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cette thèse Toute douleur est dans une étendue, que celle-ci : Toute étendue est dans une douleur.

Tous ces raisonnements sont bien simples et bien vulgaires : la question est de savoir s'ils sont solides. Il serait plaisant de dédaigner une raison parce qu'elle est rebattue, ou parce qu'elle est à la portée de tout le monde! C'est tant mieux qu'on n'ait pas besoin d'autre chose que du sens commun pour réfuter le paradoxe des matérialistes.

Non-seulement leur paradoxe est invraisemblable et purement gratuit; mais si l'on était réduit à prouver l'existence de l'esprit, on ne manquerait pas d'argument. L'esprit est indivisible; le corps étendu, c'est-à-dire divisible. Car, qu'est-ce que l'étendue, sinon la divisibilité? On porte le défi de concevoir un corps indivisible, ou une âme divisée. Je suis ce que je suis; je ne puis pas être moi à demi; mais mon corps peut être haché en morceaux. Ainsi mon corps est autre chose que moi. Nous avons l'un et l'autre deux caractères contradictoires, mon corps d'être divisible, et moi de ne l'être pas. Comment serions-nous une même substance?

Les matérialistes se font un argument de ce que mon âme meut mon corps. Ils en concluent qu'elle est corporelle. Mais où prennent-ils ce principe qu'un corps ne peut être mû que par un autre corps? En

vérité, ils l'inventent. Ce n'est ni un principe évident, ni une vérité démontrée. Nous avons le droit de ne pas faire plus de cas de ce fameux principe, que de tout autre axiome qu'il leur plairait d'imaginer gratuitement pour le besoin de leur cause. Il est vrai qu'il est difficile de comprendre et d'expliquer comment mon esprit meut mon corps. Mais qu'on explique comment un corps meut un autre corps? Nous croyons comprendre cette transmission du mouvement, et pourtant nous ne la comprenons pas. Elle nous est familière, et voilà tout. Nous l'avons décrite maintes fois, nous la produisons à chaque minute, et nous en avons déterminé les lois. Nous pouvons en faire tout autant pour la mise en mouvement d'un corps par une âme. Entre une description et une explication, il y a un abîme. Les matérialistes pourront se faire une arme de l'impossibilité où nous sommes d'expliquer l'action de l'âme sur le corps, quand ils auront réellement expliqué l'action d'un corps sur un autre corps.

Voici un fait qu'à notre tour nous leur proposons d'expliquer. Qu'ils nous disent comment un corps peut se mouvoir sans être mû1? N'est-il pas vrai que

1. « Ce n'est pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer ou de résister; et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme; car la physique explique en

quand nous voyons un mouvement se produire quelque part, nous affirmons qu'il a pour cause quelque autre mouvement? Cependant notre âme se meut sans être mue. Est-ce là une propriété de peu d'importance? Est-elle contestable? Est-elle possédée sous le ciel par une autre nature? Et si la loi constante des corps est de ne se mouvoir qu'après avoir été mus, ne faut-il pas dire qu'un être qui échappe à cette loi n'est pas un corps?

Ce n'est pas seulement à cette loi que l'âme échappe, c'est à toutes les lois du monde physique. Elle a des lois qui lui sont propres, qui s'appliquent à elle seule, et ne peuvent rien sur le reste du monde. Enfin, dernière différence, qui n'est pas la moins fondamentale, elle peut échapper à ses propres lois. De quelque côté qu'on se tourne, on ne voit que différences, des incompatibilités, nulle analogie; dans le matérialisme une affirmation invraisemblable et purement gratuite, ou fondée sur des axiomes évidemment apocryphes. C'est donc une nécessité de se réfugier dans le dogme de l'immatérialité de l'âme.

des

Il faut vraiment que les matérialistes se fassent une

quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées, mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance, on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n'explique rien par les lois de la mécanique.» J. J. Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes.

bien grande idée de cette qualité de la nature corporelle qu'on appelle les trois dimensions, ou l'étendue, pour l'introduire ainsi partout, et pour en faire un appendice nécessaire d'une substance dans les attributs de laquelle l'esprit le plus sagace ne peut rien apercevoir qui ait un rapport même éloigné avec la longueur, la largeur et l'épaisseur. L'étendue a-t-elle une vertu particulière pour mériter cet engouement? A-t-elle plus de réalité que les autres formes de l'être? En a-t-elle plus que la pensée? Tant s'en faut; la pensée est quelque chose par ellemême; l'étendue n'est que le résultat d'une comparaison; elle n'est pas un être. Faut-il que l'espace et le temps, ces conséquences de notre néant, usurpent une telle place dans notre esprit, que nous les prenions pour des réalités, et pour les réalités les plus réelles? Depuis des siècles, l'étendue, qui n'est pas même un être, sert d'idole aux matérialistes. Cette chimère leur bouche la vue, et leur fait voir tout le monde à contre-sens.

A y regarder de près, ce n'est pas l'esprit qui nous fait obstacle, c'est le corps. Nous comprenons mieux les mouvements et le mécanisme de la pensée. L'existence du corps, sa nature est pleine de mystères. Nous n'y prenons pas garde, parce que nous sommes continuellement en proie aux corps qui nous environnent. Ils nous charment, ils nous effrayent, ils nous menacent, ils nous remplissent de plaisir ou de douleur; il entrent en nous par les yeux, par les

oreilles; ils nous poursuivent jusque dans nos songes. Nous finissons par croire qu'ils sont autre chose qu'une énigme. Nous nous persuadons que l'étendue, qui n'est qu'un rapport, a de la réalité; que la couleur est dans les corps colorés, tandis que la coloration n'est elle-même qu'un rapport; nous nous laissons aller à dire que le feu est chaud, parce qu'il nous brûle : comme s'il y avait quelque analogie entre la sensation que nous exprimons par le mot de chaleur et les qualités du corps que nous appelons le feu. Reid remarque avec justesse que nous ne serions pas plus fous, si nous supposions dans la pointe d'aiguille qui nous a piqués, quelque qualité correspondante à la douleur occasionnée par cette piqûre. La métaphysique a cela de bon qu'elle nous délivre de l'obsession du corps, et qu'elle le remet à sa place. D'abord elle lui prend ce riche écrin de couleurs qui nous éblouit; elle lui ôte ensuite le froid, le chaud, le rugueux, le poli. Elle réduit la pesanteur, la figure, l'étendue à n'exister que par comparaison, à n'être rien par elles-mêmes. L'espace et le temps deviennent tout simplement un ordre de coordination et de succession. Il ne reste plus de toute cette immensité, de tout ce bruit, qu'un amas de causes inconnues dont nous connaissons les effets. Où sont-ils eux-mêmes ces effets? En nous. Ce sont nos propres modifications, nos sensations, nos sentiments, nos idées : voilà ce que nous connaissons; hors de là, il n'y a que ténèbres, problèmes insolubles. Il n'est permis à per

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