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tre. Pénétrons-nous bien d'abord de la nature de la difficulté, avant de tenter de la résoudre.

Il est incontestable que quand nous pensons à Dieu en partant de l'idée de la perfection absolue que nous trouvons au fond de notre raison, et quand nous nous élevons à lui à l'aide de l'idée de cause en prenant dans le monde notre point de départ, nous arrivons à des spéculations d'une nature très-différente, et qui ont chacune leur inconvénient. La première méthode nous conduit à un Dieu immuable, dans lequel il n'y a place pour aucune imperfection et pour aucune limite; et la seconde, à un Dieu plus accessible et plus humain, dont la majesté attire notre amour sans effrayer notre intelligence, et dont nous croyons sentir en quelque sorte au-dessus de nous la main paternelle. La difficulté est égale dans les deux systèmes,

pour descendre jusqu'à la création; ici pour monter jusqu'à l'unité. Le Dieu immuable de la métaphysique ne peut penser qu'à lui-même; il ne peut aimer que lui-même, son action se termine en lui-même. S'il pense au monde, s'il l'aime, s'il le produit, s'il le gouverne, le temps, l'espace, et par conséquent l'imperfection pénètrent en lui: il dégénère de son unité absolue. Pour qu'une action soit grande, il ne suffit pas qu'elle soit produite par une pleine puissance; il faut que l'effet en soit grand: de sorte que la petitesse du monde abaisse Dieu et l'amoindrit. Au contraire, le Dieu-cause de la philosophie du sens commun aime le monde, s'en occupe, le gouverne; il répond par

des bienfaits à nos prières; il peut donc être touché; nous avons dans notre bassesse quelque action sur cette grandeur infinie. Ainsi son immutabilité n'est pas entière; son éternité, que le monde traverse, n'est pas indivisible; il ne se suffit pas à lui-même, puisqu'il lui faut un témoin et une preuve de sa gloire. Que résoudre dans un tel antagonisme? Faut-il renoncer à la notion de la perfection, qui entraîne inévitablement l'immutabilité? Ou à la notion de la Providence, qui semble rendre l'immutabilité impossible?

Nous retrouvons ici par un autre chemin l'éternel et peut-être l'unique problème de la philosophie : la conciliation de l'un et du multiple. C'est, au fond, le problème de la création; mais nous le voyons ici plus manifeste en quelque sorte, puisqu'il paraît au premier abord que le gouvernement assidu et persévérant du monde implique plus de mobilité et plus de diversité que l'acte unique de la création. Nous regardons ce problême comme insoluble. L'effort de la philosophie doit tendre à en bien poser les termes pour éviter toute équivoque, et à montrer nettement jusqu'où va notre science, où commence pour nous l'incompréhensible. Loin de nuire à la raison en lui retranchant ainsi ce qui la surpasse, on fortifie son autorité dans les matières qui tombent légitimement sous sa juridiction. En toutes choses l'ignorance même est préférable à la fausse science.

L'histoire nous offre quelques essais de conciliation entre l'unité de Dieu et sa providence. Nous ne reviendrons pas sur la doctrine des panthéistes déjà réfutée. Aristote avait proposé un système ingénieux, qui a servi de type à toutes les écoles dont la théologie repose sur l'hypothèse d'un Dieu indifférent. Selon lui, Dieu est et demeure immuable; rien ne vient troubler son immutabilité, aucune volonté, aucune pensée. Il ne pense qu'à lui; il n'aime, il ne désire, il ne veut rien en dehors de lui. Voilà bien le Dieu spéculatif de la métaphysique. Ce Dieu, qui dédaigne de connaître le monde, et par conséquent de le gouverner, est pourtant la cause de tout l'ordre que nous y voyons. C'est que le monde est un être éternel, ou, pour parler comme Aristote, un animal dont la nature est d'aimer le beau et le bien, et de tendre vers lui; de sorte que Dieu le gouverne en lui servant d'étoile, sans sortir de son immutabilité'. La première difficulté de ce système, c'est qu'il suppose l'éternité de la matière, et de la matière organisée; la seconde, c'est que ce Dieu immuable et indifférent, dont on veut faire l'unique objet de l'amour, n'a plus rien dans sa nature qui nous le fasse aimer.

Les alexandrins ont une solution beaucoup plus profonde dans la théorie des hypostases. Ils supposent

1. « Voici comment meut ce moteur immuable : le désirable et l'intelligible meuvent sans être mus.... Le premier moteur meut en tant qu'aimé. » Métaphysique, liv. XII, chap. vII.

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un seul Dieu en trois hypostases, dont la première est l'unité immuable de la métaphysique, la troisième est le père du monde, et la seconde leur sert de lien.

Cette hypothèse expliquerait tout, si elle pouvait elle-même être expliquée, et surtout si elle pouvait être prouvée.

On comprend qu'elle se rencontre dans la doctrine panthéiste de l'école d'Alexandrie; des panthéistes seuls pouvaient l'admettre.

Nous avons vu que la principale objection des panthéistes contre le dogme de la création, c'est que Dieu étant l'unité absolue, il ne peut produire le monde qui est multiple; et qu'après avoir développé cette objection, et insisté sur la perfection de l'unité divine qui ne peut produire le monde sans déchoir, quand ils viennent à proposer leur solution, ils n'ont pas autre chose à nous offrir que l'identité de cette unité et de ce multiple. Tout aussitôt, nous retournons contre eux, avec bien plus de force, leurs propres arguments contre la création; car s'il est difficile que l'un engendre le multiple, il est tout simplement impossible que l'un et le multiple ne soient qu'un. Or, la théorie des hypostases consacre en Dieu la même identité de l'un et du multiple, qui fait le fond de la doctrine panthéiste. Elle peut donc être admise par les panthéistes en raison de leurs principes; mais elle doit être rejetée par les partisans de la création. En effet lorsque, après avoir rejeté le panthéisme comme absurde et contradictoire,

et admis la création quoique incompréhensible, on se trouve en présence d'un Dieu, immuable de par la raison, et pourtant créateur de par l'évidence, si, pour concilier cette immobilité et cette action, on suppose en lui la coexistence de l'action et de l'immobilité, n'est-il pas évident qu'on n'est pas meilleur logicien que les panthéistes, et qu'on n'a fait, comme eux, que transporter ailleurs la difficulté sans la résoudre ?

Ce qui prouve d'ailleurs la fausseté de cette solution, ce qui montre qu'elle ne repose que sur une idée vague et mal définie, c'est que ceux qui l'admettent ne savent comment l'exprimer. Ils disent bien, ce qui est déjà énorme, qu'il y a en Dieu une certaine dualité; mais dualité de quoi? Là leur embarras se manifeste. Est-ce dualité d'êtres? alors il y a deux dieux; ou de nature? cela ne différerait guère; ce serait presque remplacer un mot par un autre; mais quand même on admettrait comme une proposition claire et intelligible qu'il peut y avoir deux natures dans un même être, personne n'a osé dire ouvertement qu'il y a deux natures en Dieu. Que faire donc? Pour une idée qui n'en est pas une on a inventé un mot, et l'on a dit qu'il y avait en Dieu plusieurs hypostases. Cela ressemble à de la puérilité; et les alexandrins, inventeurs de ce mot et de cette doctrine, une fois en possession de ce moyen facile d'échapper aux difficultés, ont multiplié tellement les hypostases, que leur pensée y a perdu toute précision.

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