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notre cause, mais nous existons hors de lui; et la preuve, c'est que nous sommes libres.

La statue a en elle-même tout ce qu'il faut pour exister, à la seule condition d'avoir été produite. Elle a nécessairement une cause étrangère, mais elle est incontestablement étrangère à sa cause. Elle a donc une existence individuelle; elle a une substance qui lui est propre.

Comment ce qui est vrai de ce marbre ne serait-il pas vrai d'un être qui se modifie lui-même librement? Non-seulement je me conçois comme existant à part, mais je sens que je puis entrer en lutte contre les autres êtres. Quoi! je lutte contre eux, et je ne ferais qu'un avec eux? Étant reconnu libre, je suis, par définition, l'auteur unique des phénomènes qui se passent en moi; et pourtant, s'il fallait en croire les panthéistes, je ne serais pas un individu, une substance, une force!

Non, cela est contraire au bon sens et à l'évidence. Moi, libre, je suis une force. Ainsi, il y a deux forces: Dieu, et moi. L'unité panthéistique est détruite.

Exaltez à plaisir la différence qui sépare la force absolue de la force relative, la force qui se suffit à elle-même de la force empruntée et limitée, vous n'en direz jamais plus, ni même autant que les défenseurs de la création. Nous sommes les premiers à reconnaître que l'homme ne peut se passer de Dieu; mais il peut lutter contre Dieu, et par conséquent il en est séparé. Comme il suffit d'un brin de paille

contre l'athéisme, il suffit, contre le panthéisme, d'un seul acte libre.

Eh! qu'avons-nous besoin de tant de raisonnements? Jamais, tant que je me sentirai libre, vos théories sur la création n'auront la force de me faire oublier que je suis une personne, et conséquemment une substance.

Concluons que le panthéisme est nécessairement condamné à être fataliste. C'est une doctrine de mort.

Les panthéistes s'efforcent de faire rouler toute la question entre eux et nous sur la substance. Comment ne voient-ils pas que l'existence de la liberté humaine est tout aussi difficile à concilier avec l'unité de Dieu? Ce ne sont pas là deux questions, c'est une question unique. Puisque les panthéistes craignent de limiter la substance de Dieu par la coexistence d'une substance étrangère, ils doivent craindre aussi, pour les mêmes motifs, de limiter sa puissance par la coexistence d'une autre puissance. Peu importe qu'on suppose en dehors de Dieu une substance ou une force libre. Ou plutôt de ces deux idées, une substance et une force libre, la plus claire, la plus déterminée, celle qui nous donne le mieux la notion d'une réalité séparée, d'une existence individuelle, c'est la seconde. Je puis, à la rigueur, confondre tout le reste; mais je ne saurais jamais confondre dans un seul tout deux libertés luttant l'une contre l'autre.

Non-seulement le panthéisme exclut la liberté; il nous ôte du même coup l'immortalité de l'âme.

Spinoza nous dit bien que notre âme est éternelle; que celui dont le corps est propre à un grand nombre de fonctions a une âme dont la plus grande partie est éternelle. Mais cette éternité dont il me leurre n'est pas l'éternité de la personne. Tout en moi fait obstacle à Spinoza, ma conscience, ma liberté, tout ce qui me distingue, tout ce qui me sépare. Il ne sauve de la mort que ma substance, qu'il absorbe dans la substance universelle. Le moi périt, c'est-à-dire l'identité vivante.

Spinoza, en définitive, malgré la belle langue dont il dispose, malgré la forme régulière et précise de son exposition, accumule les équivoques, parce qu'il est en contradiction avec l'opinion commune et avec le langage. Nous l'avons entendu proclamer la liberté, en jouant sur le mot, dans le temps où il la niait. C'est par une autre équivoque qu'il parle de l'éternité de notre âme. Il est clair, nous le reconnaissons, que le pouvoir d'anéantir est du même ordre que celui de créer, et que dans un système qui nie la possibilité de la création, la possibilité de l'anéantissement ne saurait être admise. Ainsi, dans le système de Spinoza, mon âme ne saurait périr. Rien ne périt, tout se transforme. Mais cette transformation est tout mon effroi. La mort, qui ne détruit pas ma substance, détruit mon identité. Est-ce donc là se survivre? Spinoza pourrait dire avec autant de raison que mon corps aussi est éternel. Du moment que mon âme ne se souvient plus d'elle

même, je ne m'intéresse pas plus à son éternité qu'à la poussière de mon cadavre.

Nous enfermons les panthéistes dans ce dilemme: Vous prétendez que Dieu et le monde sont distincts sans être séparés; c'est-à-dire, en termes précis, qu'ils ne font qu'un par l'unité de la substance. Mais dans cette connexion nécessaire de deux termes opposés, dont l'un représente le parfait et l'immuable, l'autre l'imparfait et le mobile, quelle part faitesvous à Dieu, et quelle part au monde? De quelque côté que vous vous tourniez, vous êtes perdus : car si vous insistez sur la plénitude de la réalité divine, le fantôme du monde s'évanouit, Dieu reste seul; si, au contraire, c'est la réalité du monde qui occupe votre pensée, Dieu ne joue plus dans votre système que le rôle d'une abstraction. Donc vous n'êtes au fond qu'un compromis sans franchise et sans netteté entre l'éléatisme et l'athéisme.

On a beau dire, pour défendre les panthéistes, qu'ils sont mystiques, c'est-à-dire qu'ils sacrifient le monde à Dieu. Nous leur saurions gré, en effet, si, placés entre l'absurdité mystique de l'éléatisme et l'absurdité matérialiste de l'athéisme, ils savaient choisir la moins odieuse. Nous reconnaîtrons volontiers que Plotin, et même Spinoza, penchent vers le mysticisme. Cela donne plus d'éclat à leurs systèmes, sans leur donner plus de vérité, plus de

solidité. Mais de nos jours, c'est l'athéisme qui est au fond de la plupart des doctrines panthéistes. Nous ne sommes plus au temps de Parménide d'Élée qui niait le monde, ni même à celui de Plotin, qui regardait le monde comme un fantôme, et le traitait avec dédain. L'expérience aujourd'hui, la sensation ne permettent plus qu'on les oublie. C'en est fait des chimères idéalistes. Le monde des sens, celui de la conscience s'imposent avec une irrécusable autorité. Parmi les hommes qui se laissent séduire par le panthéisme, il y en a bien peu qui voulussent abandonner le dogme de la liberté humaine; il n'y en a pas qui consentissent à n'être qu'un phénomène, à ne voir dans le monde que des apparences. Bon gré mal gré, c'est à la réalité du monde qu'ils donnent la préférence; et c'est par conséquent à l'athéisme qu'ils inclinent.

Voilà donc un système qui, parce que nous ne comprenons pas la création, nous propose de croire que tout émane de Dieu comme l'eau sort du vase, ou le rayon du foyer lumineux; qui, de peur de souiller la pureté divine en supposant que Dieu a créé un monde imparfait, identifie Dieu et le monde, et fait de l'imperfection même une partie de la perfection; qui d'abord nous refuse le droit de supposer que Dieu a pu songer au monde, le désirer, le vouloir, sans perdre son immutabilité, et qui, pour conclusion, place le monde éternellement mobile dans la

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