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campagne active contre un abbé de cette maison, dont l'écolâtre tenait l'élection pour irrégulière '. Pour le même ami, il s'arrachait à ses préoccupations et rédigeait des explications sur les points de science qui l'embarrassaient 2. Abbé de Bobbio, celui qu'on accuse de sécheresse de cœur faisait partager à ses parents pauvres, au risque de sa réputation, la fortune qui lui était échue 3. Écolâtre de Reims, il intervenait entre un abbé trop rigoureux et un moine fugitif, s'efforçant à la fois de fléchir la sévérité du premier et de ramener le second à l'obéissance *. Archevêque de Reims et menacé de perdre son archevêché, ayant par conséquent grand besoin de protecteurs, il bravait le risque de se faire des ennemis pour réprimer avec énergie les excès de pouvoir de ses suffragants contre quelques pauvres clercs 5. Pape, il se fit remarquer par la libéralité avec laquelle il distribuait ses aumônes 6. En tout temps, il se montra très large dans l'emploi de l'argent qu'il avait amassé à force de travail7: pour se procurer des copies des œuvres des auteurs anciens, il dépensait sans compter 8; il laissait aux copistes le soin de fixer le prix qu'il leur plairait d'exiger 9. En un mot, il fut toujours bon et généreux, autant que loyal et intègre.

Enfin, dans toutes les charges dont il fut successivement revêtu, on ne saurait, je crois, citer un seul acte de son autorité ou de son influence qui ne lui ait été dicté uniquement par le sentiment de son devoir, par le zèle pour la justice ou par le souci du bien public. N'est-ce pas là le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un prélat, d'un pontife, du favori d'un empereur?

1. Lettres 69, 80, 86-88, 95, 142, 143; p. 65, note 5, et p. 66, note 1.

2. Appendice, n° III (p. 238); Boubnov, p. 23-25, 315-318.

3. « Taceo de me, quem novo locutionis genere equum emissarium susurrant, uxorem et filios habentem, propter partem familiae meae de Frantia recollectam » (lettre 11, p. 9).

4. Lettre 67 (p. 64).

5. Lettres 198, 203, 206 (p. 188-195).

6. « Ad apostolatum Petri apostoli sanctissimi feliciter conscendens, multa in eo virtutum operatus est insignia, et praecipue in eleemosyna sancta, quam fortiter tenuit, dum fideliter vixit » (Helgaud, dans Bouquet, X, p. 99). 7. « Proprio labore » (lettre 178, p. 159); il était probablement payé de ses leçons à Reims, au moins par quelques-uns de ses élèves.

8. « Scriptores auctorumque exemplaria multitudine nummorum redemi >> (lettre 44, p. 42).

9. Lettres 44 (p. 42), 116 (p. 106, 107), 130 (p. 118).

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II.

LES LETTRES DE GERBERT.

3

Gerbert a laissé des ouvrages de mathématiques1, de philosophie, de théologie 3, quelques poésies, plusieurs mémoires relatifs à son différend avec son prédécesseur Arnoul, au sujet de l'archevêché de Reims 5, quelques actes de son administration archiepiscopale à Ravenne 6, un assez bon nombre de bulles pontificales et un recueil de lettres antérieures à son pontificat. Ce dernier recueil fait seul l'objet de la présente publication. Il comprend une série de lettres composées par Gerbert et adressées à divers destinataires, non pas seulement en son nom, mais encore au nom de plusieurs autres personnes. Ses contemporains savaient qu'il était passé maître dans l'art d'écrire; quand on avait une lettre délicate à faire, on s'adressait à lui. L'archevêque de Reims, Adalbéron, fut un de ceux qui mirent le plus souvent son talent à contribution. Les lettres écrites au nom de ce prélat, de la reine Hemma, du roi Hugues, etc., sont confondues dans le recueil avec sa correspondance personnelle. On y trouve aussi quelques petites pièces de vers 8, les relations de deux conciles relatifs à l'affaire de l'archevêché de Reims 9 la copie de quelques lettres qui n'avaient pas été écrites par Gerbert, mais qui l'intéressaient à divers titres 10.

et

1. De abaco computi, Olleris, p. 309; De numerorum divisione, ibid., p. 349 (cf. Appendice, n° III, p. 238); Geometria, ibid., p. 403; lettre à Adalbold, sur le calcul de l'aire des triangles, ibid., p. 477; à Constantin, sur la sphère, ibid., p. 479; au même Constantin, sur divers sujets, Boubnov, p. 315-318. 2. De rationali et ratione uti, Olleris, p. 297 (cf. Appendice, no II, p. 236). 3. Sermo de informatione episcoporum, Olleris, p. 269; De corpore et sanguine Domini, ibid., p. 279.

