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rang qu'il la rencontre; mais, chez lui, les réflexions se fondent dans les récits; les jugemens se mêlent aux portraits; il ne quitte point le burin pour converser avec ses lecteurs, et pour discourir sur ce qu'il vient de raconter.

Nous croyons donc qu'entre les ouvrages historiques composés dans ces derniers tems, celui de M. Mignet occupera un des rangs les plus distingués; nous ne craindrions

le présenter aux étrangers comme celui qui montre le mieux l'heureuse direction que prend parmi nous ce genre de littérature; c'est aussi sans contredit le plus utile, puisqu'il permet aux jeunes Français d'étudier la partie la plus importante et jusqu'ici la plus confuse de notre histoire. En lisant le récit de tant d'infortunes, de calamités individuelles et publiques, ils apprendront à chérir de plus en plus la liberté que leurs pères ont si chèrement payée. P. LAMI.

LITTÉRATURE.

ESSAIS DE MÉMOIRES, OU LETTRES SUR LA VIE, LE CARACTÈRE ET LES ÉCRITS DE J.-F. Ducis, adressées à M. Odogarty de la Tour, par M. CAMPENON, de l'Académie française (1).

Si nous sommes très en retard avec cet ouvrage, il ne faut point s'en prendre à notre indifférence, mais bien à l'abondance des matières dont notre Revue a dû s'occuper depuis plusieurs mois, et qui ne nous a pas permis de lui consacrer plutôt, dans la section des analyses, la place que réclamaient le nom de son auteur et celui de l'écrivain célèbre qui en est le sujet. M. Campenon a rempli le devoir de l'amitié en mettant le public dans la confidence de tout ce qu'a pu lui apprendre une longue intimité sur la vie, le caractère et les écrits de Ducis. Il avait le droit de prendre pour épigraphe ces paroles qu'inscrivait Tacite en tête du livre qu'il consacrait à la mémoire d'un grand homme, son parent et son ami: Hic liber, professione pietatis.... erit.... excusatus. M. Campenon a eu la modestie de retrancher de cette citation les mots laudatus erit, que ses lecteurs y replaceront. Son livre est empreint de ce charme qu'il a su répandre sur ses autres compositions, et que nous avons eu occasion de louer dans ce recueil (t. xvIII, p. 406), en parlant de l'excellente Notice qu'il a mise en tête de sa traduction d'Horace. Dans la biographie plus étendue qui nous occupe, il a fait revivre Ducis avec la douceur, avec l'énergie de son caractère et de son talent, qui, selon l'expression d'un poëte de notre âge, étaient dans un si bel accord.

(1) Paris, 1824; Nepveu. 1 vol. in-8° de 436 pages; prix 8 fr. et 9 fr. 50 c.

On lui a reproché, avec quelque raison peut-être, l'ordonnance de son ouvrage, la division de son sujet en diverses sections, où sont séparément appréciés les sentimens religieux de Ducis, ses opinions politiques, ses vertus privées, son talent et ses ouvrages. Je suis, je l'avoue, de ceux qui auraient préféré la forme historique, plus naturelle, plus vive, et où ces divers objets auraient successivement trouvé place, amenés par l'ordre de la narration. Il est bien vrai que la vie de Ducis présente peu d'événemens à raconter, et que son histoire se réduit presque à celle des sentimens qui ont constamment rempli son âme; il eût été possible cependant de rattacher à un récit, et de groupper autour de quelques circonstances principales les dissertations, si intéressantes d'ailleurs, dont les divers points de vue sous lesquels on peut envisager Ducis ont offert le sujet à M. Campenon. L'ouvrage, qu'anime le zèle de l'amitié, l'amour du talent, le respect de la vertu, en aurait. eu plus de mouvement encore, plus de chaleur, plus de vie.

Un des principaux attraits qu'offre la lecture de ces mémoires, c'est un grand nombre de morceaux empruntés aux poésies inédites de Ducis. Plusieurs avaient été entendus avec un vif intérêt aux séances publiques de l'Institut; d'autres sont absolument nouveaux pour le public, tels que deux scènes qui appartenaient au plan primitif de Macbeth; quelques épîtres nouvelles adressées à des amis, et dignes de leurs aînées; enfin, cette pièce d'une verve si singulière, si originale, pleine de sublime et de burlesque, qui rappelle souvent Juvénal et Shakespeare, et qu'inspira, en 1804, à l'âme profondément indignée de Ducis, la cérémonie du couronnement.

