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temps qu'elle nous dirige vers le bien, nous contraint par une heureuse nécessité à reconnaître l'existence de la vie future; c'est la conscience. On peut disputer sur l'origine et la nature de cette force; les rationalistes pensent qu'elle existe en nous par la seule volonté du Créateur, et s'y développe spontanément, chaque fois que nous prenons une détermination morale, ou que nous assistons au développement de la liberté morale dans un de nos semblables. Mais, pour ne pas introduire ici la question des idées innées et la théorie de la raison, et nous en tenir à ce qui n'est pas même controversé, tout le monde convient que nous concevons l'idée de la justice; et, soit qu'elle nous vienne de l'éducation ou de la nature, cette idée dans un esprit formé a une telle puissance, qu'on ne peut ni la rejeter en théorie, ni en méconnaître l'ascendant dans la pratique. S'agit-il de nos propres actes? Elle engendre, suivant les cas, le remords ou une sorte d'orgueil doux et légitime. Ne sommes-nous que spectateurs? L'approbation ou la désapprobation ne se produit pas avec moins de sûreté. Qu'un fils frappe son père en ma présence, se peut-il que je regarde cette action comme indifférente? Si je la juge criminelle, est-ce après réflexion, ou spontanément? Mon esprit a-t-il besoin, pour porter ce jugement, de considérer les suites possibles pour la société de la décroissance du respect filial? Puis-je concevoir une loi écrite, dont le but serait de déclarer illusoire le respect du fils pour son père?

Et toutes les écoles, sans distinction d'origine, ne conviennent-elles pas qu'il y a une éternelle justice, indépendante de la justice humaine, et dont la justice humaine dépend? Essayons même de supposer que cette loi de la justice, admise par tous les hommes, résulte uniquement de leur condition, et que, si l'humanité était différente, la justice cesserait d'être la justice nous ne le pouvons. Je suis certain, de la même certitude, que la justice oblige le fils à respecter son père, et qu'un effet ne peut exister sans une cause. Il faut que je croie cela, ou que je renonce à me servir de ma raison. Si je circonscris la portée de cet axiome; si je dis : « La justice est vraie pour l'homme et ne le serait pas pour un être d'une nature différente, » il faut du même coup que je retranche, à tous les autres axiomes dont je me sers pour penser, ce que je retranche à celui-là et que je ne regarde plus ma raison que comme une autorité relative. Il faut que je dise, par exemple : « Il est vrai, pour l'homme que le tout est plus grand que sa partie; mais cela pourrait ne pas être vrai pour un être d'une nature différente. » Ce serait en réalité embrasser le scepticisme; car entre la vérité relative et le doute il n'y a pas l'épaisseur d'un cheveu.

Ainsi la justice existe et elle a une force absolue. Elle n'est pas seulement pour l'homme, ou pour le monde; elle est, sans aucune condition. C'est ce que pense tout homme qui n'est pas aveuglé par une théorie. Il suit de là que la justice doit être remplie;

car il ne se peut qu'elle soit, et qu'elle soit violée; de même qu'il est impossible, si cet axiome: Il n'y a pas d'effet sans cause, est vrai, qu'il y ait des effets sans cause. Donc, si le monde me présente une injustice évidente, et si la mort y met le sceau, de telle sorte qu'il n'y ait plus à espérer en ce monde, une réparation, il faut qu'il y ait un autre monde. Cette conclusion a précisément la même force que ma croyance au principe de la justice. Ou il faut dire qu'il n'y a pas de justice, ou il faut dire que la vertu est toujours récompensée; si elle n'est pas récompensée sur cette terre, elle l'est infailliblement et incontestablement dans l'autre vie'.

