemême, vient enfin peu à peu à un autre état, où Dieu fait sur elle ce que les objets extérieurs faisaient autrefois; c'est-à-dire qu'il l'entraîne et la désoccupe d'elle-même, en l'occupant de lui.

Plus l'âme est docile et souple pour se laisser entraîner sans résistance ni retardement, plus elle avance dans la simplicité. Ce n'est pas qu'elle devienne aveugle sur ses défauts, et qu'elle ne sente ses infidélités; elle les sent plus que jamais, elle a horreur des moindres fautes; sa lumière augmente toujours pour découvrir sa corruption : mais cette connaissance ne lui vient plus par des retours inquiets sur elle-même; c'est par la lumière de Dieu présent qu'elle se voit contraire à sa pureté infinie.

Ainsi elle est libre dans sa course, parce qu'elle ne s'arrête point pour se composer avec art. Encore une fois, cette simplicité merveilleuse ne convient point aux âmes qui ne sont point encore purifiées par une solide pénitence; car elle ne peut être que le fruit du détachement total de soi-même, et d'un amour pour Dieu sans intérêt : mais on y parvient peu à peu; et quoique les âmes qui ont besoin de pénitence pour s'arracher aux vanités du monde doivent faire beaucoup de réflexions sur elles-mêmes, je crois néanmoins qu'il faut, suivant les ouvertures que la grâce donne, les empêcher de tomber dans une certaine Le premier homme voulut d'abord jouir de lui- occupation excessive et inquiète d'elles-mêmes, qui même; c'est ce qui le fit tomber dans l'attachement les gêne, qui les trouble, qui les embarrasse et qui aux créatures. L'homme revient d'ordinaire par le les retarde dans leur course. Elles sont enveloppées même chemin qu'il a fait en s'égarant, c'est-à-dire en elles-mêmes comme un voyageur qui serait enqu'ayant passé de Dieu aux objets extérieurs, enveloppé de tant de manteaux l'un sur l'autre, qu'il ne rentrant d'abord en soi-même il repasse aussi les objets extérieurs en Dieu en rentrant au fond de son cœur. Il faut donc, dans la conduite ordinaire, laisser quelque temps une âme pénitente aux prises avec elle-même dans une rigoureuse recherche de ses

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pourrait marcher. Les trop grands retours sur soi produisent dans les âmes faibles la superstition et le scrupule qui sont pernicieux, et dans les âmes qui sont naturellement fortes une sagesse présomptueuse qui est incompatible avec l'esprit de Dieu. Tout cela

24

est contraire à la simplicité, qui est libre, droite et généreuse jusqu'à s'oublier elle-même pour se livrer à Dieu sans réserve. Oh! qu'une âme délivrée de ces retours bas, intéressés et inquiets, est heureuse! que ses démarches sont nobles! qu'elles sont grandes! qu'elles sont hardies!

Si un homme veut que son ami soit simple et libre avec lui, en sorte qu'il s'oublie lui-même dans ce commerce d'amitié, à combien plus forte raison Dieu, qui est le vrai ami, veut-il que l'âme soit sans retour, sans inquiétude, sans gêne, sans jalousie sur elle-même, sans réserve dans cette douce et intime familiarité qu'il lui prépare! C'est cette simplicité qui fait la perfection des vrais enfants de Dieu; c'est le but auquel on doit tendre et auquel on doit se laisser conduire. Le grand obstacle à cette bienheureuse simplicité est la folle sagesse du siècle, qui ne veut rien confier à Dieu, qui veut tout faire par son industrie, tout arranger par elle-même, et se mirer sans cesse dans ses ouvrages. Cette sagesse est une folie, selon saint Paul1; et la vraie sagesse, qui consiste à se livrer à l'esprit de Dieu sans retour inquiet sur soi, est une folie aux yeux insensés des mondains.

Quand un chrétien n'est pas encore pleinement converti, il faut sans cesse lui demander d'être sage; quand il est pleinement converti, il faut commencer à craindre qu'il ne soit trop sage; il faut lui inspirer cette sagesse sobre et tempérée dont parle saint Paul2 enfin, s'il veut s'avancer vers Dieu, il faut qu'il se perde pour se retrouver; il faut démonter cette sagesse propre qui sert d'appui ă la nature défiante; il faut avaler le calice amer de la folie de la croix, qui tient lieu de martyre aux âmes généreuses qui ne sont point destinées à répandre leur sang comme les premiers chrétiens.

