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cours de la vie, l'un est toujours surpris par le résultat, l'autre se trompe rarement, ou ne se trompe jamais dans ses conjectures. D'où naît cette différence? D'une plus grande netteté de vues, d'une connaissance plus approfondie de la nature humaine. Quoi d'étonnant, si celui dont la vue est parfaite, et qui sonde les reins et les cœurs, voit avec infaillibilité ce que les hommes ne prévoient qu'avec une probabilité plus ou moins grande?

Réponse incomplète, qui conclut du probable au certain. C'est l'infaillibilité de la science divine qui fait toute la difficulté, parce qu'en ôtant absolument toute place à l'erreur, elle n'en laisse plus à la liberté. S'il ne s'agissait que de dire : « Dieu ne se trompe presque jaamis,» tout serait simple et aplani.

On répond mieux en montrant que Dieu ne prévoit ni ne se souvient, et que tout est à la fois présent pour lui dans le même moment. Outre que cette doctrine est la vraie, et qu'on ne peut supposer une succession et des différences dans la pensée de Dieu, sans le soumettre à la loi du temps, ce qui est lui ôter son infinité, on ramène ainsi le problème de la conciliation de la prescience divine et de la liberté humaine au problème général de la coexistence du fini et de l'infini. Il est dans la nature du fini d'être successif, et dans celle de l'infini de ne pas l'être. Donc le passé, le présent et l'avenir n'ont ce caractère que dans le fini et pour les intelligences finies, tandis que l'intelligence absolue embrasse tout du même coup d'œil. La question

une fois ramenée à ces termes, la contradiction disparaît pour faire place à l'incompréhensible. En général, nous ne comprenons pas le rapport du fini à l'infini; c'est une condition à laquelle il faut bien, bon gré mal gré, nous soumettre. Mais quand on attribue à Dieu la prescience, et qu'on suppose par conséquent qu'il y a pour lui un avenir, comme on le fait descendre dans le temps, on introduit une contradiction véritable entre l'infaillibilité qu'on lui accorde malgré cette déchéance et le libre arbitre des résolutions humaines. C'est ainsi que, par une erreur sur la nature de Dieu, on transforme une difficulté en impossibilité.

Ainsi, sur la première partie de la doctrine, qui consiste à soutenir que Dieu voit tout jusque dans les derniers détails, la réponse est que cette omniscience est difficile à concilier avec la liberté, mais que cette conciliation n'est pas cependant impossible. Dès qu'elle n'est pas impossible, et que d'ailleurs il y a de fortes raisons pour l'admettre, nous ne devons pas hésiter

à

y croire. En est-il de même de la seconde partie, et faut-il dire que Dieu intervient dans nos actes?

Non. Il ne s'agit plus ici d'une difficulté, d'une incompréhensibilité, mais d'une contradiction. En effet, si Dieu coopère à nos actes, la liberté humaine et l'efficacité de la volonté humaine disparaissent. Car où est la force créée qui peut ajouter quelque chose à la force incréée? Il suffit que Dieu veuille: par le fait de cette volonté, la chose qu'il veut existe. Tout

au plus pourrait-on dire qu'à côté de cette force plus que suffisante coexiste une force pleinement inutile, qui a l'illusion d'agir; mais cette hypothèse engendre deux difficultés : la première, c'est que Dieu nous aurait condamnés à vivre d'illusions; la seconde, c'est que les actes humains, si souvent honteux et condamnables, seraient les actes mêmes de Dieu. Il est remarquable que la doctrine de la coopération ainsi entendue a toutes les conséquences morales, et, si on la pressait, toutes les conséquences métaphysiques du panthéisme.

Une opinion que l'on a attribuée à Malebranche, parce qu'il l'a adoptée et développée, mais qui en réalité existait bien avant lui, consiste à dire que Dieu fait en effet tout ce qui s'accomplit de bien, c'est-àdire de réel; mais que, dans sa bonté, il a accordé à l'homme le pouvoir de consentir librement à l'action, pouvoir qui implique celui de refuser son consentement. Si notre volonté se porte vers l'accomplissement du bien, Dieu l'accomplit; si elle y résiste, Dieu s'abstient. Dans le premier cas, nous avons le mérite de la bonnne action que Dieu a faite; dans le second cas, il n'y a pas d'action, car Dieu n'a rien fait; mais nous, nous avons empêché: cela suffit pour notre responsabilité, et pour notre culpabilité. Ces idées sont subtiles, et leur simple énoncé met le bon sens en défiance. Il n'est pas parfaitement clair qu'on ne puisse faire mal qu'en refusant de faire

bien, et que le crime ne soit jamais qu'une omission. Ce premier point ressemble déjà à un sophisme. Ensuite nous retombons, quoique à un moindre degré, dans la difficulté de tout à l'heure, puisque toute action étant directement opérée par la puissance de Dieu, notre propre activité devient illusoire. Il répugne de penser que Dieu nous ait faits pour croire que nous agissons, si en réalité c'est toujours lui qui agit. Ajoutons que l'hypothèse est inutile; car, pour admettre la coopération de Dieu à nos actes, on n'a d'autre motif que de ne pas limiter la puissance divine; et il est évident que l'abstention, à laquelle Dieu se résout volontairement dans le cas où la liberté humaine se porte vers le mal, est une limite à sa puissance. Il est puéril, quand on admet une limite à ce qui est infini, de faire ensuite une hypothèse tout exprès pour amoindrir cette limite. Enfin, ce qui achève de rendre l'hypothèse inacceptable, c'est qu'elle est en contradiction avec l'idée de la perfection divine. Ce Dieu qui attend notre résolution pour agir n'est plus le Dieu infini de la raison. Si on enchaîne ainsi sa pensée et sa puissance aux résolutions d'un esprit fini, aucun des arguments dont on se sert pour combattre le panthéisme ne peut subsister.

Ce n'est pas tout. Il y a trois choses dans la volonté humaine la délibération, la résolution libre, l'exécution. Ces trois faits sont connexes, puisque le pre

:

mier est l'occasion et la condition nécessaire du second, et que le second est la condition du troisième; mais leur connexité n'en fait pas un fait unique, et l'on peut considérer séparément chacun d'eux. Qu'importe que les deux premiers se passent au dedans de l'homme? La doctrine de la coopération divine embrasse tout, et les faits psychologiques tout comme les autres. Ainsi Dieu n'est absent ni de la délibération, ni de la détermination, ni de l'exécution. Prenons garde de ne songer qu'à l'exécution; les deux faits qui précèdent ont peut-être encore plus d'importance. Pendant que notre esprit, avant de se résoudre, examine le pour et le contre, songe à l'utile et à l'honnête, Dieu assiste à la délibération, il y travaille. Le sort de cette délibération, à ne considérer que nous-mêmes, ne dépend pas uniquement de la force de notre esprit : la volonté y peut quelque chose; c'est elle qui nous rend distraits ou attentifs, qui prolonge ou abrége l'examen, qui pousse notre esprit à tenir plus de compte d'un certain ordre de considérations. Pourquoi Dieu agirait-il à la place de notre volonté quand elle meut un objet extérieur,. et n'agirait-il pas quand elle concentre sur un point notre force intellectuelle? Il agit donc autant dans la délibération que dans l'exécution, car il n'y a nulle raison pour qu'il en soit autrement. Mais, dès qu'il agit, il est cause de ma précipitation et de ma légèreté, ou de la maturité et de la sagesse de mes opinions; et alors que suis-je, moi? Que puis-je être,

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