Dès que cette pensée a pris possession de notre âme, elle nous donne plus de force que toutes les maximes stoïciennes pour supporter la vie, car elle nous en montre à la fois le néant et les pro

1. « Aussi vrai que j'existe, je veux obéir à ma conscience dans tout ce qu'elle me prescrira. Que cette détermination soit désormais inébranlable dans mon esprit; que d'elle dépende toute détermination, et qu'elle-même ne dépende d'aucune autre; qu'elle soit le principe, le mobile de toutes mes actions. Je sais, il est vrai, en ma qualité d'être doué de raison, que je ne puis agir qu'à la condition de me proposer un but, d'attendre un résultat; je sais aussi, car cela m'a été démontré, que cette obéissance à ma conscience demeure stérile sur la terre. Mais qu'à cela ne tienne. Plutôt que de renoncer à la pratiquer, j'aime mieux supposer qu'au delà de cette terre se trouve un lieu où cette obéissance portera nécessairement ses fruits..... Le brouillard se dissipe: un monde nouveau se manifeste à moi, en même temps que je me découvre un nouvel organe pour le saisir. » Fichte, Destination de l'homme, p. 303 et suiv.

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messes 1. C'est une fausse morale, qui attache les félicités du monde à la vertu. Il n'en est rien ni la vertu, ni peut-être le génie n'enchaînent le succès. La vertu est si loin d'être profitable, qu'on ne se la représente guère que souffrante et opprimée. Le vice a toutes les chances. C'est la vertu de Caton, et non César, qui triomphe de Caton. Les hommes admirent la réussite, rien de plus; et les plus pauvres moyens, quand les circonstances leur donnent raison, deviennent des traces de génie pour nos esprits imbéciles. Rien ne nous accable comme le nombre et le fait accompli, cette double incarnation de la force. Notre raison a beau protester; nous finissons presque tous par courber la tête. C'est à peine si on se souvient de Caton dans le triomphe de César. Lorsque ce grand ambitieux, qui était encore honnête, se préparait à marcher contre le sénat de Rome, et par conséquent contre la République et la liberté, il se tenait sur les bords du Rubicon, partagé peut-être entre l'ambition et le devoir. Il n'y avait que la largeur du fleuve entre le crime et lui; et il n'y avait aussi que cette largeur entre lui et la gloire. Une fois qu'il l'a traversée, le monde et l'histoire lui appartiennent. Des flatteurs lui décernent le titre de Père de la patrie, que la multitude ne tarde pas à consacrer par ses acclamations. Il a des millions pour son luxe et ses

1. << Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. » Év. selon S. Matthieu, chap v, vers. 10.

faciles bienfaits. Cet argent qui n'est pas à lui et qu'il répand sans s'appauvrir fait porter aux nues sa libéralité. Il fait régner une police exacte pour avoir un empire soumis. Il encourage les poëtes, qui donnent la renommée. Il fait d'utiles lois, parce qu'au pouvoir absolu rien n'est difficile. Si une révolte s'élève, il l'écrase sans quitter son palais, et la postérité, comme les contemporains, ajoute cela à sa gloire. Ainsi s'écoule sa vie, dans la puissance et la paix. Un trait de clémence, célébré par Cicéron en termes emphatiques, fait oublier les proscriptions.

L'histoire est pleine d'exemples qu'on ne saurait comment expliquer, si toute injustice consommée et irréparable n'était la preuve d'une vie future. Encore ne connaissons-nous que les grands drames; car il faut, pour qu'une cause devienne historique, qu'elle intéresse la multitude ou les hommes puissants. Une injustice obscure se consomme sans laisser de traces. Une hache tombe, un valet de bourreau efface les gouttes de sang, et la foule bruyante et affairée passe sur la place encore tiède sans songer ni à l'échafaud ni à la victime, sans demander si celui qui vient de mourir s'appelle Malesherbes ou Carrier. C'est alors qu'une fausse philosophie ramasse toutes ces iniquités et toutes ces douleurs pour en écraser la Providence. Mais nous qui avons la foi, et qui ne pouvons cesser de croire en Dieu, nous nous sentons forcés et contraints, en présence d'une injustice irréparable, de croire à l'immortalité de l'âme.

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