Le retranchement des retours inquiets et intéressés sur soi met l'âme dans une paix et dans une liberté inexplicable: c'est la simplicité. Il est aisé de voir de loin qu'elle doit être merveilleuse; mais la seule expérience peut montrer quelle largeur de cœur elle donne. On est comme un petit enfant dans le sein de sa mère; on ne veut plus et on ne craint plus rien pour soi; on se laisse tourner en tous sens : avec cette pureté de cœur, on ne se met plus en peine de ce que les autres croiront de nous, si ce n'est qu'on évite par charité de les scandaliser: on fait dans le moment toutes ses actions le mieux qu'on peut, avec une attention douce, libre, gaie; et on s'abandonne pour le succès. On ne se juge plus soi-même,

I. Cor. 1, 20

1 Kom. XII, 3.

et on ne craint point d'être jugé, comme saint Paul le dit de lui-même1.

Tendons donc à cette aimable simplicité. Qu'il nous reste de chemin pour y parvenir ! Plus nous en sommes éloignés, plus il nous faut hâter pour avancer à grands pas vers elle. Bien loin d'être simples, la plupart des chrétiens ne sont pas sincères : ils sont non-seulement composés, mais faux et dissimulés avec le prochain, avec Dieu et avec eux-mêmes; mille petits détours, mille inventions pour donner indirectement des contorsions à la vérité. Hélas! tout homme est menteur2: ceux mêmes qui sont naturellement droits, sincères, ingénus, et qui ont ce qu'on appelle un naturel simple et aisé en tout, ne laissent pas d'avoir une application délicate et jalouse sur eux-mêmes, qui nourrit secrètement l'orgueil, et qui empêche la vraie simplicité, qui est le renoncement sincère et l'oubli constant de soimême.

Mais, dira-t-on, comment pourrai-je m'empêcher d'être occupé de moi? c'est une foule de retours sur moi-même qui m'inquiètent, qui me tyrannisent, et qui me causent une très-vive sensibilité.

Je ne demande que ce qui est volontaire dans ces retours. Ne soyez jamais volontairement dans les retours inquiets et jaloux, cela suffira; votre fidélité à y renoncer toutes les fois que vous les apercevrez vous en délivrera peu à peu : mais n'allez pas attaquer de front ces pensées, ne cherchez point querelle en vous opiniâtrant pour les combattre; vous les irriteriez. Un effort continuel pour repousser les pensées qui nous occupent de nous et de nos intérêts, serait une occupation continuelle de nous-mêmes, qui nous distrairait de la présence de Dieu et des devoirs qu'il veut nous faire accomplir.

Le principal est d'avoir sincèrement abandonné entre les mains de Dieu tous nos intérêts de plaisir, de commodité, de réputation. Quiconque met tout au pis-aller, et qui accepte sans réserve tout ce que Dieu veut lui donner d'humiliations, de peines et d'épreuves, soit au dehors, soit au dedans, com

:

mence à s'endurcir contre soi-même il ne craint point de n'être pas approuvé, et de ne pouvoir éviter la critique des hommes ; il n'a plus de délicatesse, ou s'il en a une involontaire, il la méprise et la gour mande; il la traite si rudement, pour n'y avoir aucun égard, qu'elle diminue bientôt. Cet état de pleine acceptation et d'acquiescement perpétuel fait la vraie liberté; et cette liberté produit la simplicité parfaite.

Une âme qui n'a plus d'intérêt, et qui ne se sou cie point d'elle, n'a plus que de la candeur; elle va

1 I. Cor. IV, 3.

2 Ps. CXV, 2.

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tout droit sans s'embarrasser; sa voie va toujours | gnerait de la simplicité, en s'attachant scrupuleuses'élargissant à l'infini, à mesure que són renonce- ment à la pratique de ne parler jamais de soi, par ment et son oubli d'elle-même s'augmentent; sa paix la crainte de s'en occuper et d'en dire quelques paest profonde comme la mer au milieu de ses peines. roles. Mais tandis qu'on tient encore à soi, on est toujours gêné, incertain, enveloppé dans les retours de l'amour-propre. Heureux qui n'est plus à soi!

J'ai déjà remarqué que le monde est du même goût que Dieu pour s'accommoder d'une noble simplicité qui s'oublie elle-même. Le monde goûte dans ses enfants, corrompus comme lui, les manières libres et aisées d'un homme qui ne paraît point occupé de soi; c'est qu'en effet rien n'est plus grand que de se perdre de vue soi-même. Mais cette simplicité est déplacée dans les enfants du siècle; car ils ne sont distraits d'eux-mêmes qu'à force d'être entraînés par des objets encore plus vains. Cependant cette simplicité, qui n'est qu'une fausse image de la véritable, ne laisse pas d'en représenter la grandeur. Ceux qui ne peuvent trouver le corps courent après l'ombre; et cette ombre, tout ombre qu'elle est, les charme, parce qu'elle ressemble un peu à la vérité qu'ils ont perdue. Voilà ce qui fait le charme de la simplicité, lors même qu'elle est hors de sa place.

