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Robert était son élève, mais il était aussi l'ami d'Abbon, abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, qui s'était fait au concile de Verzy l'avocat convaincu d'Arnoul et du saint-siège. De plus, Robert avait besoin du pape, car il voulait épouser une de ses parentes, la comtesse Berthe, et il devait craindre que le mariage ne fût attaqué à Rome, comme il le fut en effet un peu plus tard. Gerbert, précisément, consulté sur ce projet de mariage, s'y était formellement opposé, au nom des lois de l'Église. Il comprit qu'il ne devait plus compter sur l'appui de la cour. On le voit pour la dernière fois en France, semble-t-il, à un concile tenu à Saint-Denis, à la fin de mars 9972: puis, se sentant entouré d'ennemis au sein même de sa ville métropolitaine de Reims 3, il alla chercher un refuge en Allemagne, à la cour d'Otton III.

Ce prince avait échangé depuis un an le titre de roi contre celui d'empereur. Il était âgé de dix-sept ans; il affichait une grande ardeur pour l'étude. Il fut heureux d'accueillir, pour la seconde fois, un savant aussi célèbre ; il s'empressa de l'attacher à sa personne et de lui donner les moyens de mener auprès de lui une existence tranquille et honorable. Puis, à la fin de l'année 997, comme les troubles suscités par le fameux Crescentius appelaient l'empereur à Rome, il emmena encore Gerbert avec lui en Italie 8.

Arrivés au delà des monts, ils apprirent que le roi Robert, cédant aux réclamations du pape, dont l'abbé Abbon s'était fait l'interprète officieux, avait laissé Arnoul sortir de prison (novembre 997) 9. Cette mesure annonçait clairement l'intention de lui rendre son archevêché; c'était pour Gerbert un avertissement d'avoir à chercher fortune ailleurs. L'empereur ne le laissa

1. Berta Rotberto nubere volens, G. consulit ac ab eo confutatur »> (Richer, derniers paragraphes).

2. Lettre 209 (p. 197, note 6).

3. «Memini etiam meos conspirasse non solum milites, sed et clericos, ut nemo mecum comederet, nemo sacris interesset » (lettre 181, p. 165).

4. G. cum Rotberti regis perfidiam dinosceret, Ottonem regem frequentat» (Richer, derniers paragraphes). Richer met ce fait après la mise en liberté d'Arnoul (novembre 997); les lettres nous apprennent qu'il est antérieur (p. 163, note 1; p. 166, note 1; p. 198, note 2, etc.).

5. Il fut couronné à Rome le jeudi 21 mai 996 (p. 200, note 3; lettre 215, p. 202).

6. Lettre 186 (p. 171).

7. Il lui donna le domaine de Sasbach, au nord-est de Strasbourg: « ut magnifice[r] magnifice magnificum Sasbach contulistis » (lettre 183, p. 168, 169); cf. lettre 181 (p. 165).

8. P. 181, note 1; p. 166, note 3; p. 237, note 3. 9. Richer, derniers paragraphes; Pfister, p. 54.

pas chercher longtemps. Il lui paya enfin, d'une façon princière, les services qu'il avait si longtemps rendus gratuitement, au temps de la régence de Théophano. Il lui donna l'archevêché de Ravenne, une des premières dignités ecclésiastiques de l'Italie. Le pape s'empressa de ratifier un choix qui pouvait faciliter singulièrement la solution du différend relatif au siège de Reims, et Gerbert fut installé officiellement dans son nouvel archevêché (avril 998) '.

:

Toutefois, on n'osa encore rétablir tout à fait Arnoul sur son siège on n'aurait pu le faire sans condamner Gerbert et le concile de Verzy, et on ne le voulait ou on ne le pouvait pas. De là un nouvel atermoiement. Le pape autorisa Arnoul à reprendre à titre provisoire l'exercice des fonctions archiepiscopales, en attendant que sa cause fût jugée2.

Gerbert ne fut qu'environ un an archevêque de Ravenne. On sait peu de chose de sa vie et de ses actes pendant cette année. Il remit l'ordre dans le monastère de Bobbio, dont il était toujours abbé, et il se fit officiellement restituer, par un diplôme de l'empereur, les biens usurpés pendant son absence3. Toujours préoccupé de la régularité et de la discipline, il ne s'en tint pas à cette mesure, qui n'aurait intéressé que lui; il profita de son influence pour mettre des bornes à la dilapidation des biens d'église. Il se rappelait combien l'avaient choqué, quinze ans auparavant, les baux à longue durée par lesquels l'abbé son prédécesseur avait aliéné à vil prix les biens du monastère. Il fit décréter, par un concile d'Italie et par l'empereur, qu'à l'avenir les baux consentis par un évêque ou par un abbé, touchant les propriétés de son évêché ou de son abbaye, n'auraient de valeur que durant la vie de cet évêque ou de cet abbé. Un autre concile, composé des évêques suffragants de la métropole de Ravenne, fut tenu sous sa présidence; les résolutions qui y furent arrêtées portent aussi la marque de son zèle pour la discipline ecclésiastique3. Ajoutons qu'il mit sa signature, à la suite de celle du pape Grégoire V, au

1. Jaffé, no 2971; Loewenfeld, no 3883.

2. «Gregorius papa tandiu permittit Arnulfo officium sacerdotale, donec in temporibus racionabiliter aut legibus adquirat aut legibus amittat » (Richer, derniers paragraphes).

