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parfaite a pu se porter à créer, je ne dis pas ce monde, mais un monde. Ce problème est l'unique problème. C'est celui de la création. Nous l'avons discuté sous sa forme abstraite en parlant de la création; nous n'aurions qu'à répéter à propos du mal ce que nous avons dit alors de l'être imparfait ou limité; car le mal n'est que la limite de l'être. Il ne faut pas se laisser tromper par une simple différence de langage, et croire qu'il y a deux problèmes quand il n'y en a qu'un. Pourquoi Dieu a-t-il voulu le monde? Pourquoi et comment l'a-t-il fait? Comment l'existence de Dieu et l'existence du monde peuvent-elles se concilier? Se peut-il que Dieu sache l'avenir et que l'homme soit libre, que la puissance de Dieu soit sans bornes, et la liberté de l'homme entière? Par quel mystère le Dieu tout-puissant, qui est en même temps la bonté par essence, laisse-t-il subsister le mal? C'est, sous trois formes, une question unique. Comme les calculs se simplifient par la forme algébrique, la philosophie peut simplifier toutes les disputes sur la création, la prescience et le mal, en les ramenant à cette question suprême : la coexistence de l'un et du multiple. Si vous admettez une fois la création, ne soyez donc plus en peine ni de la liberté ni du mal.

Il n'y a qu'un point qui subsiste encore après cette réponse c'est l'injustice.

Nous ferons, si l'on veut, bon marché de la lai

deur; nous nous résignerons à la souffrance; nous comprendrons même le vice. Oui, cela est vrai; l'imperfection est nécessaire à la créature; et du moment que Dieu laisse une part à l'homme, il faut bien que la liberté humaine s'exerce dans les conditions de la lutte, entre la sollicitation du bien et celle du mal, entre le plaisir et la douleur, avec la chance de succomber, et la chance plus fréquente de triompher. Mais enfin, cette abdication de Dieu est loin d'être complète. La liberté qu'il nous donne a une règle; et cette règle, que nous pouvons transgresser, mais que nous devons suivre, est la volonté même de Dieu. C'est notre grandeur de connaître cette volonté, et de nous y soumettre volontairement au prix du sacrifice. Cette règle est écrite partout dans le monde. D'abord dans notre conscience, c'est-à-dire tout à la fois dans notre raison et dans nos sentiments; car tout, en nous, parle du devoir, la faculté par laquelle nous pensons et celle par laquelle nous éprouvons. Nous trouvons ensuite la règle écrite en caractères éclatants dans les lois humaines; car enfin, s'il y en a d'injustes, d'odieuses, de tyranniques, elles sont connues pour telles, elles ne trompent personne, ou elles ne trompent qu'un petit nombre. La majorité immense des lois n'est que la raison écrite, c'est la formule du devoir et c'est pour cela que le nom de la loi reste saint, même quand les passions et la violence glissent leur arbitraire dans ce code de la civilisation et de l'humanité. L'histoire aussi nous raconte le devoir;

et, pour le trouver dans la succession des faits, nous n'avons pas besoin que l'historien les commente. La simple succession des événements nous avertit. Enfin, il n'est pas jusqu'au spectacle du monde qui ne révèle partout la trace d'une destination harmonieuse, d'une appropriation de tous les êtres à un but spécial, et d'un concours de ces forces et de ces applications diverses à une fin unique. Cependant le mal est inégalement réparti. Tel homme est heureux, tel autre malheureux ; ou, si vous voulez que personne ne soit heureux, le malheur de l'un est plus grand que celui de l'autre. Qu'on y prenne garde ceci est une injustice; et ceci est une difficulté réelle. On ne peut pas dire ici que le degré du mal n'est rien; car nous ne comparons plus la somme des maux à un idéal fictif, mais un certain mal à un autre mal; et nous ne reprochons pas à Dieu de nous faire souffrir, mais de nous faire souffrir plus qu'un autre. Il peut nous faire souffrir, quoiqu'il soit bon; mais, s'il est juste, il doit nous faire souffrir également.

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La difficulté prend encore plus de force quand on réfléchit que l'inégalité des souffrances n'est nullement justifiée par l'inégalité du mérite. Si l'on pouvait répondre celui-ci souffre moins, parce qu'il est meilleur, tout serait sauvé; mais on ne le peut. Voici un homme qui naît dans la richesse; et un autre qui naît dans la pauvreté. Celui-ci travaillera et souffrira pour celui-là est-ce juste? Qu'on ne dise pas que la fortune n'est rien. Ces grandes maximes

ne sont vraies que dans leur mesure; dans leur mesure; il est absurde et criminel de préférer la richesse au devoir; mais la richesse est, en ce monde, un grand instrument et une grande condition de bonheur. Ceux qui soutiennent que le bonheur ou le malheur doit se mesurer uniquement au degré de notre sensibilité, font encore un paradoxe, parce qu'ils exagèrent une vérité au point d'en faire un mensonge. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à se rappeler, dans les diverses phases d'une vie, quels ont été les temps heureux et les temps malheureux : on verra que le bonheur dépend en partie de la richesse. En d'autres termes, un homme juste, et qui est riche, est plus heureux qu'un homme juste qui est pauvre. Cela étant, pourquoi Dieu permet-il qu'un juste naisse dans la pauvreté ?

Enfin l'injustice deviendra plus grande encore si nous considérons, non plus un juste et un juste, mais un juste et un criminel; que nous supposions le juste accablé de privations et de misères, trahi dans ses affections, emprisonné, chassé de son pays, flétri par un arrêt, écrasé sous le poids de la calomnie; et l'autre triomphant, entouré de luxe, jouissant des plaisirs de l'intelligence, et peut-être même du plaisir d'être aimé et admiré; proposé pour modèle à la jeunesse, parlant de vertu, peut-être sans remords, vivant vertueusement des fruits de son crime, parce que la vertu est facile pour celui à qui rien ne manque, glorifié encore après sa mort, grâce à la puis

sance fascinatrice du succès. Pensons à cela, et de ce spectacle, de lui seul, demandons compte à la justice de Dieu.

Il y a trois réponses.

Certains utopistes généreux s'imaginent que tout ce mal vient des hommes et de la manière dont la société est organisée. Suivant eux, il n'y a qu'à changer les bases de l'ordre social pour remettre chacun à sa place et faire régner la justice. A Dieu ne plaise que nous voulions décourager de telles espérances! Nous croyons que les abus sont nombreux, et qu'à beaucoup il y a du remède; et nous demandons seulement que l'ambition ne prenne pas le masque du dévouement, que l'ignorance ne se fasse pas dénigrante, que le désir de retrancher le mal ne se change pas en manie de tout transformer, qu'on n'emploie pas, même pour une bonne fin, des moyens condamnables, et qu'on ne remplace pas un ordre défectueux par un désordre absolu. Nous demandons surtout qu'on ne se repaisse pas d'espérances vaines, et qu'on n'oublie pas, dans toutes ces réformes, la nature même de l'être social pour qui elles sont faites. Telle est la nature de l'homme que l'imperfection et par conséquent l'injustice l'accompagnera toujours : tout l'effort du législateur doit tendre à rendre l'injustice moins fréquente ou moins complète. Laissons donc ces espérances excessives, qui traitent trop mal la société, et trop bien l'homme; et ne croyons pas ré

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