Un homme plein de défauts, qui n'en veut cacher aucun, qui ne cherche jamais à éblouir, qui n'affecte jamais ni talents, ni vertu, ni bonne grâce, qui paraît ne songer pas plus à soi-même qu'à autrui, qui semble avoir perdu le moi dont on est si jaloux, et qui est comme étranger à l'égard de soi-même, est un homme qui plaît infiniment malgré ses défauts. C'est que l'homme est charmé par l'image d'un si grand bien. Cette fausse simplicité est prise pour la véritable. Au contraire, un homme plein de talents, de vertus acquises et de grâces extérieures, s'il est trop composé, s'il paraît toujours attentif à lui, s'il affecte les meilleures choses, c'est un personnage dégoûtant, ennuyeux, et contre lequel chacun se révolte. Rien n'est donc ni meilleur ni plus grand que d'être simple, c'est-à-dire jamais occupé de soi. Les créatures, à quelque point qu'elles nous mettent, ne nous rendent jamais véritablement simple. On peut, par naturel, être moins jaloux sur certains honneurs, et ne se gêner point dans ses actions par certaines réflexions subtiles et inquiètes; mais enfin on ne cherche les créatures que pour soi, et on ne s'y oublie jamais véritablement soi-même; car on ne s'y attache que pour en jouir, c'est-à-dire les rapporter à soi.

Mais, dira-t-on, faudra-t-il ne jamais songer à soi, ni à aucune des choses qui nous intéressent, et ne parler jamais de nous? Non, il ne faut point se mettre dans cette gêne : en voulant être simple, on s'éloi

Que faut-il donc faire? Ne faire rien de réglé làdessus, mais se contenter de n'affecter rien. Quana on a envie de parler de soi par recherche de soimême, il n'y a qu'à mépriser cette vaine démangeaison, en s'occupant simplement ou de Dieu, ou des choses qu'il veut qu'on fasse. Ainsi la simplicité consiste à n'avoir point de mauvaise honte, ni de fausse modestie, non plus que d'ostentation, de complaisance vaine, et d'attention sur soi-même. Quand la pensée vient d'en parler par vanité, il n'y a qu'à laisser tomber tout court ce vain retour sur soimême quand, au contraire, on a la pensée d'en parler pour quelque besoin, c'est alors qu'il ne faut point trop raisonner; il n'y a qu'à aller droit au but. Mais que pensera-t-on de moi? on croira que je me vante sottement: mais je me rendrai suspect en parlant librement sur mon propre intérêt. Toutes ces réflexions inquiètes ne méritent pas de nous occuper un seul moment: parlons généreusement et simplement de nous comme d'autrui quand il en est question. C'est ainsi que saint Paul parle souvent de lui dans ses Épîtres. Pour sa naissance, il déclare qu'il est citoyen romain; il en fait valoir les droits jusqu'à faire peur à son juge. Il dit qu'il n'a rien fait de moins que les plus grands d'entre les apôtres ; qu'il n'a rien appris d'eux pour la doctrine, ni rien reçu pour le ministère; qu'il est tout aussi bien qu'eux à Jésus-Christ; qu'il a plus travaillé et plus souffert qu'eux; qu'il a résisté à Pierre en face, parce qu'il était répréhensible1; qu'il a été ravi jusqu'au troisième ciel; qu'il n'a rien à se reprocher dans sa conscience; qu'il est un vase d'élection pour éclairer les Gentils: enfin il dit aux fidèles: Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ. Qu'il y a de grandeur à parler ainsi simplement de soi! Saint Paul en dit les choses les plus hautes sans en paraîtreni ému, ni occupé de lui; il les raconte comme on raconterait une histoire passée depuis deux mille ans. Tous ne doivent pas entreprendre de dire et de faire de même ; mais ce qu'on est obligé de dire de soi, il faut le dire simplement tout le monde ne peut pas atteindre à ̧ cette sublime simplicité, et il faut bien se garder d'y vouloir atteindre avant le temps. Mais quand on a un vrai besoin de parler de soi dans les occasions communes, il faut le faire tout uniment, et ne se laisser aller ni à une modestie affectée, ni à une honte

1 Gal. II, II. 2 I Cor XI, I.

qui vient de mauvaise gloire. La mauvaise gloire se cache souvent sous un air modeste et réservé: on ne veut pas montrer ce qu'on a de bon; mais on est bien aise que les autres le découvrent, pour avoir l'honneur tout ensemble et de ses vertus et du soin❘ de les cacher.