3. Diplôme impérial du 1er octobre 998 Margarinus, II, p. 58; Stumpf, n° 1168.

4. Constitution impériale du 20 septembre 998 Olleris, p. 261 Stumpf, n° 1166.

5. Ravenne, dimanche 1er mai 998: Olleris, p. 257.

bas d'une sentence d'excommunication portée contre son ancien élève, le roi Robert, coupable d'avoir épousé, contrairement aux canons, la comtesse Berthe, sa parente1.

L'année suivante, Grégoire V mourut (février 999)2, et Otton III, qui disposait du trône pontifical, le donna à Gerbert 3. C'était une fortune sans doute bien inespérée. Moins de quatre ans auparavant, dans une lettre apologétique adressée à un prélat lorrain, Wilderod, évêque de Strasbourg, il se demandait avec étonnement comment il avait pu être élevé au siège archiepiscopal de Reims; une telle dignité lui semblait fort au-dessus de lui : « Si l'on demande comment cela s'est fait, disait-il, j'avoue que je n'en sais rien; je ne sais, dis-je, comment un pauvre, un exilė, sans naissance et sans fortune, a pu être préféré à tant d'hommes riches et de haute naissance...» Qui eût pu prévoir alors qu'il était à la veille de devenir le premier évêque de l'univers, et qu'on verrait, en sa personne, la science et la vertu s'asseoir sur ce trône de saint Pierre, où il s'était plaint si hautement de ne voir siéger que l'ignorance et la corruption 5?

Il prit le nom de Silvestre et il fut consacré à Rome, probablement en présence d'Otton III, le dimanche des Rameaux, 2 avril 9997. Il fut pape pendant quatre ans, d'avril 999 à mai 1003. Pendant ces quatre ans, l'histoire de sa vie se confond avec celle de l'Église et n'entre plus dans le cadre de cette Introduction. On trouvera la liste de ses actes dans les Regesta de Jaffé, le récit de tous les faits importants de son pontificat dans l'ouvrage de M. Olleris. Quelques-uns de ces faits seulement doivent être indiqués ici.

Grégoire V ne s'étant prononcé définitivement ni pour ni contre Arnoul, ce fut à Silvestre II de décider de son sort. La

1. Jaffé-Loewenfeld, p. 494; Pfister, p. 55.

2. Jaffé-Loewenfeld, p. 494, 495.

3. Obtulit hoc Cesar tertius Otto sibi » (épitaphe de Gerbert, par Sergius IV, Olleris, p. CLXXXVII).

4. Lettre 217 (p. 229).

5. Concile de Verzy, 28 (Olleris, p. 204-207).

6. Sur le choix de ce nom, voir ci-après, p. XXXIII, note 3.

7. Il mourut le 12 mai 1003, après quatre ans, un mois et neuf jours de pontificat (Jaffé-Loewenfeld, p. 496), ce qui donne, pour la date de sa consécration, le dimanche 2 avril, en ne comptant, dans la durée du pontificat, ni le jour de la consécration ni celui de la mort. Si l'on comptait ces deux jours, on serait obligé d'admettre que cette solennité eut lieu le mardi, ce qui n'est pas vraisemblable.

8. Jaffé, n° 2986-3013; Loewenfeld, nos 3900-3940. 9. Olleris, p. CLXVII-CLXXXVIII.

générosité lui défendait d'accabler son rival; sa conscience lui défendait d'absoudre un criminel justement condamné. Avec son habileté et son honnêteté ordinaires, il trouva moyen de mettre d'accord sa générosité et sa conscience et en même temps de rendre définitivement la paix à l'église de Reims. Dans une lettre hautaine1, adressée à Arnoul lui-même, il déclara que ce prélat avait été, il est vrai, condamné « pour certains méfaits », quibusdam excessibus, mais que le saint-siège a, entre autres prérogatives, le droit de grâce souveraine, qui lui permet de << relever ceux qui sont tombés », lapsos erigere. En vertu de ce droit et usant de pitié, Romanae pietatis munere, il jugeait bon de venir au secours de l'archevêque déchu : il le rétablissait dans sa dignité première, il lui permettait de reprendre, avec ses insignes, l'exercice de son autorité diocésaine et métropolitaine, il défendait à toute personne de jamais lui reprocher sa condamnation, « quelques reproches qu'il puisse recevoir de sa conscience », etiamsi conscientiae reatus accurrat. En un mot, il lui rendait tout, fors l'honneur; mais la sentence prononcée par les pères de Verzy demeurait intacte. Si Arnoul avait du cœur (ce qui est douteux), il dut se sentir encore plus humilié de recouvrer son archevêché dans ces conditions que de l'avoir perdu. Il le jugea néanmoins bon à reprendre; il le garda même longtemps, car il vécut encore vingt-deux ans : il mourut archevêque de Reims, le 5 mars 1021, dix-huit ans après Silvestre II 2.

