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vouloir ôter tout ce qui est distinction et limite; et quand il l'a relégué dans cette solitude inaccessible, et que de cette dialectique hautaine il descend à l'explication de la genèse, que fait-il? Il verse dans le sein de Dieu les flots de la multiplicité indéfinie. Il emploie la première partie de la philosophie à exclure de Dieu tout le mal, et la seconde à l'y faire tout

rentrer.

Avec toutes ces contradictions et tous ces vices, le panthéisme attire beaucoup d'esprits : il a une fausse apparence de mysticisme; il remplace la communion et l'extase par l'identité permanente. Les panthéistes ont l'art de déplacer la question, et de réfuter le principe de la création au lieu d'éclaircir le principe de la confusion des substances. Pendant qu'ils s'occupent à constater que la création est incompréhensible, on oublie de leur demander ce que c'est que l'émanation par laquelle ils la remplacent. Mais ils ont beau changer de figure, et remplacer l'émanation par l'irradiation, et faire de Dieu tour à tour une source et un foyer, ce sont des images et des métaphores, qu'il est presque puéril d'ériger en doctrine. Que le monde émane de Dieu comme la chaleur émane de la flamme, ou comme l'eau s'écoule d'un vase trop plein, voilà ce que l'on substitue à la création grande découverte! et qui met bien le sens commun à l'aise! Ce vase et cette eau qui en découle forment en effet une image trèsnette; mais ce qui est un peu plus difficile, c'est d'en

faire l'application, et de comprendre que l'eau qui sort de ce vase n'y fût pas avant d'en sortir, et ne cesse pas d'y être après en être sortie.

Ce n'était pas la peine de tant insister sur l'incompréhensibilité de la création, pour arriver à une hypothèse tout aussi incompréhensible, qui double l'importance de toutes les difficultés, et qui, de plus, contient des contradictions si palpables. En vérité, pour rendre leur hypothèse plausible, les panthéistes devraient y joindre l'hypothèse de Berkeley. Berkeley est un sceptique d'une espèce particulière, qui admet la raison et ses lois, et qui même ne rejette pas absolument l'expérience; mais qui, dans la difficulté de comprendre la réalité des corps, suppose que Dieu nous a créés pour croire qu'il y a des corps, et des lois qui régissent les corps, bien qu'il n'existe rien de tel dans la nature. Ainsi, par exemple, je crois voir cette table devant moi, je crois la toucher; j'affirme qu'elle est carrée, de couleur brune, etc. Rien de tout cela n'est véritable. Il n'y a ni forme carrée, ni couleur brune, ni objet résistant, puisque les corps ne sont pas ; mais nous rêvons que cela existe, et par la volonté de Dieu, tous les hommes sont dupes de leur rêve. Les panthéistes sont obligés d'en venir là, et de dire que nous rêvons les corps, et que Dieu nous rêve. Cela est un peu plus compréhensible que l'émanation, parce qu'un rêve n'a besoin pour exister que d'un rêveur, et aussi parce que toute l'existence d'un rêve est dans le rêveur. Admettons le panthéisme à

ce prix, et représentons-nous l'être parfait obligé de rêver toutes ces imperfections. Abdiquons nous-mêmes entre les mains des disciples de Spinoza notre réalité, et consentons à devenir moins qu'un rapport, moins qu'un phénomène. Mettons ce monde, avec ses soleils, au-dessous de l'importance d'une bulle de savon. Egri somnia.

Pour s'être montrés hautains et exigeants au début, et pour avoir refusé à la raison humaine le droit de s'arrêter à de certaines limites, les panthéistes arrivent à nous faire descendre bien bas. Mais ce n'est pas seulement en métaphysique qu'ils nous ravalent ainsi; après nous avoir enlevé notre substance, ils nous ôtent la liberté. Toute la personne humaine disparaît, absorbée, emportée, anéantie.

Il est permis aux panthéistes de penser que c'est peu de chose d'enlever à l'homme sa liberté ; mais il nous est permis de dire à notre tour, que, suivant nous et suivant l'immense majorité de ceux qui réfléchissent, obliger une école à se proclamer elle-même fataliste, c'est l'obliger à souscrire sa propre condamnation. Nous n'aurions pas besoin d'insister, car la logique et l'histoire prouvent également que la liberté ne peut pas subsister dans l'hypothèse panthéiste; mais il est toujours bon de méditer et d'approfondir de telles conséquences.

Comment les panthéistes pourraient-ils admettre

la liberté dans l'homme, puisqu'ils ne l'admettent pas en Dieu ?

Si le monde est en Dieu, il faut bien qu'il soit nécessaire, et que tout en lui soit nécessaire; car si le monde n'avait pas été, ou s'il avait été, dans une seule de ses parties, différent de ce qu'il est, la nature de Dieu même serait changée, ce qui est absurde. Ainsi, il n'y a de liberté ni en Dieu, ni dans le monde. Le mot de liberté, dans les écoles panthéistes, ne représente qu'une négation, et ne correspond à aucune réalité.

Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter Plotin et Spinoza.

Plotin dit que Dieu est libre, parce que, ne pouvant pas faire le mal, il fait toujours le bien sans effort; et que l'homme peut devenir libre, parce qu'il peut devenir analogue à Dieu par l'anéantissement des mauvaises passion 1.

Selon Spinoza, l'homme libre est celui qui désire directement le bien et vit suivant les seuls conseils de la raison 2.

Pour l'un et pour l'autre, la liberté ne suppose pas la lutte, mais l'impossibilité de lutter, par l'absence ou l'anéantissement du principe mauvais.

Supposons que Plotin ou Spinoza admettent pour un instant la liberté telle que nous l'entendons, c'est

1. Plotin, Ennéade VI, liv. VIII, chap. 1, II, v; Ennéade IV, liv. III, chap. x.

2. Spinoza, Ethique, I partie, prop. 17.

à dire qu'ils donnent à l'homme le pouvoir de faire une action qui dépende uniquement de la volonté humaine quelle sera la conséquence de ce dogme?

La conséquence, c'est que, par la seule possession de la liberté, l'homme sera supérieur à Dieu.

En effet, Dieu, n'étant pas libre, ne peut modifier ni sa substance, ni les lois du monde, ni les phénomènes du monde. Ce que Dieu ne peut pas, l'homme le peut : il introduit dans le tout un élément qui n'est pas réglé par l'ordre immuable, et qui ne dépend que du caprice humain.

Nous disons que deux choses sont distinctes, quand nous pouvons nous former une idée à part de chacune d'elles, sans cependant imaginer qu'elles puissent subsister dans cet isolement; et nous disons que deux choses sont séparables, quand nous pouvons les concevoir comme existant et subsistant isolées l'une de l'autre.

Ainsi, par exemple, l'idée de la statue est distincte et inséparable de l'esprit du sculpteur, tandis que la statue en est à la fois distincte et séparée.

Eh bien! Dieu est le sculpteur : le monde est-il l'idée, ou la statue?

Non-seulement, pour toutes les raisons que nous avons dites, le monde est la statue, mais nous, qui faisons partie du monde, nous sommes aussi des statues. Nous n'existerions pas sans Dieu qui est

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