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pour une fièvre, ou de gémir parce qu'on a jeté à un autre un bout de ruban que nous convoitions, tâchons d'être des hommes, et de prendre la vie au sérieux. Laissons le bougeoir aux courtisans, et la plainte aux femmelettes. Regardons moins l'intérêt matériel, et songeons à notre avancement, non en qualité de fonctionnaires ou de courtisans, mais en qualité d'hommes. S'il nous faut une ambition, ayons celle de faire beaucoup de bien, la seule ambition virile. Rappelons-nous que la vie est courte, et suivie d'une vie immortelle traversons ce passage avec intrépidité, comme un soldat qui va à la victoire. Nous ne sommes pas maîtres de la fortune; mais bien de notre cœur1. Le monde peut nous condamner à souffrir; non à souffrir lâchement. Il peut nous tuer, et non nous souiller 2. Il peut nous prendre une à une toutes les joies qu'il donne; mais il dépend de nous de dédaigner ses joies, ses injustices, ses douleurs, et de rester calmes, fiers, dévoués, en pleine possession de nous-mêmes, sous l'œil de Dieu.

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Encore une fois, nous ne voulons pas ici nier le mal; mais, dans une question de degré, nous avons le droit de réduire à leur juste valeur des plaintes que la lâcheté et l'ignorance exagèrent au delà du vrai. Sans prendre tous ces détours, nous pourrions du « Conentur sibi res, non se submittere rebus. >> Horat., lib. I, epist. 1, v. 19. 2. « Ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer que le corps, et n'ont point de pouvoir sur l'âme. » Ev. selon S. Matth., chap. x,

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vers. 28.

premier coup dédaigner une question de degré. Il fallait, dites-vous, qu'il y eût du mal, mais il n'en fallait pas tant. Et par où donc l'estimez-vous? Quel est votre terme de comparaison 1? Vous le mesurez, non par lui-même, mais à votre couardise, et c'est pourquoi vous le faites si grand. Supposez qu'aujourd'hui, à l'heure qu'il est, Dieu, par sa volonté souveraine, ôte du monde la moitié du mal qu'il y laisse : diront demain les ennemis de la Providence? Ils diront ce qu'ils disaient hier, à moins que leur cœur ne soit changé.

que

Le mal est comme toutes les choses de ce monde qui sont exclusivement de ce monde : il n'a pas de mesure fixe. Il est grand ou petit suivant la force avec laquelle on le supporte. Dans une salle d'hôpital, ce n'est pas le plus malade qui gémit le plus, c'est le plus tendre. Dans une disette à la mer, l'un supporte bravement les privations, l'autre se désespère et succombe. L'habitude y fait beaucoup. Il y a tel riche qui se trouverait malheureux s'il était réduit à se contenter de l'ordinaire d'un ouvrier. La misère de celuici suffit à l'ambition et au bonheur de celui-là. Le même homme peut changer selon les circonstances. Tel qui s'est évanoui pour un coup de bistouri supporte héroïquement un coup de sabre. Il faut d'autant plus rougir de l'impatience avec laquelle nous souf

1. « Undecumque ex æquo ad cœlum erigitur acies, paribus inter<< vallis omnia divina ab omnibus humanis distant. » Senec., Consolatio ad Helviam, cap. ix.

frons la douleur, que la douleur est presque toujours la juste mesure de notre faiblesse.

Ainsi donc il y a du mal, nous l'avouons; et il ne faut

pas dire qu'il y en ait trop, car c'est se confondre dans ses propres pensées. Mais ce mal enfin, quel qu'il soit, est-il conciliable avec la puissance et la bonté de Dieu? Ce peu de mal, en présence d'un si grand bien, n'empêche pas que le monde ne soit bon; mais pourquoi Dieu y a-t-il laissé subsister quelque mal?