4. Olleris, p. 293 (cf. nos 75-78, p. 70-72, et n° 90, p. 82); Boubnov, p. 321, 326, 327.

5. Concile de Verzy (p. xxiv, note 2); Concile de Mouzon, Pertz, Script., III, p. 690, et Olleris, p. 245; Oratio episcoporum habita in concilio Causeio, Pertz, Script., III, p. 691, et Olleris, p. 251; lettre à Wildérod, évêque de Strasbourg, ci-après, n° 217, p. 203.

6. Olleris, p. 257, 261.

7. Olleris, p. 145-172; Boubnov, p. 321, 323, 329-338. Cf. Jaffé, no 29863013; Loewenfeld, nos 3900-3940.

8. Nos 75-78, 90 (p. 70-72, 82).

9. Le concile de Mouzon et l'Oratio in concilio Causeio (ci-dessus, note 5). Ces deux morceaux n'ont été reçus dans le recueil des lettres par aucun des éditeurs et j'ai suivi leur exemple.

10.Lettres 31, 143, 186, 218 (p. 25, 127, 171,

230).

Quelques lettres nous sont parvenues en dehors du recueil; ce sont, pour la plupart, des traités scientifiques rédigés sous forme épistolaire'. On ne les compte pas habituellement au nombre des lettres proprement dites, non plus que les bulles émanées de Silvestre II pendant son pontificat. Une seule pièce, donnée, dans le manuscrit qui l'a conservée, à part de la correspondance, doit s'ajouter au recueil des lettres historiques; c'est la lettre que Gerbert écrivit à Wildérod, évêque de Strasbourg, vers 995, pour défendre ses droits au siège de Reims, contre les prétentions de son prédécesseur déposé, Arnoul 2.

On a reconnu depuis longtemps l'intérêt exceptionnel qu'offrent les lettres de Gerbert. Ce qui en fait la valeur, ce ne sont pas seulement les renseignements de fait qu'on peut en tirer sur tel ou tel détail de l'histoire; c'est surtout l'impression vive qu'elles donnent du temps et du milieu où elles ont été écrites. Dans les récits à la fois secs et confus des chroniqueurs du moyen âge, les personnages de l'histoire n'apparaissent souvent que comme des noms propres, qui ne représentent à la pensée aucune idée nette; leur personne, leur caractère, leurs sentiments nous échappent. En lisant Gerbert, au contraire, nous nous sentons transportés au milieu de ses contemporains. Nous les voyons vivre et agir, nous les entendons parler; nous partageons ses sentiments d'inimitié pour les uns, de sympathie pour les autres; nous nous associons à ses inquiétudes; nous formerions volontiers avec lui des vœux pour le triomphe de sa cause, si nous ne nous souvenions à temps que sa cause est souvent celle de l'étranger contre notre pays.

S'il a le secret d'attacher ainsi ses lecteurs, c'est que, chose trop rare au moyen âge, Gerbert est un écrivain. Il avait fait une étude approfondie de l'antiquité latine, non pas seulement parce qu'il lisait tout, pour tout savoir 3, mais parce qu'il avait compris que la lecture des bons auteurs était le moyen d'apprendre à écrire et à parler de façon à persuader 4; dans un siècle ignorant et bar

1. Boubnov, p. 21-27.

2. Lettre 217 (p. 203).

3. « Proinde in otio, in negotio, et docemus quod scimus, et addiscimus quod nescimus » (lettre 44, p. 42). Toutefois, il avait peu lu les Pères de l'Eglise; quand il les cite, c'est de seconde main, d'après Hincmar (lettre 217, p. 207 et suivantes).

4. Cum studio bene vivendi semper conjuncxi studium bene dicendi, quamvis solum bene vivere praestantius sit eo quod est bene dicere, curisque regiminis absoluto alterum satis sit sine altero. At nobis in re publica

bare, il eut foi dans le pouvoir du talent et de l'éloquence, et bien lui en prit, puisque c'est à son talent qu'il dut sa fortune. A l'école des classiques, de Cicéron surtout, il acquit, d'abord une langue qui a presque toute la pureté du latin antique, ensuite l'art de composer, de mettre en relief les points essentiels de sa pensée, de trouver des expressions toujours fortes et jamais outrées, de dire en très peu de mots tout ce qu'il faut et juste ce qu'il faut. Il excelle par ces qualités, et ses lettres sont, on peut le dire, dans leur genre, des modèles achevés. Elles méritent d'occuper l'attention, non seulement des historiens, mais aussi de tous les amateurs de style vif et nerveux.

