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Disons sur-le-champ, pour amnistier en quelque sorte la curiosité humaine en ce qui touche à la connaissance de Dieu, qu'il est bien difficile de se tenir à ces mots de perfection, de création, de bonheur futur; que la perfection, sans aucun développement, est bien abstraite; elle n'est pas visible, si on peut le dire. Ce Dieu qui nous fait savoir qu'il est parfait, sans nous laisser rien entrevoir de ses perfections, reste trop au-dessus de nous. Il nous étonne sans nous attirer; il nous écrase. Par une conséquence nécessaire, nous ne saisissons pas nettement la nature du bonheur qu'il nous promet, et qui doit évidemment dépendre de ce qu'il est lui-même. Ainsi, notre science est bien étroite, et l'inconnu nous presse de toutes parts. Un Dieu inconnu au-dessus de nos têtes, un bonheur inconnu au delà de la tombe; nous sommes trop petits pour nous contenter de cette parole. Cette science froide ne nous protége pas assez. Voilà comment notre curiosité a son excuse.

Cependant, comme il faut être sage, et mettre en pratique le fameux précepte de Socrate : « Connaistoi toi-même, » sur le seuil même de ce monde nouveau, il est juste de nous rappeler qu'en toutes choses, lors même que le fait nous est parfaitement connu, nous ne connaissons qu'imparfaitement le secret; qu'en outre il y a, en grand nombre, des faits familiers, importants, dont le secret nous échappe complétement; que nous nous faisons illusion sur notre ignorance, en prenant des compa

raisons pour des explications, semblables au valet de la comédie qui cesse d'avoir peur des mauvaises rencontres, parce qu'il voit une maison qui lui est connue; que, si nous sommes dans cette ignorance et dans cette impuissance pour ce qui est du monde et de nous-mêmes, à plus forte raison devons-nous désespérer de comprendre ce qui est parfait et infini; qu'entre le fini et l'infini il n'y a pas de mesure commune, et même que l'infini n'a pas de mesure; qu'il ne peut être comparé; qu'il échappe à notre esprit, non-seulement parce qu'il le domine, mais parce que les lois de notre esprit n'étant que proportion, comparaison, analogie, mesure, ne s'appliquent plus à ce qui n'a pas d'analogue: d'où il suit que la nature de la perfection, de l'acte créateur, de la félicité promise dans une autre vie sont au-dessus de notre portée.

Que faire donc? Rester dans nos ténèbres, ou nous jeter dans des spéculations téméraires? Le danger semble égal des deux côtés, soit que l'on se condamne à une aridité qui peut décourager l'amour et même la foi, soit qu'on coure le risque de se jeter dans de fausses abstractions et de se confondre dans ses pensées.

Il est à remarquer que toutes les écoles prennent le second parti. Il n'y a de différence que dans le procédé. Les écoles plus essentiellement métaphysiques continuent de développer l'idée de la perfection infinie; et les écoles plus essentiellement

humaines creusent l'idée de la Providence les unes allant se perdre dans une abstraction, et les autres s'abaissant de plus en plus vers l'anthropomorphisme.

Quand les métaphysiciens en viennent, comme les éléates ou comme Platon dans certains moments, à refuser à Dieu toute dualité; quand ils renoncent à lui attribuer un mouvement, une puissance, une action, une pensée, le sens commun proteste avec raison, et déclare que ce Dieu nous échappe, qu'il nous devient inutile, et qu'il est inutile au monde.

Et quand les naturalistes nous montrent Dieu créant le monde avec poids et mesure, le gouvernant avec sollicitude, changeant ses desseins pour se conformer à nos vœux, irrité par nos fautes, apaisé par nos hommages, attendri par nos misères, la science leur reproche avec raison de perdre de vue l'idéal, et de rapprocher si fort la nature de Dieu de la nôtre que l'idée même de la perfection s'évanouit.

Les graves erreurs dans lesquelles sont entraînées ces deux écoles montrent bien le péril de suivre en théodicée une méthode exclusive, de s'attacher à l'expérience en dédaignant la métaphysique, ou à la spéculation pure sans tenir compte de l'expérience. Pourquoi renoncer à tirer des principes de la raison ce qu'ils contiennent? Et pourquoi ne pas entendre la voix de la nature qui, par toutes ses merveilles, nous crie qu'il y a une Providence? N'est-il pas juste

au contraire d'employer à la solution d'un si grand problème et les forces de la raison et les ressources de l'observation? Il est vrai que, poussées très-loin, ces deux méthodes arrivent à des résultats difficiles à concilier; mais chacune d'elles, prise à part, porte des conclusions que la raison désavoue, car l'expérience ne nous donne qu'un Dieu imparfait et la métaphysique un Dieu inutile. Au lieu de se jeter dans ces extrémités qui sont presque des blasphèmes, ne vaut-il pas mieux reconnaître que l'immutabilité et l'action peuvent coexister en Dieu, quoique nous ne comprenions pas comment il peut créer le mouvement sans y tomber? N'avons-nous pas déjà, quand il ne s'agissait que de la création, subi la nécessité d'admettre que l'unité crée le multiple sans cesser d'être l'unité? S'il y a dans la nature des secrets inexplicables, n'y en aura-t-il pas en Dieu? Et si tout démontre que la nature de Dieu est réellement incompréhensible, pourquoi reculer chaque fois qu'une nouvelle difficulté nous apparaît? Il n'est pas même juste de parler de difficulté nouvelle, car c'est toujours la même difficulté qui renaît sous nos pas en prenant une autre forme. Est-ce trop demander à l'orgueil humain que de lui proposer de reconnaître l'incompréhensibilité divine, puisque cette incompréhensibilité le sauve de contradictions sans cesse renaissantes?

Concluons ici, comme nous l'avons fait pour la création et pour les attributs divins, les attributs divins, que les attributs

de Dieu et la Providence sont également démontrés et incontestables; que l'immobilité et la Providence coexistent en Dieu sans que nous puissions nous en rendre compte; et reconnaissons que, si la science est solide et sûre d'elle-même tant qu'elle démontre le fait, elle entre dans le domaine de l'hypothèse au moment où elle tente de l'expliquer.

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