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ce qui tient plus du néant serait-il, et que ce qui n'en tient rien du tout ne serait pas?... Mon âme, âme raisonnable, mais dont la raison est si faible, pourquoi veux-tu être, et que Dieu ne soit pas? Hélas! vaux-tu mieux que Dieu? Ame faible, âme ignorante, dévoyée, pleine d'erreur et d'incertitude dans ton intelligence, pleine dans ta volonté de faiblesse, d'égarement, de corruption, de mauvais désirs, faut-il que tu sois, et que la certitude, la compréhension, la pleine connaissance de la vérité et l'amour immuable de la justice et de la droiture ne soit pas1?..... Dis, mon âme, comment entends-tu le néant, sinon par l'être? Comment entends-tu la privation, si ce n'est par la forme dont elle prive? Comment l'imperfection, si ce n'est par la perfection dont elle déchoit?... Il y a une perfection avant qu'il y ait un défaut; avant tout déréglement, il faut qu'il y ait une chose qui est elle-même sa règle, et qui, ne pouvant se quitter soi-même ne peut non plus ni faillir ni défaillir 2. >>

De même Spinoza : « Rien, dit-il, ni en Dieu ni hors de Dieu ne peut faire obstacle à l'existence de Dieu. Un cercle carré ne peut exister, parce que sa nature est contradictoire; et un cercle ne peut exister sans une cause, parce que sa nature n'est pas nécessaire; mais Dieu, au contraire, ne peut pas ne pas exister,

1. Première Semaine, première Elévation. 2. Première Semaine, deuxième Élévation.

puisqu'il se suffit, et qu'il n'y a rien dans sa nature qui le rende impossible '.

>>

En parlant ainsi, Bossuet et Spinoza ne font que reproduire le principe de l'argument de Descartes, dont ils négligent, on oserait presque dire dont ils dédaignent la forme.

Descartes, dont le génie était essentiellement métaphysique, a volontairement omis la démonstration que l'on tire du spectacle de l'univers, et de la nécessité d'une cause parfaite qui en explique l'existence et l'harmonie.

Cette démonstration comporte trois parties, ou plutôt elle se divise en trois démonstrations différentes.

On établit d'abord que la matière du monde a besoin d'une cause; car pourquoi subsisterait-elle par ellemême, puisqu'elle est le plus imparfait, et en quelque sorte le moins réel de tous les êtres? Donc l'existence de la matière prouve la nécessité d'un créateur.

On prouve ensuite que la matière abandonnée à elle-même est inerte. Elle subit le mouvement, elle le reçoit, elle le transmet, mais elle ne le produit pas. Donc tout ce qu'il y a en elle d'organisé et de puissant lui vient d'une cause extérieure. Donc il y a un premier moteur de la matière.

Enfin, on tire un argument de l'harmonie universelle des mouvements et des êtres. Non-seulement

1 Ethique, Ire partic, prop. 11.

la matière ne saurait exister ou se mouvoir par ellemême; mais ses mouvements, s'ils étaient, comme on le suppose, l'œuvre d'une nécessité aveugle, seraient capricieux et désordonnés, au lieu d'être pleins de beauté, de proportion et de force. Il y a donc une intelligence qui a conçu et qui exécute le plan de l'univers. Il y a une Providence.

Cette triple démonstration, ou, si l'on veut, cette démonstration unique, car il ne s'agit au fond que de rapporter l'existence du monde à une cause, est l'argument le plus populaire, le plus fréquemment employé, le plus facilement admis. Il comporte toutes les ressources de l'art oratoire, et s'adresse peut-être autant à l'imagination et au cœur qu'à la raison. Il a le mérite de nous accoutumer à chercher surtout, dans l'étude des phénomènes, la loi qui les régit, et à considérer les lois comme les formules diverses d'un seul et unique principe.

Mais le malheur de cet argument, c'est que, s'il prouve invinciblement ce qu'il prouve, il ne prouve pas tout ce qu'il serait nécessaire de prouver. Le Dieu qui a fait le monde est sans doute puissant et intelligent; mais a-t-il la plénitude de la puissance et de l'intelligence? Entre un Dieu simplement capable de faire le monde, et un Dieu parfait, il y a un abîme, il y a l'infini. Nous voyons ici-bas des beautés et des perfections en grand nombre; nous y voyons aussi du désordre. L'induction qui conclut des grandeurs du monde aux perfections de son auteur ne

nous fournit aucune explication de ce que le monde renferme de mal. Un seul point de la démonstration pourrait nous faire entrevoir la perfection divine; c'est ce qui touche à la création. Mais c'est un mau vais chemin que le monde pour arriver à la création, puisque la création n'a pas d'analogue.

Cette preuve, ou une preuve toute semblable a été longuement développée par Samuel Clarke dans son Traité de l'existence de Dieu, objet de l'admiration un peu excessive de Voltaire. Clarke procède avec le même appareil et la même sécheresse que Spinoza, dont il n'a pas le génie. Il dispose une série interminable d'axiomes et de syllogismes, tantôt pour prouver que le monde est contingent, tantôt pour établir qu'il existe nécessairement un être infini et éternel. Dans le fond, tout se réduit à soutenir que l'être parfait ne peut être la collection de tous les êtres imparfaits; de telle sorte que, par une voie différente, Clarke tombe dans la même faute et dans la même erreur que Descartes, et ne fait que répéter cent fois sous la forme du syllogisme la proposition fondamentale des écoles rationalistes.

Nous ne mentionnerons que pour mémoire un autre argument, particulier à Samuel Clarke, et que Leibnitz a jugé digne d'une réfutation. Le voici Le temps infini et l'espace infini ne sont pas des substances; donc ce sont des attributs; donc il existe un sujet infini du temps et de l'espace

infinis1. Pour cette fois, ce ne sont pas seulement les sensualistes qui refusent d'admettre ce raisonnement; et les rationalistes conséquents sont d'accord avec eux pour rejeter ces deux chimères du temps et de l'espace infinis, dont Clarke veut faire les attributs de Dieu.

Telles sont les preuves régulières de l'existence de Dieu qui méritent d'être indiquées, et qui, sous diverses formes, remplissent les traités de philosophie où l'on a cru devoir faire dépendre d'un syllogisme cette vérité fondamentale, sans laquelle rien ne peut être vrai. Fénelon les a toutes résumées, avec beaucoup de force et d'éloquence, dans son Traité de l'existence de Dieu. Réunies ainsi, pour ainsi dire, en corps de doctrine, elles frappent l'esprit comme quelque chose de grave et de considérable. On aperçoit bien quelques objections, on passe difficilement sur quelques détails; mais on comprend, en somme, que la thèse contraire à celle de l'auteur est insoutenable et inadmissible. Le prêtre, le prédicateur se sentent derrière le philosophe; Fénelon est un des premiers écrivains, dans notre langue, qui aient

1. L'origine de cette démonstration de Clarke est dans cette phrase célèbre de Newton : « Durat semper, adest ubique, et exis<< tendo semper et ubique, durationem et spatium, æternitatem et << infinitatem constituit. » Dieu dure toujours, et est présent partout; et, par sa durée continue et son omniprésence, il constitue le temps et l'espace, l'éternité et l'infinitude. » Philosophiæ naturalis principia mathematica, lib. III, schol. gen.

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