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N'y a-t-il de lois, c'est-à-dire d'ordre, que pour un certain nombre de cas et pour un certain nombre d'êtres? La question même est absurde. Il y a des lois que nous ignorons, mais tout a une loi. Ce que nous appelons désordre est proprement une dérogation à des lois connues, qui a lieu en vertu d'une loi inconnue. Au début d'une science, on dit : « Je vais chercher la loi de ces phénomènes; >> on ne dit pas : « Je vais chercher si ces phénomènes ont une loi. »> Puisque tout dans la nature dépend d'une loi, puisque tout est régulier, il s'ensuit invinciblement qu'il y a plus de bien que de mal dans la nature. Nous voyons clairement le bien; rien ne nous prouve que le mal soit réel. Il se peut que nous appelions mal ce qui nous paraîtrait bien, si notre science était plus étendue. Non-seulement cela se peut, mais cela est probable. Si nous ne disons pas que cela est certain, c'est afin de n'affirmer que ce qui est d'une évidence immédiate.

Il faut encore remarquer que tout ce qui a une loi a un but; car si la loi ne servait pas à quelque chose, elle serait une pure généralisation, sans aucune réalité. Ainsi, par exemple, si je ne connais pas la loi des phénomènes que je veux retenir, je puis créer un principe arbitraire de classification pour aider ma mémoire : ce procédé artificiel me soulage en effet, il est quelque chose pour mon esprit, puisqu'il est une méthode; il n'est rien pour les objets que j'ai classés; il n'en fait pas partie, il ne les modifie pas.

Les lois de la nature ne sont pas de cette sorte; elles sont la coordination de tout ce qui tombe sous la loi vers un but réel. Dire que tout est réglé ou que tout est utile, c'est exprimer deux fois la même pensée. Quand nous affirmons qu'il n'y a pas de place dans le monde pour le hasard, cela veut dire que tout mouvement est réglé par une loi et ordonné vers un but.

Toute science a pour résultat de démontrer cet axiome, que tout est réglé et que tout est utile; mais on se passerait de démonstration. Cet axiome résulte de la science, et en même temps il la précède ; bien plus, il l'engendre. C'est parce que nous croyons au but et à la loi que nous nous mettons à l'œuvre pour les découvrir. Nous avons une passion innée pour chercher le secret, ou, ce qui revient au même, le principe des choses. Donnez à un enfant un automate, une montre: d'abord il la regarde; le mouvement extérieur, le résultat suffit à sa curiosité; puis il cherche le pourquoi, et, à ce moment-là, il la brise. Le savant ne fait pas autre chose. Son jouet est le monde. Le secret qu'il cherche, c'est celui de la création. Il s'attache presque toujours à un être, à une classe d'êtres; il circonscrit sa curiosité, parce que s'il s'attaquait à l'ensemble du monde, la grandeur de la matière l'écraserait; mais une fois parqué dans la spécialité qu'il s'est choisie, il a l'ambition de la parcourir dans tous les sens, de n'y rien laisser

d'inexploré. Il commence par observer et par décrire, puis il classe; puis, cette connaissance extérieure ne lui suffit plus, et c'est alors qu'il brise son jouet pour surprendre dans son fond le secret de la vie. Plus il voit, plus il veut voir. Le savant est insatiable, parce que sous chaque problème résolu il pressent un nouveau problème. Il est comme un voyageur qui gravit une colline dans l'espoir de découvrir un horizon, et qui, cet horizon conquis, veut en apercevoir un autre au delà; ce qu'il connaît ne lui sert qu'à désirer de connaître. Quand le dialecticien commence à s'élever au-dessus de terre, il ne possède encore que les lois générales les plus voisines des phénomènes; il faut qu'il opère sur ces lois, comme tout à l'heure il opérait sur les phénomènes qui en dépendent; qu'il s'élève péniblement à des lois supérieures plus générales, et, de lois en lois, à la loi suprême qui explique les autres, parce qu'elle les contient dans une synthèse magnifique. Qui le soutient dans cette marche? Une sorte de vision anticipée de l'harmonie universelle hypothèse au début, doctrine au dernier moment.

