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antérieure est nécessaire pour expliquer l'inégalité de nos aptitudes et de nos fortunes, et que si notre vie actuelle a été précédée d'une ou de plusieurs autres, il est naturel de ne la considérer que comme un anneau intermédiaire dans une série de transformations. Nous n'avons pas besoin de discuter la force de cette induction, car nous ne saurions admettre le principe sur lequel elle repose. Il est très-vrai que la somme des biens et des maux n'est pas également répartie entre les hommes, et qu'il est très-difficile de concilier cette inégalité avec la justice de Dieu. Mais ce qui serait bien plus difficile encore, ou plutôt ce qui serait absolument impossible, ce serait d'admettre que Dieu nous punisse en cette vie de fautes dont nous aurions perdu le souvenir. Il n'y a aucune solidarité entre ma vie actuelle, et ces vies antérieures dont je ne retrouve en moi aucune trace. Dans cette ignorance invincible où je suis de mon ancienne condition et de mes anciennes fautes, je ne puis me soumettre à un châtiment et l'accepter comme légitime. C'est un tyran qui punit ainsi, et non un père. C'est parce que la punition ne peut être séparée du souvenir de la faute commise, que je suis assuré de ressusciter avec la pleine et entière conscience de mon identité. Si l'on abandonne ce principe, dont l'évidence n'est plus contestée dans l'application de la justice humaine, il faut avouer que la vie à venir sera comme les vies antérieures séparée de celle-ci par des abîmes infranchissables, et que l'immortalité promise n'est que

l'immortalité de la substance, non de la personne. Aussitôt les deux plus grands dogmes de la philosophie morale périssent; car d'un côté le principe du mérite et du démérite est faussé, de l'autre l'immortalité, sans la conscience et le souvenir, devient inutile et indifférente. Enfin, s'il faut encore ajouter cela, la doctrine qui transforme les biens et les maux de la vie actuelle en récompenses et en châtiments, détruit les sources de la charité, en ne nous faisant plus voir dans les malheureux que des coupables. Le principe des vies antérieures est donc faux, et ne peut servir d'argument pour la théorie des migrations futures.

On tire une autre preuve, en faveur de la métempsycose, de la brièveté de cette vie humaine. Une épreuve si courte ne saurait, dit-on, être décisive; elle ne peut suffire à la justice de Dieu. Mais qu'appelle-t-on la brièveté de l'épreuve? A quoi la comparet-on? Si c'est à l'éternité, une pareille comparaison n'a pas de sens. On peut rendre la vie mortelle cent fois plus longue sans changer son rapport avec la vie éternelle'. Ainsi l'épreuve est complète en une courte vie. Il est vrai, nous le reconnaissons, que les conditions de l'épreuve ne sont pas égales pour tous les hommes; mais que peut-on conclure de ce fait pour la vie à venir, sinon que le jugement de Dieu tiendra

1. « Undecumque ex æquo ad cœlum erigitur acies, paribus in<< tervallis omnia divina ab omnibus humanis distant. » Seneca, Consolatio ad Helviam, cap. IX.

compte exact et scrupuleux de toutes les circonstances? Nous savons que chacun sera puni et récompensé selon ses œuvres. L'inégalité de l'épreuve sera compensée par l'inégalité de la récompense ou de la peine. Voilà ce que nous pouvons affirmer, parce que cela ressort de la notion de la justice: le reste n'est qu'une conjecture sans preuve et sans vraisemblance.

Mais, nous dit-on, pourquoi le coupable ne pourrait-il, en subissant sa peine, satisfaire par son repentir à la justice divine, et mériter un pardon plus prompt et plus complet? Et qui nous empêche, si le temps de la peine devient ainsi une seconde épreuve, de supposer, même dans le juste, le pouvoir de mériter encore, et d'arriver par un plus grand mérite à une récompense supérieure? Notre réponse sera bien simple. On demande s'il est impossible que, pendant la durée du châtiment, le coupable mérite un pardon? Non, cela ne paraît pas impossible. Est-ce à dire que cela soit? Nul ne peut, sur un tel sujet, faire autre chose que des conjectures. Hors de la proportionnalité des peines, tout devient conjectural. Qu'est-ce donc que cette théorie de la métempsycose sinon une conjecture fondée sur des conjectures? Ajoutons qu'il n'est pas exact de dire que, le pécheur peut obtenir un adoucissement à sa peine, il s'ensuit que le juste doit obtenir un accroissement de bonheur. On tenterait en vain d'établir un parallélisme entre le châtiment et la récompense, et la justice peut être tempérée par la miséricorde, sans qu'il

si

en résulte parfaite.

pour les élus aucun droit à une félicité plus

On nous dit à la vérité qu'en vertu des principes sur lesquels repose la croyance à l'immortalité de l'âme, l'homme doit ressusciter tout entier, et se retrouver dans un autre monde avec la même intelligence, le même cœur, la même liberté. S'il est libre après cette vie, nous dit-on, il doit exercer la liberté dans les conditions où la liberté s'exerce, c'est-à-dire avec chance de mérite et de démérite; il est donc encore dans l'épreuve; il a donc à espérer ou à craindre. Ce raisonnement est fondé sur ce point, que l'action est nécessairement partout et dans tous les êtres ce qu'elle est en nous ici-bas. Qui le prouve? Qui prouve même que l'action, l'action limitée, variée, diverse, soit nécessaire à la liberté? De ce que l'homme ne peut être libre qu'à la condition de pouvoir faillir, s'ensuit-il que la liberté, dans son essence absolue, implique la possibilité de la faute? Pour soutenir une pareille doctrine, il faudrait dire ou que Dieu peut faire le mal, ou que Dieu n'est pas libre. S'il est évident que la liberté et l'infaillibilité appartiennent également à la nature de Dieu, il en résulte que la possibilité de faillir n'est pas comprise dans l'essence de la liberté. Qu'y a-t-il donc encore une fois de solide dans ces preuves accumulées, qui ne reposent que sur des données ou fausses ou conjecturales?

Enfin, on veut nous persuader que nous ne saurions être heureux dans le ciel, si nous n'y avons

pas, comme ici-bas, une tâche à remplir, et l'on en conclut que la vie qui nous attend doit être, comme la vie actuelle, une transition. Aimer Dieu, dit-on, connaître Dieu, ce sont deux éléments du bonheur, ce n'est pas tout le bonheur : il faut de plus tendre vers le divin idéal par la lutte, par l'action. Ainsi tous les termes sont renversés; jusqu'ici les hommes se plaignaient des fatigues de l'épreuve; et la philosophie répondait : il faut bien mériter le repos par le travail; mais voici une doctrine qui aime la lutte pour elle-même, qui nous récompense d'une victoire par la promesse d'un nouvel effort à tenter, et qui fait de la vie éternelle un mouvement éternel. N'y a-t-il pas de la témérité à vouloir déterminer les conditions d'un bonheur que nous ne saurions goûter, ni peut-être imaginer dans notre condition présente? Et sur cette conception si hasardée, est-il possible de fonder tout un système? L'action est sans doute de l'essence de la perfection; mais l'action est-elle le contraire du repos? Le Dieu d'Aristote est à la fois essentiellement immuable et essentiellement actif; toute métaphysique conclut à une cause immobile. Admettons, quoiqu'on ne le prouve pas, que l'action et le repos ne puissent se concilier qu'en Dieu; de ce que l'action diverse, multiple, limitée, importe à notre bonheur dans la vie actuelle, il n'y a pas lieu de conclure qu'elle continue à nous être nécessaire dans la vie à venir. L'action importe à notre bonheur ici-bas, parce que la vie actuelle est une épreuve; et

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