M. Campenon a également inséré en assez grand nombre, dans son ouvrage, des extraits de la correspondance de son illustre ami. Ces morceaux sont pleins de charmes, et font vivement désirer que l'on imprime un choix des lettres de Ducis on en pourrait former un volume qui serait certaine

ment accueilli du public avec toute la faveur qui s'attache à son nom et à ses ouvrages. Citons-en quelque chose, pour appuyer le vœu que nous formons ici. Voici comme il parle de lui-même ; personne ne l'a mieux jugé : -« Nous portons, nous autres, des volcans dans notre âme; nous sommes lions ou colombes. Nous avons besoin d'indulgence; mais les priviléges de ces complexions fortes en rachètent tous les défauts. J'en sens l'influence dans mes ouvrages: une émotion puissante me transporte sur les hauteurs de mon sujet. J'aime à traverser des abîmes, à franchir des précipices, à découvrir des lieux où le pied de l'homme n'ait point imprimé sa trace. C'est sous l'inspiration de la nature que je me plais à prendre la plume; tout ce que je vois, tout ce que je décompose avec mon esprit, n'est plus animé pour moi. Je ne sais à quel degré de talent je pourrai m'élever dans mes ouvrages; mais, si la nature m'a donné une façon particulière de la voir et de la sentir, je tâcherai de la manifester franchement, sans autre poétique que celle de la nature, avec une douceur d'enfant ou une violence de tourbillon. Je sens qu'au fond je suis indisciplinable, et que même, si j'ai le bonheur de n'être pas mal né, j'en dois rendre grâce à la Providence; c'est elle qui m'a tout donné : aussi l'ai-je laissée faire, sans vouloir trop y mêler le travail de mes efforts sur moi-même, et sur la portion de talent dont elle a pu me doter. » Nous avons transcrit en entier ce passage, parce qu'en donnant une idée de la manière de Ducis dans sa correspondance familière, il fait connaître en même temps le secret de son talent, et nous rend raison de sa verve et de sa négligence; de l'élévation, de la chaleur de ses ouvrages, et de leur peu de perfection. Ducis, qui se jugeait si bien lui-même, appréciait avec goût le mérite des autres, et les fragmens de correspondance publiés par M. Campenon contiennent plusieurs jugemens littéraires qui sont bons à conserver. Le talent de Delille n'est-il pas parfaitement caractérisé

dans ce passage d'une lettre écrite en 1782? « Parlons un peu du poëme des Jardins. On ne peut pas se tromper sur le charme de la lecture. Quelle perfection de vers! quelles tournures! quelle brillante exécution! c'est véritablement le petit chien qui secoue des pierreries; mais, malgré tout le succès mérité de ce livre, peut-être ne sera-t-il pas la lecture favorite du rêveur solitaire qui a l'habitude d'emporter avec lui Virgile ou La Fontaine. C'est qu'il y a dans la nature un charme qui est à elle, et que tout l'esprit du monde ne peut saisir; peutêtre même ne s'en doute-t-il pas, cet esprit gâteur de raison et quelquefois de poésie. Comme tout est plein sans excès, comme tout est doux et sans faiblesse, comme tout est soigné, sans effort, dans le poëte ravissant qui peignit les amours de Didon! » Il y a là quelque chose de ce sentiment exquis du beau dans la nature et dans l'art, qui anime la critiqué de Fénélon dans ses Dialogues sur l'éloquence et dans sa Lettre à l'Académie française. La prose de Ducis, dont on ne s'est guère occupé jusqu'ici, me semble presque aussi remarquable que ses vers: elle est certainement digne d'en être rapprochée; et dans ces morceaux écrits en courant avec tout l'abandon, toute la négligence d'un commerce familier, elle s'élève quelquefois sans effort jusqu'à l'éloquence. « Voilà M. de Pompiguan mort, écrit-il à un de ses amis, le 3 décembre 1786. Le plaisanté et le plaisant, la victime et le persécuteur, tout cela se tait la tombe égale et tranquillise tout. Nous avons une nuée de prétendans (à l'Académie).... Que d'autres vont venir à la file! quant à moi, je vis toujours retranché, autant que je le puis, dans ma chambre, à côté de mon feu, évitant les hommes, et décidé à les éviter. Je travaillerai, je saurai souffrir, je tâcherai de me suffire: voilà tout mon plan de campagne... avec ces dispositions, on n'a plus besoin des hommes, on n'a besoin que de ses amis. Eh! tant mieux! je suis las du commerce des hommes; qu'ils me laissent sur ma pierre, tourner mon regard vers le ciel, T. XXIV.-Octobre 1824.

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