Pendant que l'on pense à cette œuvre collective, à la fois diverse et unique, commencée il y a deux mille ans, et qui se poursuit sans relâche, il semble que l'on voit à l'œuvre tous ces artisans de la science humaine. L'un cueille les plantes, il les dessèche, il les classe; l'autre fouille la terre pour en extraire les

minéraux. Un autre décompose les corps, afin d'arriver aux corps simples, qui sont la forme la plus immédiate de la substance étendue. Il passe sa vie sur ses fourneaux, avec ses creusets, toujours émerveillé, toujours appelé. Peut-être en chemin rencontre-t-il la fortune ou la gloire; mais ce qu'il cherche, c'est la science. Le jour où il s'arrête pour jouir, son cœur est mort. Pour arriver à cette conquête sur le secret de Dieu, qu'il écrira en une page, qu'il résumera en une ligne, il donne sa jeunesse, sa santé, il risque sa vie, et il n'a pas même la conscience de son sacrifice. Il y en a qui partent résolûment de leur pays à l'âge où l'on aime. Ils quittent tout pour des contrées désertes. Ils font des mille lieues sans trouver un sentier tracé. Ils passent les fleuves à la nage. Ils échappent par miracle aux bêtes féroces. Ils vivent des années dans la solitude, ou avec des sauvages. Ils mourront peut-être dans ces déserts, sans laisser un nom; mais peut-être aussi rentreront-ils dans la société civilisée en lui apportant un monde. Quand Dieu envoie une peste à la terre, deux sortes d'hommes accourent dans les hôpitaux: ceux-ci pour consoler et secourir, ceuxlà pour apprendre: héros de l'humanité, héros de la science. Tous ces hommes, depuis Thalès jusqu'à nous, et depuis nous jusqu'à la dernière postérité, ces voyageurs dans leurs déserts, ces médecins dans leurs amphithéâtres, ces chimistes dans leurs laboratoires, ces marins dans leurs montagnes

de glace, ce sont des frères par l'unité du but qu'ils poursuivent. Le monde s'éclaire par eux, la science se fait, l'ignorance s'enfuit. Chaque jour quelque chose s'échappe de leurs mains pour éclairer le vulgaire, pour le consoler, pour le nourrir. Nous dépendons d'eux corps et âme, nous vivons par eux. Nous avons beau les ignorer ou les calomnier, qu'importe? Ils sont la pensée de l'humanité, ils sont le progrès. Socrate boit la ciguë, Aristote est contraint de se tuer, Platon est vendu, Zénon n'est qu'un jardinier, Épictète est esclave: voilà les grands hommes de la Grèce. Cherchez ceux du moyen âge dans les cachots et sur les bûchers: Abélard, Savonarole, Christophe Colomb, Galilée. Le xvi° siècle est déjà commencé quand des juges font brûler Giordano Bruno et Vanini. Descartes va mourir en Suède, Spi. noza est proscrit, Rousseau traqué d'asile en asile. Mais le cachot, le bûcher, la proscription, comme le triomphe et les couronnes, ne sont que des accidents le vrai, c'est la vérité conquise, c'est l'erreur rectifiée, c'est la méthode révélée, c'est l'horizon entrevu, la force créée. Les tyrans et la foule peuvent se liguer leurs victoires ne sont rien. Ils écra– sent l'homme la science reste. A mesure que chacun a creusé son sillon et découvert sa parcelle d'or, le philosophe vient, qui réunit en un faisceau toutes ces richesses éparses. Il embrasse l'histoire entière, il fait son profit de toutes les sciences, il découvre l'analogie universelle, et par l'analogie l'unité. Il

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