C'est demander pourquoi Dieu, qui nous a faits à son image, ne nous a pas faits du même coup à sa mesure. Quoi donc! vouliez-vous être parfaits? Est-ce là ce que vous demandez? Et ne pouvez-vous en conscience vous contenter à moins? Dieu, qui peut tout, ne pouvait pas cela. Il ne pouvait pas faire un être parfait, car il y aurait deux dieux, ce qui est absurde. Il est de l'essence d'un être parfait de ne pas être créé, et de se suffire à lui-même et pour être et pour subsister. Quand vous démontrez l'existence de Dieu, vous vous appuyez sur ce principe qu'il faut un être nécessaire, subsistant par lui-même, pour expliquer la possibilité de l'existence du reste des êtres. Et quand vous raisonnez sur cet être nécessaire, la première vérité que vous apercevez, c'est qu'aucun défaut ne peut être en lui, et qu'il n'y a aucune raison quelconque qui puisse faire qu'il y ait en lui une limite. La nécessité de son existence et la perfection de sa nature sont deux dogmes du même

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ordre, établis au même titre, corrélatifs l'un à l'autre, à jamais inséparables, et sans lesquels aucune spéculation n'est possible sur l'existence et la nature de Dieu. D'où il suit invinciblement, que si le monde était parfait, il serait Dieu, et n'aurait pas de cause; et que, n'étant pas Dieu et ayant une cause, il est absolument nécessaire qu'il soit imparfait. Cela étant ainsi, il est aussi absurde de reprocher à Dieu l'imperfection du monde, que de soutenir qu'un bâton peut n'avoir qu'un bout, que le tout est moins grand que la partie, ou que la ligne droite n'est pas le plus court chemin d'un point à un autre.

Nous avons démontré deux choses: l'une, c'est qu'il ne faut pas tirer un argument de la quantité du mal, parce que cette quantité est une valeur indéterminée et, pour ainsi dire, imaginaire; l'autre que l'existence du mal est la condition nécessaire de l'être créé, non parce que cet être est tel qu'il est, mais simplement parce qu'il est créé. Cette double démonstration faite, l'objection ne subsiste plus.

Quand nous disons que l'existence du mal est nécessaire, qu'elle est la condition nécessaire de l'existence d'un être créé, il ne faut pas entendre par là que le mal existe séparément, et à titre de réalité spéciale et distincte. Dieu n'a pas fait et ne peut pas avoir fait le mal; mais il a fait un bien relatif, audessus duquel notre esprit peut toujours concevoir

un plus grand bien. Ce qui manque à ce bien réel pour être égal au bien que nous imaginons dans la même espèce, est justement ce que nous appelons le mal. Ce mot n'exprime qu'un non-être; le mal, c'est-à-dire l'absence, le défaut du bien.

Nous pouvons dire encore, pour continuer la même pensée, que tout ce qui tombe dans le temps et l'espace est immédiatement susceptible d'être mesuré. Or, être susceptible d'être mesuré, en d'autres termes, être grand ou petit, qu'est-ce, sinon ne posséder qu'une certaine mesure de l'être, exister pour un certain temps, d'ici là, dans telle condition restreinte? La limite, la mesure, la multiplicité, la divisibilité, le manque ou défaut, ce ne sont là que des formes plus abstraites de ce que la langue commune appelle le mal. Demander pourquoi il y a du mal, ou bien, pourquoi il y a du changement, de la multiplicité, de la mesure, du temps et de l'espace, c'est tout un; et c'est demander pourquoi le monde est monde.

Sans doute, cela même est un problème. Que le monde soit, c'est une vérité incontestable, bien plus difficile à comprendre et à admettre que cette autre vérité incontestable : il y a un Dieu. Pensons à Dieu c'est-à-dire, à l'être parfait, ayant la plénitude de l'être il est impossible qu'il ne soit pas. Pensons au monde, c'est-à-dire, à l'être nécessairement imparfait il est possible qu'il ne soit pas, et même il est difficile qu'il soit; car il ne peut être sans une cause parfaite; et l'on ne peut imaginer comment une cause

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