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façon absolue une extension aussi exagérée des conséquences. Ajoutons qu'à côté de ces facultés, dont le but est si noble et si lointain, il en est d'autres, en grand nombre, qui sont appropriées à notre condition actuelle, et, si on peut le dire, exactement mesurées à notre taille. Nous sommes donc faits pour habiter ce monde, pour le traverser si on veut. Nous ne le traversons pas par hasard, ou pour y subir la punition d'une faute. La main qui nous y a placés nous a tout exprès créés tels que nous devions être pour y vivre, et pour gagner, en y faisant le bien, d'aller vivre ailleurs.

Nous n'avons pas besoin de dire que nous examinons ici la théorie de la chute au point de vue de la philosophie, à la lumière de la raison, et sans tenir compte de la doctrine révélée. Le dogme du péché originel est, dans le christianisme, indissolublement lié à celui de la rédemption. Le même décret de Dieu a prononcé la punition et la réhabilitation. De la tache originelle d'une part, et de la grâce résultant du sacrifice accompli par le Rédempteur, sort pour ainsi dire tout le culte de l'Église chrétienne, et en particulier de l'Église catholique : le baptême, la la prière, la grâce, l'absolution. Dieu est un maître offensé qu'il faut craindre; c'est un père qu'il faut aimer. Il est immuable dans ses décrets; mais il a décrété la rédemption en même temps que la vengeance. Il est infiniment au-dessus de nous, mais nous agissons sur lui par les mérites de son

messe,

Fils', Dieu et infini comme lui, consubstantiel à lui. La philosophie ne peut considérer cet ensemble de dogmes que du dehors. Il repose sur une base qui lui est étrangère, sur la révélation, et contient, selon son droit de doctrine révélée, des allégations inaccessibles à la raison humaine. Il s'en faut tant qu'on ait lieu de confondre le dogme du péché originel avec la théorie philosophique de la chute, que ces deux doctrines n'ont pas même, dans l'ensemble d'idées auxquelles elles appartiennent respectivement, la même destination. La théorie de la chute a été inventée pour concilier l'existence du mal et celle de la Providence; et le dogme du péché originel est, dans la religion chrétienne, l'origine de la rédemption, la condition de la grâce et de la pénitence.

La théorie du progrès est, pour ainsi dire, le contraire de la théorie de la chute. Mais comme ce mot de progrès ne porte pas à l'esprit une idée suffisamment nette, il convient d'insister un peu sur la définition. Rien ne rend cette tâche plus facile que le rapprochement qui se produit ici par la suite des idées entre la théorie de la chute et celle du progrès, l'une qui reporte dans le passé l'idéal de l'humanité, et

1. « Les disciples demeurèrent entièrement interdits, et disaient : « Et qui pourra donc être sauvé? »

« Jésus, les regardant, leur dit : « Cela est impossible aux hom<< mes, mais tout est possible à Dieu. » Év. selon S. Matthieu, chap. xxv, vers. 25 et 26.

l'autre qui le rêve dans l'avenir; la première qui appartient toute aux regrets, et l'autre à l'espérance. Si la doctrine du progrès consiste à croire que le labeur de l'humanité n'est jamais stérile, même sur cette terre, et que chaque génération voit s'accroître, avec la somme des lumières, celle des ressources en tout genre qui améliorent la vie matérielle, facilitent le développement de la pensée, et rendent les mœurs plus polies ou plus douces, cette doctrine paraît aussi inattaquable qu'elle est consolante; inattaquable du moins pour toute philosophie qui repose sur la liberté. Mais la doctrine du progrès ainsi entendue et restreinte ne saurait être d'un grand secours pour expliquer la coexistence du mal et de la providence divine: aussi l'a-t-on singulièrement amplifiée. Il existe certains esprits, plus enthousiastes peut-être que réfléchis, qui soutiennent la nécessité d'un progrès constant de toute la nature créée, et regardent cette opinion comme une de ces vérités incontestables dont on ne peut médire sans impiété. Autant vaudrait, à leurs yeux, rejeter la liberté que de mettre seulement en doute le progrès continu et universel. C'est le propre de toutes ces opinions téméraires, adoptées d'enthousiasme et professées avec intolérance, de ressembler, dans la bouche de leurs partisans, à une provocation. Tous les partis sont les mêmes ce qu'ils ne peuvent prouver, ils l'imposent.

La doctrine du progrès continu et universel a une

double forme ou bien on place le progrès en Dieu, ou on le place dans le monde :

En Dieu, quand on suppose que son esprit, étant infini, conçoit une infinité de mondes; et que sa puissance étant infinie, réalise l'un après l'autre, dans l'ordre hiérarchique de leur perfection, tous les mondes que son intelligence a rêvés;

Dans le monde, quand on prétend que Dieu a fait une œuvre imparfaite, mais d'une imperfection qui se corrige elle-même, et s'améliore par sa propre force, de telle sorte que, sans nouvelle intervention du Créateur, le monde s'avance toujours vers l'idéal, remportant sur le mal une victoire à chaque pas, et se rapprochant de plus en plus d'une perfection qu'il ne pourra jamais atteindre.

Égale erreur des deux parts dès que cette doctrine est donnée pour rendre comple de l'existence du mal.

Car, placée en Dieu même, elle abaisse son intelligence en la remplissant de cette série progressive dont les premiers termes sont défectueux, et sa puissance, en la condamnant à passer sans cesse par des créations imparfaites pour arriver à une création mieux conçue et mieux exécutée;

Et placée dans le monde, elle ne fait que donner au mal une sorte de nécessité, loin de le pallier; elle suppose gratuitement que Dieu n'a pas pu faire du premier coup ce qu'il aurait dû ou voulu faire; elle met entre les hommes, suivant la date de leur naissance, une inégalité qui ne peut se concilier avec la

justice de Dieu. Non-seulement elle ne remédie à rien, sous aucune de ses deux formes, mais elle ne fait qu'aggraver le mal qu'elle est destinée à détruire.

Il est étrange qu'il n'y ait pas de philosophes plus dogmatiques que ceux qui s'aventurent à décrire la nature et les opérations de l'être infini. Tandis qu'on ne devrait parler qu'en hésitant sur une matière qui dépasse de si loin nos forces, ils procèdent par axiomes dont ils font autant d'articles de foi, et ressemblent moins à des philosophes qu'à des prophètes. C'est ainsi qu'ils posent en principe que l'intelligence infinie doit connaître tout ce qui est possible, tandis qu'Aristote, raisonnant sur le même sujet avec une égale assurance, établit que l'intelligence infinie ne peut connaître que l'intelligence infinie, parce que si elle s'applique au fini, elle déchoit1. Les premiers tirent de leur principe cette énorme conclusion, qu'il est de l'essence de la perfection divine de produire successivement tous les possibles; et le second, avec une logique non moins triomphante, conclut de son propre axiome que Dieu n'agit pas sur le monde comme cause efficace, et que si, en réalité, c'est lui qui produit le bien, il le produit sans le vouloir et sans le savoir, semblable à un drapeau qui, placé sur une hauteur, sert de point de ralliement à une armée. Mais, pour laisser Aristote, et ne nous

1. Aristote, Métaphysique, liv. XII, chap. Ix.

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