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si nous voulons suivre la vie de l'humanité à travers les siècles; ne nous attachons ni à une race ni à un peuple. Pour posséder les résultats de l'histoire, il faut la juger dans son ensemble; pour connaître une vaste plaine, il faut monter sur la hauteur. Les Grecs, les Romains ont eu leur décadence; l'humanité ne déchoit pas. Un peuple périt à côté de nous, un autre se lève. Une transformation politique s'étend de proche en proche, et arrête pour un temps l'essor et la fécondité de l'esprit. Ce n'est qu'un orage passager; n'étendons pas ces ténèbres sur le passé et sur l'a

venir; le soleil brillait hier, il renaîtra demain. Si vous sentez en vous le découragement, entrez dans une bibliothèque. Que n'avons-nous conservé le catalogue de la bibliothèque d'Alexandrie! Nous y aurions vu la richesse des anciens; donc nous aurions touché au doigt leur pauvreté. Sans doute, nous n'avons pas un Homère; peut-être n'avons-nous ni un Platon ni un Aristote; mais pourquoi sont-ils si grands? Parce qu'ils sont grands dans une société de petits esprits. Platon parlait à l'élite d'Athènes; tandis que Leibnitz aurait trouvé un auditoire d'un bout à l'autre de l'Europe et dans le nouveau monde. Aristote avait tant demandé et tant découvert des secrets de la nature, qu'il avait pris pour ainsi dire plus que sa part; mais ceux qui ont travaillé après lui dans le même sens sont partis du point où il était arrivé, et ils marchent encore, sans que nous puissions dire, sans que nous puissions prévoir jusqu'où ils iront.

Êtes-vous incapable de suivre les progrès de l'esprit humain dans la théorie? Écoutez les faits; la matière parle. Comparez les astronomes de la Chaldée aux savants de l'Observatoire de Paris; rappelez-vous les colonnes d'Hercule; rapprochez les galères anciennes d'un navire à hélice; entrez dans un bureau de télégraphie électrique; montez dans un wagon de chemin de fer; mettez la main sur le premier objet venu dans votre cabinet : voilà une montre, un télescope, une lampe voilà un livre! L'homme était comme Encelade écrasé sous trois montagnes, la pesanteur, la durée, l'étendue. Il a vaincu la pesanteur par les machines, il a pris à son service la force qui l'arrêtait; il a vaincu le temps par l'histoire et par la télégraphie, dans deux sens différents; et il est en train de détruire les espaces par la rapidité de sa course et la force de ses instruments d'optique. Prenez une carte du monde; voyez la place que la civilisation y occupe sur les deux hémisphères; et remontez ensuite le cours des siècles pour admirer avec quelle rapidité cette étendue va décroître. Le xv° siècle, à lui seul, vous enlèvera la moitié de la terre! L'empire romain qu'on appelait l'empire du monde, est pressé de toutes parts par la barbarie. Sous Périclès, la civilisation est resserrée dans un coin de terre1. Le progrès est écrit dans cette histoire en caractères si visibles qu'on ne peut presque le dire et le montrer sans sentir qu'on débite des lieux communs.

1. Fichte, la Destination de l'homme, p. 285 sqq.

Dieu a mis le progrès là où il était légitime, nécessaire, dans la liberté. La métaphysique est d'accord avec l'histoire. Concevez un être parfait : le progrès est pour lui impossible, et même le mouvement, puisqu'il ne peut changer sans déchoir; concevez un être qui ne dispose pas de lui-même et ne puisse ni connaître, ni modifier sa destinée : pour lui, la perfection relative consiste à rester tel qu'il est sorti des mains de l'ouvrier, sans s'altérer, sans se rouiller, fonctionnant aussi bien le dernier jour que le premier; mais, maintenant, supposez un être imparfait qui connaisse et qui aime la perfection: ne faut-il pas qu'il puisse tendre vers elle, s'améliorer sans cesse pour lui ressembler davantage, et améliorer autour de lui tous les êtres qui rentrent dans la sphère de son activité? Marcher ainsi en avant à la conquête du bien, c'est la loi, c'est le privilége, c'est la gloire et la consolation de l'humanité.

C'est donc en admettant la doctrine du progrès, en lui faisant sa part, que nous refusons d'expliquer par elle la coexistence de la perfection de Dieu et de l'imperfection du monde.

Reste dans l'histoire une seule doctrine qui mérite d'être comptée: c'est l'optimisme.

On connaît la formule de l'optimisme, que Voltaire a popularisée plus encore que Leibnitz: Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Cette formule, comme il arrive, a été prise dans

un sens très-absolu. Rien ne vaut une formule pour résumer une doctrine, la graver dans l'esprit, et la répandre parmi la foule; mais, faisant son chemin séparément et sans la philosophie qu'elle résume, il est bien rare qu'elle soit entendue dans son véritable sens. Tous ceux qui n'ont pas lu Leibnitz, et parmi ceux-là on serait tenté de ranger Voltaire, croient volontiers que ce grand métaphysicien a prétendu que le mal était absolument banni de ce monde. Il n'en est rien. Leibnitz ne nie pas le mal, comme les stoïciens, en niant la douleur ; il ne songe pas, comme Buckland, à transformer le mal en bien par des interprétations forcées. Sa théorie ne s'applique ni aux individus, ni même aux espèces, mais à l'ensemble des êtres créés et à la durée totale de cet univers; et c'est de l'ensemble des créatures et de la totalité de leur durée qu'il soutient, non la perfection absolue, mais la perfection relative. Cette explication une fois donnée, l'admirable roman de Candide, sans rien perdre de son originalité et de ses grâces, cesse d'être un argument.

L'optimisme ainsi ramené à son vrai sens est, sans contredit, une doctrine très-grave. On peut la considérer tour à tour en partant de Dieu et en partant du monde.

En partant de Dieu, il est évident qu'on est conduit tout droit à la théorie de l'optimisme, puisque, sans elle, on se sent obligé d'admettre une limite à l'intelligence, à la puissance ou à la bonté de Dieu.

En partant du monde, on ne voit rien qui oblige à la croire fausse; car il est vrai que nous heurtons, pour ainsi dire, le mal à chaque pas; mais qui nous prouve que ce mal ne soit pas la condition d'un plus grand bien? Nous ne pouvons nous représenter la totalité de l'être; donc il nous est impossible de savoir si ce qui nous paraît être un mal n'est pas corrigé par quelque raison générale qui nous échappe. Notre expérience personnelle, tout imperceptible qu'elle est dans ce grand tout, nous apprend à juger avec indulgence; et la science voit des rapports et des analogies où le vulgaire n'aperçoit que du désordre. Il n'y a rien de plus simple et de plus vraisemblable que cette doctrine; et on ne peut se dissimuler qu'elle ôte à l'objection du mal une grande partie de sa force.

Nous n'hésitons pas à l'admettre dans sa donnée principale, et à reconnaître que le monde, pris dans sa totalité, est aussi parfait qu'il pouvait l'être; mais comme cette doctrine laisse subsister le mal dans le détail, elle ne détruit pas complétement la difficulté; et pour aller directement à ce qui est décisif, en quoi cette perfection relative du monde dans son ensemble remédie-t-elle à la douleur physique et au mal moral? Si je me plains à Dieu de la douleur que je souffre, suffira-t-il que Leibnitz vienne me répondre que le monde est une œuvre excellente, parce qu'il est sorti des mains d'un excellent ouvrier? Eh! je le crois; mais y avait-il quel

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