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ne mérite pas tous les éloges que lui a prodigués Leibnitz, qui le plaçait sur la même ligne que Bacon, et même au-dessus de Hobbes. Il nous semble cependant que si Campanella n'est pas aussi méthodique et aussi précis que Hobbes, il a souvent des vues plus étendues, plus justes, plus libérales que lui. Ce dernier n'a fait, en quelque sorte, qu'ajouter à une doctrine servile et déjà vulgaire, tandis que l'autre s'élève souvent à des idées généreuses et neuves, qui, lors même qu'elles ne seraient pas assez fondées, tendaient toujours à réformer une société déjà languissante et dégénérée.

Entrant dans l'histoire du xvIIe siècle, M. Dugald Stewart dit que l'esprit philosophique, qui avait pris naissance en Angleterre et en France, n'a laissé que peu ou point de traces de son existence dans le reste de l'Europe. Pour ce qui regarde l'Italie, nous convenons que, soit à cause de l'inquisition romaine, soit par d'autres circonstances particulières, les Italiens ne s'adonnèrent pas trop, dans cette période, à la science de l'esprit. Mais n'est-ce pas là, peut-être, la cause principale pour laquelle ils cultivèrent avec tant de succès la science des corps et du mouvement? Quoi qu'il en soit, l'école de Galilée et de ses nombreux disciples n'a-t-elle pas été plus utile aux progrès de la philosophie que toutes les écoles des métaphysiciens de leur siècle? Au reste, pourquoi notre historien, en passant en revue les commentateurs de Grotius, Puffendorff et les Cocceius, a-t-il entièrement oublié G.-V. Gravina, cet écrivain qui, dans les deux premiers livres de son grand ouvrage, De originibus juris, déposa les germes féconds de beaucoup de vérités que Montesquieu et Rousseau n'ont pas dédaigné de développer, et que notre auteur n'a point négligé d'examiner dans leurs ouvrages?

Ce qui nous paraît encore plus étrange, c'est qu'il ait laissé de côté l'Italie, pendant tout le xviie siècle. Il est vrai que l'historien avoue, avec une franchise digue de son caractère,

qu'il ne connaît aucun Italien bien célèbre qui ait, depuis peu, consacré ses talens à la philosophie métaphysique (1). Il ne cite, et même, il nous semble, d'après l'autorité d'autrui, que Gerdil, Genovesi, Boscovich et quelques autres; ce qui lui fait soupçonner que la logique et la métaphysique proprement dite ne sont pas en général du goût des Italiens modernes. Qu'il nous permette de faire avec la même franchise les remarques suivantes.

M. Buchon, qui a bien senti ce vide dans l'Histoire de M. Dugald Stewart, voulant du moins l'indiquer, a fait quelque mention de l'Histoire idéale de Vico. Mais ce philosophe napolitain n'a point borné là ses recherches métaphysiques. Il florissait au commencement du xvIII° siècle, et aucun de ses contemporains ne montra un esprit plus étendu et plus fécond dans ce genre de connaissances. Non-seulement il osa soumettre à des lois constantes la marche à la fois progressive et périodique des nations et de l'espèce humaine, mais il chercha aussi à déterminer l'origine et les rapports des idées les plus importantes, relatives aux sciences morales et politiques. Notre historien dit quelque part que Bacon n'a été connu et apprécié que fort tard. Bacon cependant était un des auteurs favoris de Vico, ainsi que Tacite et Platon; et, fort de leurs principes, il entreprit de remédier aux imperfections qu'il aperçut dans les systèmes de Grotius, de Selden et de Puffendorff. Il tâcha de suivre ce qu'on appelle le droit de la nature et des gens, en le considérant dans son origine et dans ses progrès; ce droit lui paraissait toujours et partout le même, quoique plus ou moins modifié, au milieu de tant de mœurs et d'opinions différentes. Il lui assignait encore une sorte de cours périodique, dans lequel il est toujours ramené au même point d'où il était parti. Il développa ce qu'on a nommé dans la suite instinct ou sens

(1) T. ш, p. 117.

moral, et qu'il appelait sens commun; il commenta ce principe d'activité de l'esprit, cette tendance à l'action qui constitue la liberté de l'homme. Malheureusement, la nature de ses idées était trop au-dessus de son siècle et de son pays pour que les Italiens de son tems pussent en profiter; ils réparent, quoique un peu tard, cette omission, et peut-être célèbrent-ils aujourd'hui un peu trop ce qu'ils avaient jusqu'ici trop négligé.

Celui qui le premier, ou plus que tout autre, apprécia et répandit la doctrine de Vico, fut ce Genovesi, que M. Dugald Stewart semble connaître plutôt par ses leçons sur l'économie politique que par ses écrits sur la métaphysique. Nous avons remarqué qu'il poussa si loin ses recherches dans ce genre, qu'il finit par s'en dégoûter. C'est à lui cependant que l'Italie doit un grand nombre d'élèves qui ont cultivé avec succès les sciences métaphysiques, qu'il avait enfin réduites à la cosmologie, à la théologie et surtout à l'anthropologie.