On n'a connu longtemps les détails de toute cette affaire que par des chroniqueurs, non contemporains, qui les avaient mal rapportés 3. On a cru, sur la foi de ces chroniqueurs, que Grégoire V avait cassé les actes du concile de Verzy, qu'il avait destitué Gerbert de l'archevêché de Reims pour le rendre à Arnoul, que Gerbert n'était plus rien, au moment où Otton III lui donna l'archevêché de Ravenne. On sait aujourd'hui 4 tout cela est faux, mais l'impression acquise sous l'empire des idées anciennes subsiste de nos jours encore, des écrivains catholiques ont cru ne pouvoir donner à l'assemblée de Verzy que le nom de « conciliabule ou faux concile », et à Gerbert celui d'« archevêque de Reims » qu'à la condition d'ajouter

1. Appendice, n° IV (p. 239).

2. Gallia christiana, IX, col. 63.

3. Bouquet, X, p. 118, 220, 222, etc.

que

4. Par l'ouvrage de Richer, découvert par Pertz en 1833 et publié en 1839. 5. « Conciliabulum sive pseudo synodus » (Varin, Arch. admin., I, p. 100).

<<< intrus 1 >>. Si, par ces mots, les auteurs qui les ont employés n'ont voulu exprimer que leur opinion personnelle, libre à eux; mais, s'ils ont voulu faire acte de soumission aux décrets du saint-siège, ils se sont trompés. Le saint-siège ne s'est jamais prononcé, ni sur la validité des actes du concile de Verzy 2, ni sur la légitimité de l'élection de Gerbert 3. Ces questions sont encore aujourd'hui de celles auxquelles s'applique le second des trois principes qu'on attribue à saint Augustin: In dubiis libertas 4.

Il a été question plus haut de l'irritation qu'avait causée à Gerbert, au moment de sa nomination à Bobbio, l'administration irrégulière de son prédécesseur, le moine Pétroald. Devenu pape, il montra qu'il savait oublier ses ressentiments: il donna ou fit donner par Otton III au même Pétroald l'abbaye qui redevenait vacante; un diplôme impérial définit et confirma les droits du nouvel abbé 6.

On n'a pas oublié non plus l'odieuse trahison d'Adalbéron ou Ascelin, évêque de Laon, qui avait livré Charles de Lorraine à Hugues Capet, au moment même où le duc lui donnait toute sa confiance. Cette perfidie avait profité à Gerbert, puisqu'elle avait eu pour conséquence la condamnation et la déchéance d'Arnoul; mais l'avantage qu'il en avait tiré ne l'avait pas empêché d'en sentir toute l'infamie. Pendant son pontificat, une plainte

1. « Archevêque lui-même, intrus à Reims, légitime à Ravenne » (Marius Sepet, dans la Revue des questions historiques, VII, 1869, p. 442).

2. A moins qu'on ne veuille voir une ratification implicite de ces actes dans la mention qu'en fait, sans les censurer, la bulle de Silvestre II pour Arnoul; ce qui ne serait pas insoutenable.

3. Dans l'épitaphe de Silvestre II, composée par le pape Sergius IV, on lit : Primum Gerbertus meruit Francigena sedem

Remensis populi metropolim patriae

(Olleris, p. CLXXXVI). Ces mots impliquent, semble-t-il, que Sergius IV considérait Gerbert comme ayant été légitimement archevêque de Reims. Mais ce texte n'est qu'une œuvre littéraire et non une constitution pontificale. 4. «In necessariis unitas, in dubiis libertas. in omnibus caritas. » C'est une citation qu'on entend répéter sous le nom de saint Augustin, mais je ne sais si on pourrait la retrouver textuellement dans ses œuvres. Un écrivain catholique, M. l'abbé Lausser, a fait usage de cette liberté dans un sens favorable à Gerbert. Dans une thèse présentée à la Faculté de théologie de Paris (Gerbert, étude historique sur le x siècle, Aurillac, 1866, in-8°), il a inscrit, parmi les Propositions à soutenir devant la Faculté (p. 377), les deux articles suivants : « La déposition d'Arnoul par le concile de Saint-Basles fut canonique. — La promotion de Gerbert sur le siège archiepiscopal de Reims est inattaquable au point de vue du droit commun adopté au x° siècle. »

5. P. XI, XII.

6. 3 novembre 999: Margarinus, II, p. 60; Stumpf, no 1202.

7. P. XXIII, XXIV.

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