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le lieu commun de la réfutation du panthéisme. Le panthéisme, pour le vulgaire, est tout entier dans ce mot: identité de Dieu et du monde; et la réfutation du panthéisme, tout entière dans celui-ci : attribution à Dieu des imperfections du monde. C'est à coup sûr un raisonnement simple et concluant que celuici, et de ceux que le bon sens public adopte : Votre doctrine consiste à dire que le monde est en Dieu; or, le monde est mauvais, ou, tout au moins, il y a du mal dans le monde; il y a donc aussi du mal dans la nature de Dieu, ce qui est une impiété.

Nous voyons en effet qu'à toutes les époques le panthéisme a été traité d'impiété par toutes les écoles contemporaines, et c'est à peine si l'on s'élève contre l'athéisme avec autant d'indignation. Il y a trois grands noms dans l'histoire du panthéisme : Parménide, Plotin, Spinoza. Ces trois noms nous rappellent des civilisations bien différentes: Parménide, le monde païen, et les premiers âges de la philosophie et des lettres; Plotin, les derniers défenseurs de l'antique civilisation aux prises avec les premiers fondateurs du christianisme; et Spinoza, le triomphe absolu du christianisme, son autorité entière et universelle. Cependant Parménide, Plotin et Spinoza ont été combattus par les mêmes armes. En plein xvIIe siècle, Bayle, Malebranche, Fénelon, ces esprits si éclairés, si subtils, si capables d'aller au fond des choses, n'ont pas dédaigné d'emprunter les arguments vulgaires pour combattre Spinoza. Ils ont montré la

perfection absolue souffrant dans son sein toutes les indigences, toutes les faiblesses, toutes les laideurs; l'immensité partout divisible; la souveraine bonté unie dans un même être à toutes les perversités; la même nature sans cesse occupée de créer et de détruire, d'élever et de renverser, s'infligeant à ellemême la souffrance, produisant le mal et le remède, établissant la règle et la violant, libre dans ses manifestations les plus humbles, et gouvernée dans son tout par une fatalité aveugle; Dieu et le monde fondus ensemble, et n'aboutissant par la lutte des principes opposés qu'à la contradiction et au chaos.

A cela les panthéistes répondent qu'on leur impute une confusion qu'ils ne font pas; qu'ils n'ont jamais confondu Dieu et le monde, mais seulement la substance de Dieu et la substance du monde. De ce que Dieu ne peut pas être séparé du monde, ni le monde de Dieu, il ne s'ensuit pas que le monde soit Dieu, ni que Dieu soit le monde. Il n'y a qu'une substance, mais il y a des modes divers. De l'identité reconnue sur un point conclure à l'identité universelle, c'est transformer à plaisir la doctrine qu'on veut combattre, et la rendre absurde pour en triompher aisément. Ceux qui argumentent ainsi contre les panthéistes pourraient être pris dans leurs propres raisonnements; car, puisqu'ils admettent que chaque être individuel a une substance propre, ils sont forcés de reconnaître qu'il y a dans chaque individu une substance inséparable des attributs, et des attributs

inséparables de la substance. En concluent-ils que tout ce qui est dit de la substance peut se dire des attributs, ou que ce qui se dit des attributs peut se dire de la substance? Pas du tout. La substance a la nature d'une substance, et les attributs ont leur nature d'attributs : ce sont deux natures que personne ne peut ni séparer ni confondre. Et dès qu'il en est ainsi, pourquoi ne pas permettre aux panthéistes de distinguer une substance parfaite du monde, substance active, agissante, féconde, et des attributs ou phénomènes sans cesse produits par cette substance, et qui en diffèrent d'autant plus que leur nature est d'être produits, tandis que la sienne est de produire? Quand les panthéistes disent que le tout est Dieu, ils n'entendent pas le moins du monde que chacune des parties du tout soit Dieu elle-même. Le tout est complet, parce qu'il est le tout, et il est par conséquent parfait; la partie au contraire, par cela même qu'elle est une partie, est forcément incomplète et imparfaite: où est la contradiction? où est la confusion?

