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on peut aussi reconnaître que quelque cause libre existe hors de lui. La puissance de Dieu subsiste, malgré la puissance de l'homme; et la substance infinie de Dieu, malgré l'individualité de la substance humaine.

Ainsi, tout en admettant que Dieu pénètre nos plus secrètes pensées, nous sommes forcés de reconnaître que l'homme a la pleine possession de lui-même, et que la liberté que Dieu lui donne est un fait et non une illusion.

Aussitôt une question s'élève. Si l'homme agit sans Dieu, c'est donc l'homme qui mène la société humaine. Il faut donc condamner toutes les histoires où l'on s'attache à montrer le doigt de Dieu dans les événements.

Non. Dieu en nous faisant notre part a gardé la sienne. Il a fait notre pensée et notre cœur; il a mesuré nos forces. Par ces deux points, il tient l'humanité. Chacun de nous travaille à sa façon, celui-ci peu, cet autre beaucoup, l'un bien, l'autre mal. Nous sommes responsables de nos fautes et de nos négligences, nous avons le mérite de nos succès et de nos sacrifices; mais le mouvement produit par l'initiative d'un homme, quelque grand qu'il soit, ne se propage pas bien loin. Quand nous disons, par orgueil, l'homme du siècle, nous nous grandissons outre mesure A défaut de cet homme-là, un autre serait venu. La plupart de ceux qui paraissent si grands doivent

leur grandeur au hasard. Illusion d'optique que tout cela. Certes, il y a des héros; mais celui qui connaît les cœurs sait que les héros inconnus sont bien souvent les plus grands. Pour nous, nous ne mesurons rien que par le succès. De toutes les preuves de la faiblesse humaine, celle-là est la plus frappante. Avoir fait un plan magnifique pour la bataille, c'est être un grand général; la perdre, c'est avoir eu le soleil dans les yeux, ce n'est rien. Cependant nous ne jugeons que par là. Comprenons bien que la différence entre les hommes vient surtout du vice et de la vertu. Le génie est réel, mais il est peu de chose. Chacun de nous fait sa vie, mais c'est Dieu qui fait l'histoire.

Il reste un seul point à examiner. Dieu, qui connaît tous les mouvements de la volonté sans y coopérer d'une façon constante, intervient-il quelquefois dans les événements, en changeant par amour pour nous le cours des lois générales?

La réponse ne saurait être douteuse. C'est Malebranche qui nous la fournit.

Non; Dieu ne modifie pas ses décrets après les avoir rendus. Ou plutôt, il n'a rendu qu'un seul décret, dont la vertu s'étend à tout, et ce décret est immuable, comme la volonté de Dieu lui-même. C'est tomber dans le paganisme que de croire aux oscillations de la volonté divine1. C'est mettre Dieu dans le

1. « Platon même, le magnifique parleur, quand il dit que Dieu créa le monde à son moule et patron, sent fort sa rance et moisie

temps et dans l'espace et le dépouiller de son infinité. Il ne se peut qu'il soit infini s'il n'est immuable, et qu'il soit immuable, si sa volonté se modifie. Serat-il donc le même Dieu, avant et après cette modification? Ces deux mots d'avant et d'après n'ont pas de sens quand il s'agit de lui. L'éternel ne peut ni changer ni se mouvoir, ni durer. Quand même il le pourrait sans cesser d'être éternel, pourquoi changet-on, si ce n'est pour mieux faire? car de changer pour faire pis, c'est le propre d'une nature dépravée. Dieu pourra donc s'amender? Il fera des expériences pour s'éclairer? Il deviendra plus habile avec le temps? Toutes ces propositions sentent le blasphème. Dieu voit immédiatement et fait immédiatement ce qui est le mieux. Il ne se repent donc pas. Il n'y va pas à deux coups, comme nous autres impuissants. Il n'a pas plusieurs volontés successives, dont la seconde corrige la première. Enfin, pour qu'il se mût, s'il pouvait se mouvoir, il faudrait une raison suffisante de son mouvement. Il faudrait que quelque impression eût été produite sur sa nature infinie et immuable, et produite par un être fini. Cela est-il possible? Et l'action d'un être fini a-t-elle cette force de modifier l'être infini? Non, cela ne se peut. Ou rien n'est prouvé en métaphysique, ou l'immutabi

simplesse d'antiquité.... Il serait aussi malheureux comme un manœuvre ou comme un maçon ressuant à la fabrique et gouvernement de ce monde. » Plutarque, des Opinions des philosophes, livre I, chap. vII.

lité de Dieu est prouvée; et si elle l'est, il faut dire que Dieu ne change pas ses lois, ce qui revient à dire qu'il ne se change pas lui-même1.

Considérons la science: sur quoi repose-t-elle? Sur la fixité des lois de la nature. Où tend-elle? A l'immutabilité divine. Quelles sont, chaque jour, ses conquêtes? La démonstration d'une loi nouvelle, et d'une analogie nouvelle entre les lois déjà connues. Si nous ne savions pas à l'avance que la nature ne procède pas au hasard, nous ne penserions pas à raisonner, à expérimenter; et si Dieu ne nous paraissait comme une colonne lumineuse à l'extrémité de toutes les avenues de la science, comment pourrions-nous diriger notre route, mesurer nos progrès, fixer nos connaissances? Mais si l'unité, l'immutabilité, l'harmonie dominent à ce point la science, comment pourrait-on introduire dans le monde qu'elle nous révèle une volonté capricieuse, des mouvements désordonnés, des dérogations perpétuelles à la loi? Et comment pourrait-on se repré

1. « Lorsque Dieu fait un miracle, et qu'il n'agit point en conséquence des lois générales qui nous sont connues, je prétends ou que Dieu agit en conséquence d'autres lois générales qui nous sont inconnues, ou que ce qu'il fait alors, il Y est déterminé par certaines circonstances qu'il a eues en vue de toute éternité, en formant cet acte simple, solennel, invariable, qui renferme et les lois générales de sa providence ordinaire, et encore les exceptions de ces mêmes lois. >> Malebranche, Entretiens sur la métaphysique, huitième entretien, § 3.

senter en Dieu tous les mouvements de la passion humaine, la colère, la pitié, le repentir? Si de telles hypothèses étaient admises, tout ce que nous savons de Dieu et tout ce que nous savons du monde s'écroulerait.

Demandons-nous aussi ce que deviendrait, dans de telles conditions, la justice divine. Si Dieu intervient dans les affaires des hommes, intervient-il toujours de la même façon dans les mêmes circonstances? Alors la doctrine n'est qu'un leurre; et cette intervention nécessairement uniforme n'est pas autre chose que le gouvernement de la Providence appliquant à l'univers ses lois générales. Mais s'il intervient aujourd'hui et refuse demain son concours, s'il accorde à l'un ce qu'il refuse à l'autre, s'il choisit arbitrairement entre les hommes, s'il devient semblable à l'un de nous, accessible à la colère et à la pitié, incertain dans ses résolutions, impuissant dans ses vues et dans ses actes, la Providence doit changer de nom, et s'appeler le Destin. Laissons ces dieux humains aux théologies païennes; et ne nous croyons pas obligés, pour conserver en Dieu la liberté, d'y introduire la passion.

Concluons que Dieu sait tout, jusque dans les plus infimes détails; qu'il laisse la volonté de l'homme agir seule, et qu'enfin rien ne peut modifier les décrets de sa sagesse immuable et infinie. Le père de famille ne fait pas de différence entre ses enfants.

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