Mais, si l'on s'accorde à proclamer le mérite de ces lettres, on est d'accord aussi pour en déplorer l'obscurité. Cette obscurité tient à plusieurs causes, dont quelques-unes ne pourront jamais être complètement écartées. « Dans beaucoup de cas, l'auteur fait allusion aux faits sans en parler explicitement; et ces faits, connus de son correspondant, sont souvent ignorés par nous. D'autres fois, ses lettres ne contiennent que quelque mots insignifiants et sont simplement destinées à fixer des rendez-vous, où les affaires importantes seront discutées de vive voix. » Mais plusieurs autres difficultés, qui ont arrêté les érudits, ne devront plus les embarrasser à l'avenir.

On n'a connu jusqu'ici qu'un texte assez incorrect des lettres. L'édition de Du Chesne, dont on s'est servi pendant plus de deux siècles, contient un bon nombre de fautes. Celle de M. Olleris, qui a paru en 1867, offre des leçons meilleures, tirées d'un manuscrit ancien, celui de Leyde, que le nouvel éditeur a collationné le premier. Mais un autre manuscrit, conservé à Rome, à la bibliothèque Vallicellane, a échappé à l'attention de M. Olleris comme à celle de ses devanciers. Or, ce manuscrit donne seul le texte correct et clair de plusieurs passages, qui sont inintelligibles dans toutes les éditions. Il est déjà possible, grâce à ce secours et à une révision plus attentive des autres textes, d'offrir aux curieux un Gerbert beaucoup plus lisible que celui qu'ils ont eu jusqu'ici à leur disposition 2.

Occupatis utraque necessaria. Nam et apposite dicere ad persuadendum, et animos furentium suavi oratione ab impetu retinere, summa utilitas. Cui rei praepar[a]ndae bibliothecam assidue comparo » (lettre 44, p. 42).

1. G. Monod, dans la Revue historique, XXVIII, 1885, p. 245.

2. Ci-après, III.

- La valeur du manuscrit de la Vallicellane a été bien

mise en lumière par M. Boubnov (p. XLII, note 3).

On s'est plaint justement de rencontrer, dans plusieurs des lettres de Gerbert, quelques passages chiffrés, qui résistaient à toute tentative d'interprétation. Aujourd'hui, la clef de ces chiffres est découverte, et les lettres où se trouvent ces passages peuvent être lues tout entières '.

Enfin, ce qui désespérait surtout les lecteurs de Gerbert, c'était de ne trouver dans les lettres aucune indication précise de date, de ne pouvoir dire, ni l'époque à laquelle chacune a été écrite, ni même l'ordre dans lequel il convient de les lire. On verra que cette difficulté aussi est résolue et qu'il est possible de fixer, à quelques mois près et souvent avec plus de précision encore, la date de chaque lettre 2.

III.

LES MANUSCRITS ET LES ÉDITIONS.

Le recueil des lettres de Gerbert 3 nous a été conservé :
Par des manuscrits (L, V);

Par des publications du xvre et du xvire siècle, qui ont été faites d'après des manuscrits aujourd'hui perdus (M, D, Nicolas Vignier);

Par des collations de la même époque, qui représentent les mêmes manuscrits perdus (L1, B).

L: Leyde (Pays-Bas), bibliothèque de l'Université, manuscrit de Vossius, lat. 4o, n° 54. On a réuni dans ce volume plusieurs fragments de date diverse. La partie primitive comprend 103 feuillets de parchemin, couverts d'une écriture du xre siècle et

4

1. Ci-après, IV.

2. Ci-après, V.

3. L'histoire du texte de ce recueil n'a été essayée par aucun des éditeurs. Elle a été ébauchée, en quelques traits sommaires, mais précis, par M. le comte Riant (Inventaire, p. 31, 36) et traitée en grand détail, tout récemment, dans un livre d'un rare mérite, qui a pour auteur M. Nicolas Boubnov, de l'Université de Saint-Pétersbourg. Ce livre est malheureusement écrit en langue russe, ce qui m'en a rendu la lecture très difficile et la rendra sans doute telle pour beaucoup de personnes. Il a paru tandis que le présent volume était sous presse. J'ai eu le plaisir de me rencontrer avec le savant russe sur les points les plus importants; j'indiquerai ceux où je me sépare de lui et ceux sur lesquels je lui ai dû quelques renseignements nouveaux.

4. On verra plus loin (à propos de la publication de Vignier) qu'il y avait probablement au xvi siècle un 104 feuillet, perdu depuis.

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