Il y a du vrai dans cette réponse; et pourtant l'objection du sens commun subsiste. Une substance qui produit nécessairement le mal, et qui, dans le même temps, est le réceptacle nécessaire du mal, ne peut pas être la perfection absolue. Un tout, dont le mal fait partie, peut être bon; il ne peut pas être le bon. Il n'est pas l'idéal, car je puis supposer un autre tout, d'où le mal serait exclu. Un corps peut être beau, quoiqu'il ait une plaie; mais c'est s'aveugler

volontairement que de prétendre que la beauté ne serait pas plus grande, si cette plaie était ôtée. Ainsi les distinctions sont vaines; et le mal, en Dieu, est une dégradation de Dieu. Les panthéistes ont raison de soutenir que l'existence du mal est embarrassante, même pour nous; mais, à coup sûr, il y a de la différence à produire un être capable du bien et du mal, ou à être soi-même à la fois capable du bien et du mal. Notre Dieu peut être une perfection difficile à expliquer; mais le Dieu des panthéistes n'est pas une perfection'.

Ainsi rétabli dans ses véritables termes, ce genre d'objections, qui est dans toutes les bouches, a une valeur véritable. On doit même être frappé des conséquences qu'il entraîne pour l'usage de la liberté humaine. Il semble, dans le système panthéiste, que le mal puisse légitimement avoir sa place en moi, puisqu'il a sa place en Dieu. J'ai des défaillances, et Dieu aussi; je souffre, je dérange l'ordre, j'outrage la nature, je désobéis à la règle, et Dieu aussi. Comment dirai-je qu'il y a une règle pour le bien? Il n'y a pas de règle, si tout est en Dieu, à moins que le mal ne soit pas. Il n'y a pas même de principe

1. «Est-ce une perfection que d'être injuste dans ses parties, malheureux dans ses modifications, ignorant, insensé, impie? Il y a plus de pécheurs que de gens de bien, plus d'idolâtres que de fidèles quel désordre, quel combat entre la Divinité et ses parties! Quel monstre, Ariste! quelle épouvantable et ridicule chimère! Un Dieu nécessairement haï, blasphémé, méprisé ! » Malebranche, Neuvième Entretien sur la métaphysique, $2.

ni d'axiome dont le contraire ne soit vrai. Je ne puis aimer Dieu pour le bien qu'il me fait, sans le haïr pour le mal qu'il me fait. Il est bon et méchant, beau et laid, intelligent et aveugle, digne d'être adoré et digne d'être détesté. L'invoquerai-je après cela? L'adorerai-je? Je perds à la fois la règle, la prière et l'espérance. Le panthéisme m'ôte ce qui fait la force de ma pensée et ce qui soutient mon cœur.

Il est remarquable que le panthéisme, comme toutes les doctrines fausses, tourne ses conclusions contre ses prémisses. Il en est de même du mysticisme, et de toute doctrine qui, par l'identité permanente ou l'identification temporaire des natures opposées, compromet le principe de contradiction, et, avec lui, toute la logique. Que demandent les panthéistes au commencement? L'absolue perfection de Dieu. Que font-ils à la fin? Ils placent toutes les imperfections dans le sein de Dieu. Cela seul les condamne. Pour les réfuter, on n'a besoin que d'euxmêmes.

On peut ouvrir Spinoza, mais surtout Plotin: jamais on n'a parlé en termes plus magnifiques de la perfection absolue; jamais on ne l'a mieux démontrée. Il semble que ce Dieu va cesser d'être parfait, si seulement il se pense lui-même, car il Ꭹ aura en lui deux états l'acte de penser, et celui d'être l'objet de la pensée. Plotin recule son Dieu par delà le possible et le réel, dans la région des chimères, à force d'en

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