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occuper ici que de la doctrine opposée que nous avons à discuter, comment peut-on affirmer sans preuves une proposition aussi grave que celle-ci : qu'il est de l'essence d'une intelligence infinie de connaître actuellement tous les possibles? Les divers degrés du possible varient depuis le mal jusqu'au bien, de sorte, qu'en vertu de cette proposition, la conception du mal est considérée comme une des formes nécessaires de la perfection de l'intelligence. La proposition qui suit celle-là est plus considérable encore; et il n'est personne qui, en réfléchissant, veuille accepter comme article de foi, qu'il est de la perfection de la puissance infinie de produire tout ce que l'intelligence infinie conçoit. Si l'intelligence infinie conçoit nécessairement le mal, et le plus grand mal possible, comment soutenir que la puissance infinie produira nécessairement le plus grand mal possible? Penser le mal, produire le mal, ce n'est pas, dans les idées ordinaires, une preuve de perfection. Il y a plus la vraie puissance est la puissance libre; et la vraie intelligence est l'intelligence critique. L'intelligence de Dieu telle qu'on nous la fait avec ces prétendus axiomes n'a qu'une perception nécessaire et continue d'une série de possibles, sans discernement du bien et du mal, et sans prédilection; et la puissance de Dieu produit, réalise ces perceptions dans un ordre fatal. Elle devient donc, par le fait, une puissance aveugle : voilà à quels abîmes on aboutit. Nous, atome, nous jugeons et nous voulons; et le

grand Dieu qui est la cause créatrice, n'aurait, pour toute vie intellectuelle qu'un rêve, et pour toute action que la production fatale d'une série hiérarchique de mondes, s'améliorant sans cesse, non par sa volonté; de telles pensées ne sont pas soutenables.

Considérée dans ses effets, et non dans la cause divine, cette doctrine de progrès continu ne se soutient pas mieux. Elle implique que Dieu a fait d'abord un monde tellement mauvais, qu'il n'en pouvait lui-même concevoir de pire. C'est à cette condition que la théorie peut expliquer le mal. Quelle explication! qui consiste à détruire Dieu! car elle le détruit, et le remplace par je ne sais quel destin barbare et aveugle, indigne d'amour et de respect. Non; Dieu n'a pas fait un tel ouvrage. Nous sommes embarrassés des imperfections de ce monde, en présence de la perfection du Créateur; et pour sauver la difficulté vous supposez que ce monde a été mille fois pire? Il est évident que le monde, en sortant des mains de Dieu, a eu toute la perfection qu'il pouvait avoir. Je n'entends pas tous les prétendus axiomes métaphysiques dont on nous accable; mais j'entends que Dieu est bon, tout-puissant, et libre. Ainsi la question reste entière, et la solution tirée de la doctrine du progrès continu et universel doit être repoussée dans les chimères.

Arrêtons-nous cependant pour répéter que nous rejetons la théorie du progrès dans ses excès et dans l'application qu'on en a voulu faire au dogme de la

Providence; non dans son principe, qui est vrai, qui est le vrai.

Nous repoussons la théorie qui attente à la liberté de Dieu, qui dégrade son intelligence, qui, sous prétexte d'exalter et d'expliquer sa bonté infinie, le condamne à produire le mal, et à commencer la série des créations par le pire des mondes possibles; la théorie qui, sans autre motif qu'un caprice de la spéculation, veut établir que tout dans le monde suit fatalement la loi du progrès, non-seulement l'homme, mais les animaux, les plantes, la nature inanimée ; car c'est jusque là qu'il faut venir, avec cette doctrine des créations successives; on ne peut la limiter à une classe d'êtres; elle envahit tout, elle jette l'imagination dans une sorte de chaos, elle ouvre la porte aux absurdités les plus monstrueuses; elle contraint cette philosophie hautaine, après avoir débuté par des axiomes nullement justifiés, à peine intelligibles, à finir comme un conte des Mille et une nuits. Et que dit à cela l'histoire ? Que dit la science? Car il n'est pas permis de mettre de côté les faits, puisqu'il s'agit de leur loi; les transformations ne commencent pas à partir de ce jour, suivant le système; elles datent du jour de la création; les transformations passées doivent donc nous éclairer sur les transformations futures. Mais non; l'histoire ni la science ne disent mot; et pour ne parler que du corps de l'homme, rien à coup sûr ne nous autorise à dire que sa forme se soit améliorée ou même modifiée depuis l'origine.

Nous repoussons donc sans hésiter cette ambitieuse et vaine théorie, qu'on ne peut presser sans en faire sortir l'absurde.

Mais quand on restreint la théorie du progrès à ce qu'il y a de libre dans la nature, alors l'histoire répond et les témoignages abondent. Il est trop vrai que le monde physique subit aujourd'hui les mêmes lois que le jour de sa naissance; que la disparition de quelques espèces animées laisse indécise la question de savoir si elles ont été remplacées par d'autres espèces, et par des espèces supérieures; et qu'enfin le corps de l'homme n'a rien à attendre de l'avenir, et n'a rien gagné dans le passé; mais l'esprit de l'homme, sa moralité a fait des progrès; son patrimoine s'est accumulé. Il ne faut pas voir les anciens hommes dans Homère, qui ne parle que des héros, et qui les crée plutôt qu'il ne les décrit; il est plus juste de conclure ce qu'ils étaient de ce que nous savons de leurs lois, de leurs mœurs, de leur religion, de ceux de leurs actes qui sont restés dans la mémoire, et des jugements qu'eux-mêmes ont portés sur des événements célèbres. Ainsi dégagés des préoccupations de l'esprit de parti et du factice enthousiasme de quelques rêveurs pour la nature primitive, nous voyons l'homme sortir des ténèbres et de la nuit, pour marcher de siècle en siècle vers une lumière plus vive et plus pure. On retrouve l'homme à toutes les époques sans doute; mais d'abord l'homme enfant, barbare, livré à ses instincts, impuissant contre la nature; peu

à peu, l'intelligence qu'il porte en lui se développe; chaque génération élève mieux la génération qui va la suivre; les sociétés se perfectionnent; les lois naissent et s'améliorent; le génie de l'homme éclate dans les arts, se déploie plus lentement, mais avec une progression plus constante dans l'industrie. La science pénètre ensuite à loisir, pas à pas, dans le sein de la nature1; elle en étudie, elle en sonde les mystères; elle les rapporte à leurs causes : l'intelligence humaine prend possession du monde et d'ellemême. Quelques vices plus raffinés sortent d'une civilisation nouvelle, en même temps que des vices plus barbares disparaissent; les hommes deviennent à la fois plus rusés et plus doux. Il arrive de loin en loin une catastrophe; le monde est balayé par un vent d'orage, après lequel l'histoire nous montre des débris sur le sol, des peuples éperdus, ne connaissant plus leur voie, des enfants indignes de leurs pères. Puis ces années d'horreur disparaissent; les grands hommes se montrent de nouveau, et retrouvent le passé ou devancent l'avenir; ils traînent après eux l'humanité; ils lui rendent les arts perdus, ils recommencent son histoire, ils relèvent les autels, ils écrivent de nouvelles tables de la loi; et par eux naît une autre civilisation qui efface les merveilles de la première. Ne regardons pas ces cataclysmes,

1. Fichte, la Destination de l'homme, traduction de Barchou de Penhoen, p. 277.

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