Immagini della pagina
PDF
ePub

Une troisième objection non moins solide contre la théorie des hypostases est celle-ci. Puisque l'immobilité, caractère de la perfection, n'appartient qu'à cette première hypostase, la première hypostase de Dieu est seule parfaite; et il faut dire: ou qu'elle seule est Dieu, ce qui est contre l'hypothèse, ou que Dieu est imparfait. Et puisque la création est l'attribut de la troisième hypostase, et d'elle seule, il n'y a plus entre les trois hypostases qu'un rapport de coexistence, et elles sont étrangères l'une à l'autre dans la même substance, ce qui est absurde.

Ce que nous disons ici des alexandrins et de tous ceux qui ont voulu introduire en Dieu une pluralité quelconque, ne saurait s'appliquer au christianisme. Le christianisme admet un seul Dieu en trois personnes, et les alexandrins un seul Dieu en trois hypostases, voilà la ressemblance. Il n'y a pas même différence de mots, puisque personne est la traduction du mot latin persona qui lui-même est l'équivalent du mot grec hypostase, et que ce dernier mot est employé par les Pères de l'Église grecque concurremment avec le mot póбOV. Sous cette grande et considérable analogie se cachent des différences capitales; car l'ordre, le caractère, les rapports des hypostases et même leur nombre, puisque chez certains alexandrins chaque hypostase devient une trinité à son tour, sont conçus par les alexandrins tout

autrement que par les chrétiens'. Mais la première de toutes les différences, la plus fondamentale et la seule qui nous importe ici, c'est que le dogme chrétien est un mystère : ce seul mot prononcé le met en dehors de toutes nos objections.

En effet, que disons-nous contre les alexandrins? Que leur doctrine est incompréhensible? Ce ne serait rien; nous disons qu'elle est contradictoire. C'est aussi ce que disent les chrétiens. Ils déclarent que cette doctrine est contradictoire en la qualifiant de mystère; et cependant ils l'admettent quoique absurde, parce qu'ils obéissent à un principe supérieur à la raison. Si on voulait combattre les chrétiens, ce qu'il faudrait prouver contre eux, c'est qu'il n'y a pas de principe supérieur à la raison, et que la révélation, sur laquelle repose la religion entière, n'existe pas. C'est là le point de la difficulté entre les chrétiens et les incrédules; car, si la révélation n'existe pas, la religion s'écroule; et, si elle existe, s'il y a une autorité supérieure à la raison, cette autorité une fois reconnue, il faut la subir, sans permettre à la raison de s'insurger contre elle. Ainsi, dans une religion révélée, il peut y avoir, il y a nécessairement des mystères, c'est-à-dire des dogmes qui contredisent la raison. Quant aux philosophes, dont la raison est le seul guide, ils ne

1. On peut voir au long la comparaison de la trinité chrétienne et de la trinité alexandrine dans mon Histoire de l'École d'Alexandrie, liv. II, chap. iv, t. Ier, p. 308.

peuvent rien croire que de démontré et de raisonnable.

Nous n'exagérons pas cette dernière proposition au point de dire que tout peut être démontré, et que tout peut être compris. Il y a des choses qui n'ont pas pu jusqu'ici être démontrées et qui probablement ne le seront jamais; et, parmi les choses démontrées, il y en a d'incompréhensibles. Ainsi nous croyons que Dieu est incompréhensible, que la création est incompréhensible; et cela ne nous empêche pas d'admettre l'existence d'un Dieu créateur; mais le dogme de la trinité n'est pas seulement incompréhensible : il constitue ce que l'on appelle un mystère'. A ce titre, il peut être admis dans une religion; il n'a point de place dans une philosophie.

Ces deux mots de mystère et d'incompréhensible sont souvent joints ensemble dans l'usage. C'est d'abord que tout mystère est incompréhensible, mais tout ce qui est incompréhensible n'est point un mystère. Admettre une chose incompréhensible, c'est reconnaître que la raison a des bornes; admettre un mystère, c'est nier l'autorité de la raison. Quand nous soutenons que Dieu est incompréhensible, nous n'exprimons pas autre chose qu'un aveu de notre faiblesse; quand on dit qu'il est un en trois hypostases, on exprime une opinion sur la nature d'un être in

1. « Dictum est tamen tres personæ, non ut aliquid diceretur, sed « ne taceatur. » D. August., de Trinitate, lib. V, cap. x.

compréhensible, et cette opinion est à la fois déterminée et contradictoire. Il n'y a pas de confusion possible entre deux assertions d'une nature aussi différente. Ainsi, par exemple, la religion catholique soutient que Dieu est incompréhensible, et cela est si peu un mystère que l'on donne les raisons de cette incompréhensibilité dans toutes les écoles de théologie; puis elle ajoute que ce Dieu incompréhensible est un et triple, un dans sa substance, triple dans ses personnes, et, pour cette fois, elle n'allègue plus d'autre raison que l'autorité, parce que ce dogme, étant un mystère, ne peut être proposé au nom de la raison, et dépend uniquement de la foi.

Insistons sur cette différence dont on ne sera jamais trop pénétré. La confusion que l'on fait entre ces deux ordres de choses trouble l'idée de la philosophie, et amène une confusion entre la religion et la science. Si je démontre par des raisons irréfragables que ce monde a une cause extérieure à lui, ne serai-je pas obligé de croire à l'existence de cette cause? Et cette obligation cessera-t-elle, si on me démontre que je ne pourrai jamais connaître la nature de cette cause? Évidemment non. Je puis donc croire à une chose que je ne comprends pas. On dit vulgairement: « Je ne crois que ce que je comprends. >> C'est mal parler; il faut dire : « Je ne crois que ce qui m'est démontré. »

Ainsi pas de difficulté sérieuse pour ce qui concerne l'incompréhensible. Si un raisonnement est in

compréhensible, il est non avenu, il ne prouve rien; mais si un raisonnement est clair, et de nature à entraîner l'assentiment de tout esprit sensé, on ne peut le rejeter sous ce prétexte qu'il a pour effet de démontrer l'existence d'une certaine chose dont nous ne saurons jamais rien, sinon qu'elle existe. Démontrer l'existence d'un être, comprendre la nature de cet être, sont deux opérations entièrement différentes, et le résultat de l'une ne peut pas dépendre de celui de l'autre. Nous croyons, comme tous les rationalistes, que la raison est souveraine; mais nous ne croyons nullement que cette souveraineté soit sans limites. Il n'y a pas, dans l'homme, de faculté qui puisse contrôler la raison; mais il y a dans la nature des réalités que la raison ne peut atteindre.

Voyons maintenant les mystères. Quand la raison est arrivée à sa limite, elle déclare que tout ce qui est au delà est incompréhensible. Cette déclaration ne peut choquer que ces ambitieux qui croient à la possibilité pour des esprits finis de sonder l'infini et de posséder une science infinie. Mais si, au lieu de s'arrêter à cette déclaration, humble il est vrai, sage à coup sûr, de l'impuissance de notre raison, on veut passer outre à la description et à l'explication d'une nature dont l'incompréhensibilité a d'abord été reconnue; si, dans cette explication de l'incompréhensible, on énonce des propositions qui ne sont pas prouvées, qui ne portent pas un sens précis à la pensée, et qui impliquent des contradictions dans les

« IndietroContinua »