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sentirons encore une force qui nous pousse en avant, au delà du réel, au delà du possible, au delà de l'imaginaire. Qu'en faut-il conclure? Qu'il nous est impossible de concevoir un espace qui ne soit contenu par un autre. Et d'où vient cette impossibilité? Est-ce l'étendue bornée que nous concevons qui introduit cette impossibilité dans notre esprit ? Est-ce cet atome qui apporte avec lui cette immensité? N'y a-t-il pas là quelque chose qui vient de notre fonds, et qui, loin de résulter de la donnée des sens, la contredit? Si nous quittons l'espace pour la durée, nous trouvons au bout de notre analyse une conclusion identique. Si du temps et de l'espace nous passons au mouvement, ou à la multiplicité, nous retrouvons le même progrès à l'infini, la même nécessité de concevoir quelque chose qui dépasse les données des sens et les forces de notre imagination. Nous appelons ce quelque chose de différents noms, suivant le chemin qui nous a conduits vers lui : l'immensité, si nous sommes partis de l'espace; ou l'éternité, si c'est le temps que nous avons voulu épuiser; ou l'immuable, si nous avons songé au mouvement; ou l'unité, si c'est au multiple. Mais cette immensité, et cette éternité, et cette immutabilité, ce n'est, sous tant de noms, qu'une idée unique, l'idée de l'infini. Examinons-la en ellemême, demandons-lui ce qu'elle enveloppe; nous la trouverons toujours nécessaire, entière, indivisible, landis que le monde est contingent, variable, mo

bile, enfermé de toutes parts dans d'étroites limites Comment ne pas être frappé de la constante opposition de ces deux idées? Comment ne pas conclure qu'il y a en effet une idée que n'expliquent ni le monde, ni les facultés par lesquelles nous analysons le monde, et que cette idée est l'idée de l'infini, que l'infini seul peut produire1?

La liberté humaine, étudiée dans son fond, nous mène droit à la conception de l'infini. Qu'est-ce que la liberté? Le pouvoir de faire ou de ne pas faire. C'est par elle qu'au lieu d'être menés, comme le reste du monde, nous sommes maîtres et responsables de nos destinées grand privilége, qui nous soumet le présent, et nous répond de l'avenir. Cependant cette liberté peut-elle subsister sans règle? La liberté sans règle ne grandit pas celui qui la possède: elle le dégrade. Seuls dans le monde, nous n'aurions pas de loi nous ne serions qu'une chose vaine et légère, indifférente à l'ordre et au plan de l'univers. La liberté ne nous est pas donnée pour nous soustraire à la loi, mais pour lui obéir en connaissance de cause. Voilà sa force et la nôtre. Livrée à ellemême, elle nous détruit; soumise à une loi et à une loi immuable, elle est l'instrument et la marque de notre grandeur. Quelle est cette loi? D'où vient-elle?

1. « Insinuavit nobis Christus animam humanam et mentem ra«<tionalem non vegetari, non beatificari, non illuminari, nisi ab <«< ipsa substantia Dei. » D. Augustinus, In Joann., tract. 23.

Du monde, étranger à la liberté, mobile, et soumis lui-même à des lois nécessaires? Non, la loi morale ne vient ni de moi, ni de la société, ni du monde. Elle était avant moi, et subsistera après moi. Je puis la violer, non la détruire. La société humaine a beau la méconnaître, la nier, la détester; ce monde détruit, le monde qui viendrait à naître obéirait encore à la loi morale. La liberté est mobile, mais la justice est absolue. Nos sentiments, nos actions, nos pensées sont éphémères; mais le beau, le bien et le vrai sont éternels.

Ainsi la psychologie, la logique, la morale ramènent partout la pensée de l'infini. Elles y tendent sans cesse, par toutes leurs analyses, par toutes leurs théories. Elles se viennent l'une à l'autre en aide pour cette œuvre commune, qui fait leur unité par l'unité d'origine et de but. On peut presque définir la philosophie dans toutes ses branches, une méthode pour aller à l'infini par l'étude du fini.

Voilà en bref comment on arrive à faire de la philosophie tout entière une démonstration philosophique de l'existence de Dieu. Il faut reprendre la science à son origine, et dès le premier mot, sans relâche, à chaque principe, à chaque observation, montrer l'infini qui se dévoile, qui tantôt fait naître tous les amours de l'amour qu'il nous inspire, tantôt donne une règle à nos jugements, un idéal à notre imagination, une étoile à notre volonté. Qu'on ne se plaigne

pas de la longueur du chemin, car on n'aurait pas perdu son temps, quand même on devrait y consumer toute sa vie. C'est notre carrière; tout le reste n'est qu'épisodes. Heureux celui qui croit en Dieu sans tant de raisonnements, comme par une grâce naturelle, et qui ne cherche dans la science que la confirmation de sa foi! Mais pour celui qui doute, il ne faut pas le renvoyer à deux ou trois syllogismes. On raconte de Diderot qu'il entendit un jour exposer les preuves de l'existence de Dieu dont on se contente dans l'École, qu'il en fut ravi, et que, dans la ferveur de son enthousiasme, il chercha partout un philosophe son ami, pour lui faire partager sa foi nouvelle. Il le rencontre dans une imprimerie, le met sur l'existence de Dieu, développe ses raisonnements avec l'emportement de zèle qui le caractérise en toutes choses, et trouve une âme fermée à la conviction. Diderot insiste, essaye de parler au cœur, la passion s'en mêle; il croit son ami perdu par cet athéisme, il se représente son malheur sous les couleurs les plus vives, et le conjure avec larmes de se convertir. L'autre reste impassible, reprend tous ses raisonnements, les réfute, les raille, rend d'abord le sangfroid à Diderot, et finit par détruire tout son feu et toute sa croyance. L'apostolat de Diderot n'avait duré qu'une heure. Il n'avait pas fallu plus de temps pour détruire sa foi que pour la faire naître, et il sortit de là plus incrédule que jamais. Si cette anecdote est vraie, elle ne prouve pas que les dé

monstrations de l'École soient mauvaises, mais elle nous apprend à ne pas faire un grand fond sur ces conversions subites, et à juger ce qu'il faut attendre d'une croyance isolée qui n'a que quelques raisonnements pour lutter contre les obscurités et les défaillances de la pensée, contre les mille objections des incrédules, contre les difficultés de la vie et les appréhensions de la mort. Celui-là a une croyance véritable, qui s'est accoutumé à vivre avec Dieu par le cœur et par la pensée, à le retrouver au bout de toutes ses recherches, à le mettre dans toutes ses espérances. N'acceptons qu'une démonstration de l'existence de Dieu tellement forte et tellement rattachée à toutes nos croyances qu'elle ne puisse disparaître de notre esprit, sans y laisser après elle la solitude et le désespoir.

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