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ce que nous venons de dire, et ils se convaincront de la parfaite et scrupuleuse exactitude de cette formule.

Or, le monde, selon les panthéistes, fait partie de Dieu, et, selon nous, il est extérieur à Dieu.

De sorte que la question peut encore se traduire ainsi :

L'unité et la pluralité coexistent: est-il plus difficile de comprendre que la pluralité fasse partie de l'unité, ou que la pluralité soit en dehors de l'unité?

Ou enfin, en d'autres termes :

Est-il plus difficile de comprendre que l'imparfait fasse partie du parfait, ou que l'imparfait existe en dehors du parfait?

Voilà tout. La question ainsi posée est résolue.

On a essayé timidement de dire que le monde a plus de réalité dans le système de la création, qui lui donne une substance propre, que dans le système du panthéisme, qui le réduit à n'être qu'un ensemble de phénomènes; mais, outre que cette hiérarchie dans les degrés de réalité a quelque chose d'arbitraire et de subtil, le degré n'importe pas. Il suffit que l'imparfait existe; il n'importe que ce soit une substance ou une qualité, un monde ou un

atome.

Il ne faut pas croire non plus que, pour les panthéistes, l'unité coexiste avec la pluralité sans la

produire, tandis que pour nous elle la produit. La vérité est qu'elle la produit dans tous les cas : là, en dehors d'elle-même; ici, dans son propre sein. Si l'on dit qu'une de ces opérations est plus facile et plus intelligible que l'autre, on ne dit rien, que des mots vides de sens. Car nous ne savons le comment de rien, pas plus, en vérité, de ce que nous faisons que de ce que Dieu fait; nous croyons comprendre mieux l'action des forces qui nous sont plus familières, voilà tout. Or, l'action de produire en soi, et l'action de produire hors de soi nous sont également familières. Je produis en moi une pensée, je produis hors de moi un mouvement. Certes, ces deux problèmes, quoi qu'en dise la philosophie présomptueuse du panthéisme, sont pour moi parfaitement incompréhensibles; mais ils sont incompréhensibles au même degré.

Nous prions qu'on ne perde pas de vue ce double principe, que nous croyons avoir suffisamment mis en lumière par ce qui précède : il est vrai que l'existence du monde est aussi inexplicable qu'incontestable; et il est vrai, l'existence du monde est, pour le moins, aussi inexplicable dans l'hypothèse, du panthéisme que dans la doctrine de la création. Ainsi le panthéisme reste, sans aucun avantage, chargé des inconvénients qui lui sont propres.

On nous fait une troisième objection de ce que les partisans de la création sont obligés de soutenir que

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Dieu a produit le monde librement'. Nous avouons cela. Ce n'est pas qu'on ne trouve des partisans de la création qui ont soutenu que Dieu ne pouvait pas ne pas produire le monde; mais nous les accusons nous-mêmes d'inconséquence, et nous soutenons la liberté de la création. Croit-on augmenter la perfection de Dieu en lui ôtant la liberté et en le soumettant à des lois fatales?

Voici une conséquence directe de cette prétention: c'est que la liberté est mauvaise en soi, qu'elle est, dans l'être libre, une infériorité. Est-ce soutenable?

De quel droit vient-on imposer à Dieu des conditions? Est-ce que la nécessité de produire l'imparfait est comprise dans l'idée que nous nous faisons de l'être parfait?

Mais, dit-on, si Dieu a voulu le monde, il l'a toujours voulu, et le monde est éternel. Cette objection ne devrait pas être à l'usage des panthéistes. Est-ce que leur Dieu, enchaîné au monde, a commencé à produire des phénomènes? Puisqu'ils admettent l'éternité, qu'ils n'en fassent pas un obstacle pour les autres. Il y a cette difficulté pour eux, que le monde n'étant pas séparé de Dieu, la divisibilité fait partie

1. Corollaire de la proposition 22. « Il résulte de là 1o que Dieu n'agit pas en vertu d'une volonté libre. »

....

Proposition 33. « Les choses qui ont été produites par Dieu n'ont pu l'être d'une autre façon, ni dans un autre ordre. » Spinoza, Ethique, I partie; traduction de M. Émile Saisset, p. 33.

de l'unité. Est-ce là ce qu'ils appellent la clarté et la compréhensibilité de leur hypothèse?

Mais si notre Dieu a voulu le monde, il l'a souhaité : il a souhaité l'imparfait; et s'il l'a souhaité, il l'a connu; il a connu l'imparfait. C'est pour lui, au dire des panthéistes, une déchéance. En effet, la logique leur donne raison. Nous n'affirmerons pas qu'il en soit ainsi; mais nous avouons qu'il paraît en être ainsi. Des philosophes, qui n'étaient pas panthéistes, ont été les premiers à reconnaître, qu'à prendre les choses au pied de la raison humaine, Dieu ne peut créer le monde, ou le souhaiter, ou le connaître sans déchoir. C'est Aristote disant : Dieu ne connaît rien, excepté Dieu même, car il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas connaître que de les connaître; ou Malebranche s'écriant, dans les Méditations chrétiennes, « que Dieu a bien voulu prendre la condition basse et humiliante de créateur. » Mais, qu'on y songe, c'est la difficulté de tout à l'heure qui reparaît, c'est la question de la coexistence de l'un et du multiple; et il le faut bien, car, en vérité, sous des formes diverses, toutes les difficultés qu'on peut faire sur la création reviennent à celle-là. Or ici, comme tout à l'heure, le problème reste insondable à la raison humaine; mais il est, en quelque sorte, plus inaccessible encore aux panthéistes qu'à tous les autres. Il y a pour eux des difficultés et des impossibilités spéciales dans l'impossibilité commune. En effet, comment les panthéistes

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pour

viennent-ils alléguer que vouloir l'imparfait, le souhaiter, le penser, est une dégradation, et que le contenir n'en est pas une? N'est-ce pas se jouer? Ne faut-il pas un effort pour comprendre que le parfait se dégrade en produisant l'imparfait? En faut-il comprendre que le parfait cessera d'être le parfait, si l'imparfait est compris dans sa nature même ? Quand les panthéistes triomphent à outrance de l'imperfection du monde, et veulent en faire un obstacle à la perfection divine, on dirait vraiment qu'ils vont rendre le monde parfait ou le détruire; mais non, tout leur artifice est de le transporter en Dieu; voilà comment ils détruisent l'antagonisme qui existe entre Dieu et le monde, entre l'un et le multiple, entre l'immuable et le mobile, entre le parfait et l'imparfait. Et c'est cette perfection nécessairement unie à l'imperfection, qu'ils nous donnent pour l'idéal de la perfection! C'est ce Pan composé de deux parties, dont l'une est la contradiction de l'autre, qu'ils nous donnent pour une nature souverainement compréhensible!

En rabaissant même la question, et en la prenant dans les termes où ils la posent, est-ce qu'eux-mêmes n'admettent pas que Dieu pense le monde? S'ils le nient, ils ne sont plus que des athées; s'ils l'avouent, pourquoi viennent-ils nous faire des objections qui tombent si évidemment sur leurs propres principes?

Certes l'éternité et l'infinité du monde sont des difficultés redoutables; ses limites, s'il en a, font naître

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