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sité, mais nous serions bien loin d'y voir de la douceur. La raison prescrit le sacrifice, sans lui rien ôter de ce qu'il a de sévère, et quelquefois, suivant les degrés, d'impitoyable. Aussi la nature a-t-elle mis en nous, à côté de chaque loi, un sentiment, pour que nous ayons de l'inclination et du plaisir à faire ce qu'il faut que nous fassions. Elle a songé aux orphelins, à tous ceux que la famille a déshérités, aux âmes d'élite dont l'esprit ou le cœur a besoin de chercher, en dehors même du foyer, une âme qui les comprenne; et elle nous a donné ce sentiment grave, viril, puissant, qui crée un lien d'autant plus fort qu'il a l'estime pour condition et la vertu pour principe: l'amitié, qui double nos forces pour agir et pour supporter, et qui nous donne dans notre ami une autre conscience et un autre cœur. C'est ainsi que la nature étend peu à peu nos amours, comme nos devoirs, et nous apprend, comme par degrés, à contracter une parenté avec les hommes, en dehors de la famille'. C'est elle qui, par les mêmes principes, nous attachant aux premiers objets parmi lesquels nous avons vécu, et couvrant d'un charme tous les souvenirs de l'enfance et de la jeunesse, autant de liens indestructibles de la communauté des mœurs, des lois, des croyances, et nous révèle, par une secrète magie, tout ce qu'il y a de doux et de

fait

1. « Ut profectus a caritate domesticorum ac suorum, serpat lon« gius, et se implicet primum civium, deinde omnium mortalium << societate. » Cicéron, de Finib., lib. II, cap. xiv.

sacré dans le nom de la patrie. Elle nous a rendus capables de pitié pour nous apprendre à tendre la main à un inconnu, et à ne mesurer que sur la grandeur des besoins la grandeur de nos sacrifices. Elle nous inspire la reconnaissance, pour qu'il y ait une consolation jusque dans l'excès de la misère; car c'est aussi un bonheur, et l'un des plus grands de cette vie, de se sentir protégé et soutenu, et de baiser avec ferveur la main bienfaitrice. Et comme, par la puissance de notre intelligence, qui nous soumet les forces de la nature et nous rend maîtres de l'avenir, notre sphère d'action est infiniment plus vaste que notre horizon, elle n'a pas voulu que nos affections bienveillantes fussent nécessairement restreintes aux âmes qui nous sont connues, aux douleurs qui nous sont présentes. Elle a allumé en nous un foyer qui brûle de lui-même. Nous embrassons dans notre amour l'humanité tout entière, des hommes que nous ne verrons jamais, ou que nous ne connaîtrons que par de mauvais offices, des générations qui ne sont pas encore nées. A la vérité, tous ces amours, qui sont nos plus vrais trésors, n'ont pas la même flamme dans tous les cœurs. Plus leur objet est étendu, éloigné, plus restreint est le nombre des âmes où ils dominent. Mais si l'amour de la famille est plus commun et plus fort, parce qu'il était plus immédiatement nécessaire, il n'y a pas de cœur d'où soit absent l'amour de l'humanité. Rien de l'homme ne manque à aucun homme.

Il n'y a rien en nous qui ne parle de la bonté de Dieu, et qui ne résiste à la triste et dure hypothèse d'un Dieu négligent ou indifférent. Le désir d'estime, que l'on flétrit dans ses excès ou dans ses misères du nom de vanité; le désir du pouvoir, souvent condamné à juste titre sous le nom d'ambition, si nous savons les retenir dans leur mesure, et les discipliner sous la règle, concourent à rendre la société possible, en y introduisant l'honneur et la honte, et en rendant aimable la possession du pouvoir qui, de sa nature, n'est qu'un fardeau. Dans les derniers temps de la puissance romaine, les charges étaient devenues si onéreuses, qu'on demandait comme une faveur d'être exclu des dignités municipales: c'est le signe infaillible de la décadence, quand, au lieu d'utiliser les sentiments humains, la législation les repousse, les contrarie et leur fait violence. Nous devons vivre en profitant de notre nature et par les ressources qu'elle nous fournit, parce que notre nature est sage et sagement ordonnée. Non-seulement elle vient à notre aide par le secours des passions, et transforme nos devoirs en plaisirs; mais ces attraits, par lesquels elle nous sollicite à remplir notre mission, elle les proportionne, en bonne mère, à notre faiblesse. Quand elle prévoit qu'un mobile d'une nature trop élevée ne sera pas assez puissant pour triompher de notre inertie, elle y ajoute quelque mobile d'intérêt plus personnel, ou dont l'énergie est plus immédiate. Quel plus magnifique but à se proposer que de

doter l'humanité d'une science nouvelle, et par conséquent d'une nouvelle puissance? Mais l'amour de l'humanité n'est pas toujours assez fort pour commander une vie entière de sacrifices, qui peut-être resteront impuissants: si l'amour de l'humanité ne suffit pas, la vérité elle-même aura un attrait. Le savant peut oublier les résultats de la science: il y a une force en lui qui le pousse, coûte que coûte, à chercher la vérité, même inutile.

Une école s'était formée au commencement de ce siècle qui, partant de ce principe qu'il n'y a rien d'inutile dans la nature, ni par conséquent dans l'homme, faisait le procès à nos mœurs et à nos lois, si remplies d'entraves de toutes sortes, et voulait remplacer la civilisation, dont le ressort est la loi, par une organisation nouvelle dont l'unique ressort eût été le plaisir. Cette école était pleine d'erreurs. La plus grave était de considérer cette vie transitoire comme un but définitif, et de vouloir supprimer l'épreuve. Elle se trompait encore en pensant que le mobile peut tenir lieu de règle, et cette faute avait pour déplorable conséquence la négation de la morale. Elle se trompait même dans l'analyse des passions, qu'elle déifiait, et dans la recherche du plaisir, dont elle faisait son tout, tant il est difficile de faire de ces réformes radicales, qui, entre autres malheurs, ont celui de supprimer l'expérience. Mais elle avait raison en ce point, que tous les sentiments inspirés par la nature sont sains et utiles; que le devoir du mora

liste et du législateur est de les respecter, de les utiliser; que la société et l'homme ne vivent que par eux; qu'ils sont les instruments du bien et les auxiliaires de la vertu, et que la suppression d'un sentiment naturel, quel qu'il soit, est toujours une diminution et une dégradation de l'homme.

Pour nous, qui ne savons pas comprendre la liberté sans la règle, ni la vertu sans le sacrifice, ni la vie terrestre sans la vie à venir, nous demandons que la passion soit à la fois acceptée et gouvernée; que le cœur soit honoré et béni dans sa condition de serviteur de la volonté morale; et que le spectacle des vices que l'homme s'est donnés ne nous cache pas celui des forces et des vertus qu'il tenait de Dieu.

Il y aurait encore, avant de quitter ce sujet de méditations sur les passions humaines, qu'on n'épuiserait jamais, à les suivre dans leurs transformations. La destinée nous emporte, aucun de nous ne sait vers quel but ici-bas. Nous ne sommes maîtres que de nousmêmes, et nous servons de jouets aux événements. Dans les changements soudains que la fortune nous fait éprouver, il est bien rare que nous ne sentions pas dans notre cœur de nouvelles forces vives pour nous aider à souffrir une situation nouvelle. Nous ne voulons pas parler ici de ces sentiments communs, mais dont l'époque et l'heure, pour ainsi dire, sont marquées dans la vie, comme l'amour paternel; non, les sentiments dont nous parlons n'ont reçu de nom dans

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