Pour juger du besoin qu'on a de penser à soi ou de parler de soi, il faut prendre conseil de la personne qui connaît votre degré de grâce. Par là vous éviterez de vous conduire et de vous juger vousmême, ce qui est une source de bénédictions. C'est donc à l'homme pieux et éclairé dont nous prenons conseil à décider si le besoin de parler de soi est véritable ou imaginaire; son examen et sa décision nous épargneront beaucoup de retours sur nous-mêmes : il examinera aussi si le prochain, à qui nous devons parler, est capable de porter sans scandale cette liberté et cette simplicité à parler de nous avantageusement et sans façon dans le vrai besoin.

Pour les cas imprévus, où l'on n'a pas le loisir de consulter, il faut se donner à Dieu, et faire suivant sa lumière présente ce qu'on croit le meilleur, mais sans hésiter; car l'hésitation embrouillerait. Il faut d'abord prendre son parti : quand même on le prendrait mal, le mal se tournerait à bien par la droite intention; et Dieu ne nous imputera jamais ce que nous aurons fait faute de conseil, en nous abandonnant à la simplicité de son esprit.

par les réflexions inquiètes sur nous-mêmes. Quand Dieu s'en mêle, et que nous ne retardons point son action, l'ouvrage va bien vite.

Cette simplicité se répand peu à peu jusque sur l'extérieur. Comme on est intérieurement dépris de soi-même par le retranchement de tous les retours volontaires, on agit plus naturellement. L'art tombe avec les réflexions. On agit sans penser à soi ni à son action, par une certaine droiture de volonté qui est inexplicable à ceux qui n'en ont pas l'expérience. Alors les défauts se tournent à bien; car ils humilient sans décourager. Quand Dieu veut faire par nous quelque œuvre au dehors, ou il ôte ces défauts, ou il les met en œuvre pour ses desseins, ou il empêche que les gens sur qui on doit agir n'en soient rebutés.

Mais enfin, quand on est véritablement dans cette simplicité intérieure, tout l'extérieur en est plus ingénu, plus naturel : quelquefois même il paraît moins simple que certains extérieurs plus graves et plus composés; mais cela ne paraît qu'aux personnes d'un mauvais goût, qui prennent l'affectation de modestie pour la modestie même, et qui n'ont pas l'idée de la vraie simplicité. Cette vraie simplicité paraît quelquefois un peu négligée et moins régulière; mais elle a un goût de candeur et de vérité qui fait sentir je ne sais quoi d'ingénu, de doux, d'innocent, de gai, de paisible, qui charme quand on le voit de près et de suite avec des yeux purs.

Oh! qu'elle est aimable cette simplicité! Qui me la donnera? Je quitte tout pour elle, c'est la perle de l'Évangile. Oh! qui la donnera à tous ceux qui ne veulent qu'elle? Sagesse mondaine, vous la méprisez, et elle vous méprise. Folle sagesse, vous succomberez, et les enfants de Dieu détesteront cette prudence qui n'est que mort, comme dit son Apôtre 1.

Pour toutes les manières de parler contre soimême, je n'ai garde ni de les blâmer ni de les conseiller. Quand elles viennent par voie de simplicité, de la haine et du mépris que Dieu nous inspire pour nous-mêmes, elles sont merveilleuses, et c'est ainsi que je les regarde dans un si grand nombre de saints; mais communément le plus simple et le plus sûr est de ne jamais parler de soi ni en bien ni en mal sans besoin l'amour-propre aime mieux les injures que l'oubli et le silence. Quand on ne peut s'empêcher de parler mal de soi, on est bien prêt à se raccommoder avec soi-même; comme les amants insensés Sur les amitiés particulières : combien elles sont à craindre qui sont prêts à recommencer leurs folies, lorsqu'ils paraissent dans le plus horrible désespoir contre la personne dont ils sont passionnés.

Pour les défauts, nous devons être attentifs à les corriger suivant l'état intérieur où nous sommes. Il y a autant de manières différentes de veiller pour sa correction, qu'il y a de différents états dans la vie intérieure. Chaque travail doit être proportionné à l'état où l'on se trouve; mais en général il est certain que nous déracinons plus nos défauts par le recueillement, par l'extinction de tout désir et de toute répugnance volontaire, enfin par le pur amour et par l'abandon à Dieu sans intérêt propre, que

XLI.

dans les communautés.

On croit communément qu'il n'y a rien de plus innocent que de se lier d'une amitié étroite avec les personnes en qui on trouve du mérite avec des qualités convenables à notre goût. C'est une nécessité dans la vie, dit-on, que d'avoir quelque personne de confiance à qui on épanche son cœur pour se consoler. Il n'y a que des cœurs durs qui peuvent se passer du plaisir d'une amitié vertueuse et solide.

Mais ces choses, qui sont pleines d'écueils dans 1 Rom. VIII, 6.

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