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Mais pourquoi le voudrait-il? Il m'a créé : son but en me créant était-il de me faire traverser cette vie pour arriver à la mort? Je vois autour de moi bien des êtres dont l'existence est moins longue que ma vie terrestre, et qui disparaissent sans laisser de traces; mais ils ne sont que des accessoires, des êtres secondaires, créés pour l'ensemble, non pour euxmêmes. Comme ils ne se connaissent pas, ils ne sauraient être un centre d'action. Ma condition est bien différente. Non-seulement ma nature corporelle est incomparablement supérieure; mais j'ai conscience de ce que je suis je sens, pour ainsi dire, la vie; je l'aime, je la désire. Le néant me fait horreur. Même dans l'avenir incertain où elle se cache, la mort est le tourment de ma pensée. Faut-il croire que Dieu m'a donné cette lumière, cet amour, cette terreur, pour s'en jouer? qu'il lui a plu de m'attacher si étroitement à une vie qu'il ne me donnait que pour un temps restreint? de me condamner à cette mort qui accable mon esprit? Au milieu de tous ces êtres endormis, pourquoi m'éveiller, si je suis une proie toute prête le néant? Est-ce un Dieu sage, qui ne me rend si grand que pour me rendre si malheureux? Je puis vivre demain, puisque je vis aujourd'hui. Je ne fais pas obstacle à Dieu. Il m'a donné l'être gratuitement; mais ce bienfait reçu me confère un droit, puisque Dieu est juste.

pour

Quand cet argument se produit devant un incrédule, il ne manque pas de dire que nous croyons à la

vie future, par cet unique motif que nous la désirons. Mais ce désir n'est pas en nous notre œuvre propre; il est commun à tous les hommes; il fait partie de notre être; c'est Dieu qui nous l'a donné. Nous avons donc le droit de demander si Dieu nous a faits à la fois pour aimer la vie, et pour la perdre. Nous ramassons toutes ces probabilités sans nous faire aucune illusion sur leur valeur, et sans les dédaigner. Nous formons sans doute beaucoup de désirs qui ne seront jamais assouvis; mais il y a loin d'un vœu tout personnel à un penchant inné de la nature humaine.

Dieu ne fait rien en vain. Non-seulement il ne crée aucun être qui ne concoure à l'harmonie de l'univers, et qui ne soit parfaitement approprié à sa propre fin; mais il ne donne à chacune de ses créatures que le degré de force et les aptitudes dont elle a besoin. Manquer de force, perdre une force, ce sont deux signes d'impuissance. Nous-mêmes, dans notre humble sphère, nous ne savons qui nous méprisons le plus, de celui qui veut atteindre un but trop élevé, ou de celui qui fait de grands efforts pour atteindre un but qu'il avait sous la main. Si la France veut faire la guerre à la Russie, elle assemblera trois cent mille hommes, et ce sera bien; que dirait on d'un gouvernement qui mettrait trois cent mille hommes sur pied pour aller prendre une bicoque? Non-seulement, c'est un défaut d'intelligence que de dépenser de la

force en pure perte, mais c'est le plus sûr moyen de mal faire. L'habile ouvrier se reconnaît à l'exacte proportion de la force employée et de la force vaincue. Si nous appliquons ces principes à l'auteur de l'univers, nous devrons reconnaître que sa volonté a dû régler d'avance les facultés de chaque être sur la destinée qu'il lui assignait; et c'est ce que confirme avec éclat le spectacle de l'univers, partout où nous portons nos regards. Il est impossible de n'en pas tirer cette conclusion, que l'étude des facultés humaines doit nous éclairer sur l'avenir de l'homme. Un être destiné à vivre éternellement dans le ciel, ou un être destiné à végéter quarante ans sur la terre, ne peuvent pas avoir été taillés sur le même patron, si Dieu est grand.

Partons de là; et, puisque nous avons besoin de savoir si l'homme est immortel, demandons-le à l'homme lui-même.

Interrogeons d'abord son cœur. Ne regardons pas la vie, comme on le fait très-souvent, dans son tissu extérieur; pénétrons au fond : c'est le cœur qui est le fond de la vie. Non-seulement il nous arrive de ne rien comprendre à la vie des autres; mais beaucoup d'hommes, faute d'observation et de pénétration, ne comprennent rien à leur propre vie, et savent à peine la cause de leur bonheur ou de leur tristesse, le motif de leurs actes. Ils ressemblent à ces historiens qui accumulent événements sur événements, qui racontent les batailles et les révolutions, sans jamais dire

un mot de l'état des âmes. A peine commençons-nous à nous sentir nous-mêmes, que nous commençons à aimer, et quelquefois à haïr. Cet amour peut se concentrer sur nous ou se porter au dehors; presque toujours il s'attache à quelque autre âme : un père, une femme, un enfant, un ami. Dans certaines natures, l'amour prend pour objet principal la gloire, ou la vanité, ou la fortune. Quelquefois aussi, ce que nous aimons, c'est la patrie, ou l'art, ou l'humanité. Si cet amour dépasse la mesure commune, il prend dans la langue vulgaire le nom de passion; mais les âmes les moins passionnées sont agitées et gouvernées par l'amour. Qui nous donne cet amour? L'objet que nous aimons? Non vraiment, il n'en est que le prétexte. Ce qui est aimable pour moi, l'est peut-être pour moi seul. Un objet aimable ne crée pas un cœur aimant; mais là où palpite un cœur fait pour aimer, l'amour naîtra, dût-il se prendre à un indigne objet. L'amant tire de son cœur les trésors dont il pare l'objet aimé. Rien ne montre mieux que nous sommes quelque chose par nous-mêmes, et que nous ne dépendons pas entièrement de nos sens et du monde. Beethoven, devenu sourd, écrivait de la musique sublime. Quel monde enchanté, que celui qui étalait ses splendeurs dans l'imagination de Milton aveugle! Si je voulais faire le poëme de l'amour, je ne prendrais pas deux amants parfaits je prendrais un de ces cœurs qui se sont donnés pour ainsi dire en dépit de tout, mais donnés sans arrière

pensée, sans réserve, qui ne respirent et ne vivent que pour l'objet aimé, qui l'admirent avec enthousiasme, qui ne se comptent pour rien pourvu qu'il soit heureux, à qui le sacrifice est un bonheur, incapables de désenchantement, fidèles en dépit de tout, après la mort, bien plus, après la trahison, après le dédain; et qui versent tous ces trésors d'affection sur un corps disgracié, sur un esprit malade, sur un cœur ingrat. Voilà l'amour dans sa force; le voilà dans sa sublime grandeur: trace visible de la main de Dieu dans sa créature. Que ferons-nous de cette force, si l'homme périt? La réduirons-nous à la créature? La resserrerons-nous dans les bornes de la vie, elle qui ne rêve que l'éternité? Lorsque, déchirant tous les voiles et remontant jusqu'au Créateur à travers ses œuvres, l'amour s'attache directement à Dieu, serat-il frustré dans ses espérances? Cet amour à la fois si saint et si puissant viendra-t-il se briser un jour contre la froide mort? Quoi! Dieu ne se montrera pas? Dieu ne se donnera pas? Ainsi ce qui semblait le plus réel dans la vie n'est qu'un leurre et un supplice? Les âmes insensibles ne sont pas des âmes déshéritées? La vraie sagesse est de garder un cœur impuissant, et de passer à travers la vie sans passion et sans enchantement comme si on n'était déjà qu'un cadavre?

Mais laissons l'amour, et regardons l'intelligence. A côté de la faculté qui connaît le monde, qui le mesure, qui se l'approprie, n'y a-t-il rien dans mon

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