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qu'un jouet dont il s'amuse? Que deviennent ma personne, ma responsabilité, mon intelligence, ma liberté? Cette simple supposition détruit tout l'homme. Et il n'y a pas de faux-fuyants. Toutes les subtilités du monde n'empêcheront pas cette conséquence : c'est que la coopération de Dieu aux actes de mon entendement m'anéantit.

Quant au second terme, la détermination, nous avons vu que, dans le système de la coopération divine, l'hypothèse la plus favorable laisse subsister une ombre de liberté puisqu'elle accorde à la personne humaine le pouvoir de résister à l'action de Dieu ou d'y consentir; mais encore à quelle condition le système fait-il cette concession? A la condition de se contredire; car on ne voit pas pourquoi Dieu abdique sa toute-puissance au moment de la résolution, pour la ressaisir immédiatement dans l'exécution de ce qui a été résolu. Même en dévorant cette difficulté, peut-on se faire à l'idée que Dieu soit présent, qu'il ait coopéré à la délibération, et qu'il se tienne dans une inaction absolue au moment décisif? Presque tous les philosophes qui sont entrés dans cet ordre d'idées admettent que Dieu exerce encore en ce moment suprême une influence sur notre volonté, et qu'il nous incline à nous porter plutôt d'un côté que de l'autre. Ainsi, il nous incline plutôt que de nous contraindre. Tout ce qu'on nous laisse de liberté tient à la différence qui est entre ces deux mots. Quant à la nature de cette influence, à son origine, à son

caractère général ou particulier, à la lucidité qui l'accompagne, à l'efficacité dont elle est douée, les systèmes sont en nombre infini. Quelle utilité retirerions-nous de leur examen? Prenons-les dans leur ensemble, et disons qu'ils prouvent l'inanité du principe qu'ils veulent expliquer. Non, cette coopération, qui commence par une violation de la justice, et finit par une comédie, n'est pas dans les allures et dans les desseins de la Providence. Rejetons-la, parce qu'elle sent le blasphème. Il reste vrai que l'homme est une cause libre Dieu nous a donné cela; il ne nous a pas donné le pouvoir de l'expliquer.

Nous dirons peu de chose de la doctrine adoucie qui consiste à transformer la coopération divine en simple permission, sinon que, comme la plupart des compromis, elle ne fait pas assez pour maintenir la Providence spéciale, et pas assez pour sauver la liberté.

Sans doute, en un sens, rien n'arrive que par la permission de Dieu, puisqu'il est vrai que c'est par cette permission que nous existons et que nous sommes libres; mais il s'agit ici d'une permission spéciale, donnée en connaissance de cause, pour chacun de nos actes. Or, cette permission ne ressemble-t-elle pas de bien près à l'action même? Quand la pensée de Dieu conçoit un acte et le permet, que manque-t-il à cet acte pour être produit?

N'a-t-on pas peur, en émettant de telles distinctions, de jouer sur les mots et de se payer d'équi voques?

Mais laissons cette guerre de détails, qui fatigue sans éclairer; car en vérité ni la doctrine de la coopération, ni celle même de la permission divine, ne mériteraient d'être discutées, sans le grand rôle qu'elles ont joué dans l'histoire. Il est une considération plus simple et en même temps plus relevée qui les détruit sans tant de discours, et qui est une plus forte objection contre elles que l'objection de la liberté que nous venons d'examiner. Cette multitude de pensées spéciales, d'actes spéciaux, qui occupent Dieu, non-seulement de chaque créature, mais de chaque pensée et de chaque acte des créatures, laisset-elle intacte la notion du Dieu infini, supérieur au temps et à l'espace, auquel tout multiple est étranger? Malebranche disait que Dieu s'est abaissé en prenant la condition de créateur. Il faut être comme lui presque un saint pour se permettre ces témérités de langage; mais si Dieu s'est abaissé pour créer, que fait-il donc, en se mettant pour la pensée et pour l'action à la suite de ses créatures? Il est douloureux de penser que ceux qui admettent la coopération constante et particulière de la Providence croient éviter par là de limiter la science et la puissance de Dieu, tandis qu'au contraire ils ne font qu'introduire en Dieu, par cette fausse notion de la

Providence, la multiplicité qui est identique avec le non-être.

Tant s'en faut que la multiplicité soit en Dieu, qu'elle ne peut pas même agir sur lui. On nous donne une hypothèse destinée à grandir la notion de la perfection divine, et cette hypothèse livre Dieu en proie à ses créatures, l'oblige à vivre de leur vie, à se faire, pour ainsi parler, une d'entre elles, à sortir de sa quiétude et de son immobilité, pour s'associer à nos frivolités et à nos misères! Il y a en philosophie un problème c'est de comprendre que l'un ait fait le multiple. L'hypothèse que nous combattons, à ce problème qui est unique, en ajoute un autre entièrement de son fait et c'est de comprendre que le fini puisse modifier l'infini. Ces deux seuls mots : une modification de l'infini, hurlent de se voir accouplés. Mais que cette modification de l'infini soit produite par un être fini, c'est ce qu'on ne saurait admettre sans renverser les principes mêmes de la métaphysique.

A s'en tenir aux termes rigoureux de la spéculation, on serait forcé de dire que Dieu ne connaît que lui-même et n'agit point au dehors. Mais le monde existe, Dieu l'a produit volontairement; il faut donc de toute nécessité souffrir cette dérogation à la rigueur des principes. Nous savons, sans pouvoir le comprendre, que Dieu connaît le monde et agit sur le monde. On demande si cette connaissance,

pour ne parler d'abord que d'elle, est générale ou particulière? C'est presque demander si elle est complète ou incomplète. Pour nous, êtres bornés, il y a quelquefois de l'avantage à négliger les détails afin de mieux voir l'ensemble; mais l'intelligence sans bornes voit la coordination universelle sans aucun effort, et pour elle l'immense variété des détails n'obscurcit pas le moins du monde l'unité de l'ensemble. Ainsi, pour ce qui touche à l'intelligence divine, l'objection tirée de l'unité de Dieu n'est pas plus insoluble que l'objection tirée de la liberté humaine; et dès que Dieu connaît le monde, il peut et doit connaître tout ce qui s'y trouve.

Mais il en est tout autrement de l'action divine. Si l'on disait tout simplement que la volonté de Dieu est présente partout comme son intelligence, il faudrait le reconnaître; mais là n'est pas la question. Ce qu'on demande, dans le système que nous examinons, ce n'est pas que Dieu puisse agir partout, ce n'est pas même qu'il agisse partout sur ces deux points, il n'y aurait aucune contestation; c'est qu'il modifie ses résolutions, qu'il interrompe le cours de ses lois générales, par suite de l'usage que les hommes auront fait de leur liberté. En un mot, on demande que le plan de l'univers ne soit pas stable, que les résolutions de Dieu ne soient pas inébranlables, que ses vues ne soient pas exclusivement générales, que son acte ne soit pas unique, que sa sérénité ne soit pas absolue; mais qu'au contraire, il reçoive en lui des

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