Pendant que Genovesi accréditait ces études dans l'Italie méridionale, un autre écrivain, qui n'est pas aussi connu qu'il le mérite, Jacopo Stellini, professait les sciences morales dans l'Italie septentrionale. S'occupant spécialement de la génération des idées, il examina la statue de Condillac, et trouva, avant tant d'autres, que les idées que cet idéologue attribuait à un seul de nos organes dérivent du concours de plusieurs. A l'exemple de Vico, il osa tracer aussi un tableau philosophique, très - précis, de l'origine et du progrès des mœurs. C'est là qu'il renferme, en peu de pages vraiment savantes, l'histoire et la dépendance des plus grands phénomènes moraux, politiques et intellectuels, avec une concision et une rapidité étonnantes. Mais le plus grand ouvrage qu'il nous a laissé est un cours de morale, qu'il donna au public, étant professeur à l'Université de Padoue.

Personne n'avait encore fait une analyse plus suivie et plus

détaillée des facultés de l'homme que Stellini. Supérieur aux préjugés qui dominaient de son tems cette science en Italie, il décrit et juge les affections, les passions, les vices, les vertus, les droits. Il reconnaît l'homme naturellement bienveillant et sociable, sans s'égarer dans les hypothèses des philosophes et en ne consultant que la nature: il ne lui trouve d'autre but que la félicité, et il la fait reposer dans l'usage le plus convenable de ses facultés; mais la nature leur ayant assigné des bornes qu'aucune ne doit franchir, il en résulte une sorte d'accord ou d'équilibre entre elles; et c'est en cela que, selon Stellini, consiste la perfection ou la félicité de l'individu.

Je ne parle pas ici des leçons de philosophie de F.-M. Zanotti. Quoique louées par le cardinal Gerdil, et remarquables plutôt par l'élocution, elles sont bien loin d'être comparables à celles de Stellini. Mais il ne faut pas oublier cette dispute à laquelle le même Zanotti donna occasion, sur la nature de la volupté et sur le caractère de la morale des stoïciens. Plusieurs Italiens y prirent part, et tous prouvèrent du moins qu'ils n'étaient pas étrangers à ce genre d'études.

Je pourrais encore, avec plus de raison, faire mention de deux nobles Napolitains, F.-M. Spinelli et P.-M. Doria, dont le premier soutint la supériorité des principes de Descartes sur ceux de Locke, et l'autre fit un examen plus sévère des doctrines de ces deux philosophes. Mais celui qui mérite d'attirer encore plus notre attention, c'est un Calabrois, F.-A. Piro. Porté naturellement à la méditation et à la retraite, il entra dans l'ordre des minimes, et il eut l'imprudence et le malheur d'écrire et de publier ce qu'il pensait, ou ce qu'il regardait comme vrai. Il s'était long-tems appliqué à l'analyse de la nature de l'homme, et quelques Réflexions sur l'origine des passions furent le fruit de ses premières études. Locke venait de hasarder qu'il n'est peut-être pas impossible à la toute-puissance de Dieu de donner à la matière la faculté de penser ; ce

qui signifie, en d'autres termes, que l'unité de la pensée n'est pas incompatible avec l'étendue de la matière. Piro voulut approfondir cette hypothèse, et alla plus loin que Locke luimême. Ce fut assez pour que le livre et son auteur fussent poursuivis par l'inquisition et par l'ordre monastique auquel Piro appartenait. Celui-ci n'abandonna point pour cela ses méditations métaphysiques; plus sage, il y chercha, au contraire, un moyen de faire une amende honorable pour sa première imprudence. Il attaqua le système des manichéens, tel que Bayle l'avait reproduit. Sa nouvelle hypothèse sur l'origine du mal, se fit remarquer parmi tant d'autres qu'on avait déjà imaginées sur le même sujet. Piro soutenait que les maux de tout genre, étant nécessaires pour l'exercice de la vertu, qui est le plus grand bien de la nature, cessent d'être des maux, dès qu'ils se rapportent à cette fin sublime dont ils sont les moyens. Il avait aperçu quelque trait de cette pensée dans Plutarque; et ce fut assez pour l'engager à en faire un système, fondé sur les principes de la métaphysique et de la théologie.

Des sujets plus importans furent traités par G.-R. Carli et F.-A. Grimaldi. Ils examinèrent, en même tems, l'un à Mantoue, et l'autre à Naples, les idées que Rousseau venait de publier sur la nature et l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Pendant que ce dernier cherchait à saisir les élémens primitifs qui distinguent les hommes, l'autre développait le même sujet et retraçait l'histoire et les propriétés de l'homme libre. Les recherches et les idées de ces deux écrivains mériteraient encore d'être mieux appréciées.

Celui qui, parcourant la même carrière, d'après les principes de Gravina, alla plus loin que tous ses devanciers, est Nicola Spedalieri, Sicilien. Théologien comme Valsecchi, Moniglia, Torre et Palmieri, qui tous ont cherché à défendre la religion naturelle et révélée, et plus logicien qu'eux tous, il attaqua, avec plus de succès, les opinions de Gibbon et de

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