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elle importera à notre bonheur dans la vie prochaine, si cette vie n'est elle-même qu'une épreuve: mais c'est précisément ce qui est en question.

Il s'en faut donc bien que la doctrine de la métempsycose soit autre chose qu'une très-brillante et très-attrayante hypothèse. Cette hypothèse, destinée à éclaircir le mystère de la vie future et à donner, comme on le prétend, un corps à nos espérances, est certainement plus vague que la simple promesse d'une récompense, à laquelle se borne le plus souvent la philosophie. En effet, cette ascension d'étoile en étoile, dont on compose notre avenir, doit-elle se prolonger à l'infini? Alors l'hypothèse n'est plus qu'une abstraction vide. C'est une série de transformations dont aucune ne nous est connue, un éternel voyage vers un but qui n'existe pas. Si on répond au contraire que l'âme, après plusieurs migrations successives, vient s'abîmer dans le sein de Dieu, pourquoi ne pas être panthéiste plus tôt? Pourquoi faire un si long trajet s'il faut à la fin tomber dans ce gouffre? Ne dirons-nous pas à ces poëtes du monde invisible ce que le courtisan de Pyrrhus disait à son maître : « Reposez-vous dès le premier jour?

Après avoir renoncé à la métempsycose, il faut en revenir à chercher ce que la philosophie nous permet d'affirmer avec certitude. Nous avons vu qu'il y aurait nécessairement récompense pour les bons et

punition pour les méchants; nous pouvons ajouter que l'âme ne perdra pas le souvenir de ce qu'elle a été c'est une condition indispensable pour qu'elle puisse être récompensée ou punie. Ainsi, nous devons tenir pour évidents ces deux points: persévérance de la personnalité, récompense ou punition suivant les mérites.

Il est quelquefois utile d'insister sur des assertions qui paraissent incontestables. Leibnitz en donne le conseil. C'est qu'une même vérité peut avoir plusieurs aspects suivant le côté par lequel on y arrive. Quand on tient un principe important, il faut bien l'examiner, pour être sûr de le reconnaître même en y revenant par un chemin de derrière. Est-il vraiment nécessaire que notre âme garde le souvenir de ce qu'elle a été, pour qu'elle puisse être récompensée ou punie? Comprenons bien l'idée de punition et celle de récompense. La punition est une douleur infligée à l'auteur d'un acte coupable; la récompense est une satisfaction accordée à l'auteur d'un acte méritoire. Ici-bas, dans notre justice distributive, nous arrive-t-il de punir Jean pour la faute de Paul? Cela nous arrive quand nous nous trompons sur les faits; mais, si nous connaissons le coupable, c'est lui, et lui seul, que nous voulons punir. Autrefois, avant les progrès de la philosophie, on établissait une solidarité entre les membres d'une famille; et parce que, dans certains cas, la récompense accordée au père s'étendait à toute la postérité, on en concluait que la société

pouvait étendre la punition comme elle étendait la récompense. C'était confondre deux idées très-différentes ; car un bienfait peut être gratuit, tandis qu'une punition, par son essence même, suppose la culpabilité de celui qui la souffre. Que la société, pour mieux récompenser le père, accorde gratuitement un bienfait à sa postérité, elle le peut; mais la punition est absolument, nécessairement, rigoureusement personnelle. Elle l'est à un tel point, que si le coupable n'a pas la pleine possession de son intelligence au moment où il commet la faute, la société se trouve désarmée pour le punir; elle peut prendre des précautions contre lui, l'enfermer dans un but d'intérêt général; mais elle commence par l'acquitter: le mot même de coupable ne lui convient pas'. Bien plus, si, après avoir commis son crime en pleine connaissance de cause, en pleine possession de ses facultés, l'accusé est frappé de folie avant de comparaître devant ses juges, il semble que la loi, éclairée par la philosophie, ne puisse lui infliger aucune peine et doive se borner à le mettre dans l'impuissance de nuire. Il faut que l'accusé comprenne qu'il est puni; sans cette condition, la justice change de nom et devient de la barbarie. Enfin, ajoutons encore que la mort de l'accusé met fin à toute procédure'. Dans les siècles d'ignorance, on faisait le procès même à un mort. Un reste fort

1. « Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action. » Code pénal, art. 64.

2.Article 2 du Code d'instruction criminelle.

adouci de cette coutume se retrouve encore chez un peuple voisin. Elle peut sembler raisonnable, pourvu qu'on la renferme dans certaines limites; car la punition a un double but punir le criminel, effrayer le crime. Le criminel ne peut plus être puni, puisqu'il est mort; mais la sentence peut être prononcée pour l'exemple. Cependant la loi française, sous l'inspiration de la philosophie, a sagement décidé que la mort du coupable arrêtait tout. I importe sans doute de qualifier les actes pervers; mais il importe encore plus de faire pénétrer dans tous les esprits le véritable sens, le véritable caractère de la peine. Or, nous le répétons une seconde fois, pour que la justice ne perde pas son nom, il faut que le coupable comprenne qu'il est puni.

Nous ferons quelques réflexions analogues sur les récompenses. Il y a une grande différence entre donner et récompenser. Je puis donner à qui je veux, quand je veux, autant que je veux. Celui à qui je donne n'a aucun droit à mes bienfaits. J'exerce, en donnant, ma libéralité. Je fais un acte de pure bienveillance. Au contraire, je ne puis récompenser que celui qui a mérité de l'être. Il a un droit formel sur la récompense que je lui donne. Je m'honore sans doute en récompensant généreusement, mais parce qu'on s'honore en rendant justice. Ces principes sont élémentaires. Il arrive souvent que, dans l'État, une institution destinée à payer le mérite, devient l'objet du trafic des courtisans, et que la faveur prend

la place de la justice; c'est que toute institution humaine engendre des abus. La distinction accordée à l'intrigue usurpe le nom de récompense. Elle devrait changer de nom, si la vérité était connue, et s'appeler flétrissure. Si quelquefois les distinctions sont héréditaires, c'est qu'on n'a pas trouvé d'autre moyen de récompenser le père. La distinction accordée à la famille est une récompense pour le père; pour le fils elle n'est qu'un bienfait. En un mot, le principe du mérite et du démérite et la notion de punition et de récompense sont nécessairement inséparables. Nul ne peut être puni et récompensé sans l'avoir mérité, et sans savoir qu'il l'a mérité. Cela est vrai, même des funérailles illustres que l'État décerne à un héros. Il lui donne la gloire, ne pouvant plus lui donner le bonheur.

Ce caractère n'est pas particulier aux peines et aux récompenses que distribue la justice humaine. Nous ne pouvons admettre que Dieu nous punisse dans une autre vie, si nous n'avons transgressé aucune loi; ou qu'il nous traite après la mort comme il traitera un homme vertueux, si nous avons violé nos serments, outragé la majesté divine, et préféré notre intérêt à nos devoirs. C'est cette conviction qui ajoute au poids du remords, et qui mêle la peur du supplice à venir au sentiment de la dégradation. C'est sans doute trop ravaler la nature humaine que de la croire uniquement menée par la crainte du châtiment ou l'espoir de la récompense; mais, sans nier la valeur des autres mo

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