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ne lui demandera rien d'immoral, puisque c'est l'offenser que de concevoir même un désir contre l'honnêteté. On ne lui adressera pas non plus des demandes frivoles. On ne lui dira pas : « Faites que cette poire mûrisse; » ou «Faites que je gagne ce procès. » Il n'est pas permis de demander à Dieu des choses pour lesquelles on rougirait d'importuner un ami. Quand même il s'agirait de toute notre fortune, est-il d'une âme religieuse de ne comparaître devant son Créateur que pour en faire le confident d'une pensée d'avarice? Dans le combat que se livrent nos convoitises, Dieu est indifférent, ou, s'il accorde sa protection, il ne l'accorde qu'au courage et au travail. C'est donc en travaillant, et non en formant des vœux, que nous pouvons réussir. En courant dans une plaine, je sens tout à coup que la terre me manque, et que je suis précipité. « O mon Dieu, sauvez-moi! >> C'est le cri que la nature m'inspire. Mais comment Dieu me sauvera-t-il? Sera-ce par un miracle, en suspendant l'action des lois de la pesanteur? Non, cette espérance ne traverse pas même mon esprit. Je demande à Dieu de me faire trouver une branche secourable, au lieu de me laisser rouler jusqu'à l'abîme. Mais cette branche, elle est là, dans la direction de mon corps. Si elle y était avant ma prière, j'ai prié en vain; si elle n'y était pas, et que Dieu l'y mette, ce miracle n'est pas moins étonnant que de suspendre les lois de la pesanteur. Ainsi ma prière, si elle est sérieuse, est la demande formelle d'un mi

racle'. C'est qu'au fond elle n'est que l'instinct irréfléchi d'un être faible qui se sent périr, et qui invoque le Dieu dont il tient la vie. Si nous savions toujours ce que nous faisons quand nous prions, nous ne demanderions pas si facilement des miracles; et nous ne les demanderions pas pour obtenir un jour de plus à passer loin de Dieu sur cette terre.

Pendant notre enfance, nous dépendons de ceux qui nous environnent pour tous nos besoins corporels; il nous est permis alors de demander; mais à mesure que notre esprit et nos bras acquièrent de la force, nous nous élevons à la dignité de travailleurs; nous conquérons le premier signe de la liberté, qui est l'indépendance personnelle. A partir de ce moment, c'est un devoir et un honneur pour nous de nous suffire à nousmêmes; de gagner, à la sueur de notre front, le pain quotidien; de repousser le danger par la lutte; de nous faire à nous-mêmes, par notre capacité, par notre énergie, notre place au soleil. Si nous avons à notre tour des enfants à protéger, notre peine, notre

1. « Je converse avec lui, je pénètre toutes mes facultés de sa divine essence; je m'attendris à ses bienfaits, je le bénis de ses dons; mais je ne le prie pas. Que lui demanderais-je? Qu'il changeât pour moi le cours des choses, qu'il fit des miracles en ma faveur? Moi qui dois aimer par-dessus tout l'ordre établi par sa sagesse et maintenu par sa providence, voudrais-je que cet ordre fût troublé pour moi? Non, ce vœu téméraire mériterait d'être plutôt puni qu'exaucé. » J. J. Rousseau, Profession de foi du vicaire savoyard.

responsabilité augmentent, et notre dignité avec elles. C'est un beau spectacle que celui d'un père de famille, qui comprend sa tâche et la remplit dignement. Il ne se permet le repos que quand il est d'une nécessité absolue; il choisit, ou il subit un travail, et s'y livre de toute sa puissance; il applique son esprit et ses forces à gouverner sa jeune famille, à l'éclairer, à la protéger. Si le fruit du travail est insuffisant, le premier dont la portion est retranchée, c'est le père. C'est son droit. Si le malheur vient, malgré la persévérance et l'économie, c'est lui encore qui connaît le péril le premier, qui le cache longtemps, qui lutte en secret, qui enfin le fait connaître avec ménagement, et qui doit l'exemple de la résignation. Il faut que son impuissance lui soit mille fois démontrée, pour qu'il se résigne enfin à demander; car demander, c'est vivre du salaire d'autrui, profiter de la peine d'autrui. Telle est la loi et la condition de l'homme. Ce n'est pas la fierté qui lui enseigne à ne rien attendre que de ses efforts : c'est le devoir et l'équité. Ce qu'il est au milieu de ses semblables, il doit l'être devant Dieu laborieux, persévérant, résigné; usant de la bonne fortune avec modération, supportant la mauvaise avec énergie.

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Mais si nous ne crions au ciel, ni pour la peine, ni pour le travail, quelle est donc la prière légitime? Nous pouvons demander la force, la résignation, la vertu; le bien de l'âme, non celui du corps; ce qui

est de notre destinée, et non ce qui ne touche qu'à notre épreuve. Voilà la vraie prière, la seule permise 1. Nous ne dirons pas : « Mon Dieu, fais pousser mes épis. >> Mais nous dirons : « Mon Dieu, donne-moi le courage de semer; » ou « Console-moi de n'avoir pas récolté. » Nous ne dirons pas : « Mon Dieu, faismoi gagner mon procès; >> mais «< Mon Dieu, fais que le procès soit gagné par celui qui a la cause juste, et, si je dois perdre, fais que je supporte le malheur en homme. »

C'est de cette prière que nous parlons; et comme elle n'est au fond qu'un ferme propos de faire le bien et qu'une aspiration vers Dieu, elle n'a rien qui ne puisse se concilier avec l'immutabilité divine.

Nous nous arrêtons là. Cette prière nous suffit; et nous ne pensons pas que la religion naturelle com

1. Kant va jusqu'à considérer la prière comme une superstition dès qu'elle est enveloppée de paroles et de formules, « parce que Dieu, dit-il, n’a nul besoin d'explication sur les désirs formés au dedans de nous.» (De la relig., concl. de la IV partie.) Mais, si la prière n'est qu'une aspiration vers le bien et vers le Dieu qui est la source du bien, elle peut, selon Kant, être exaucée, c'est-à-dire produire une amélioration morale, et conséquemment être admise par la religion naturelle. L'analogie de cette doctrine avec celle de Malebranche est frappante, surtout si l'on tient compte de la différence d'origine entre les deux philosophies et de caractère entre les deux philosophes.

2. «< Puissant Jupiter, donne-nous les vrais biens, que nous les demandions ou que nous ne les demandions pas; et éloigne de nous les maux, quand même nous les demanderions. » Platon, Second Alcibiade, trad. de M. Cousin, t. V, p. 153.

porte ces demandes, ces insistances qui font de l'homme agenouillé devant Dieu un courtisan mendiant une faveur.

Malebranche, à la fois philosophe et prêtre catholique, incapable comme prêtre de renoncer à la prière, et comme philosophe d'attenter à l'immutabilité de Dieu, suppose que, par un décret éternel, le Créateur a voulu que ses grâces se répandissent sur toutes les âmes qui l'invoqueraient avec ferveur et sincérité. Ainsi la grâce est, pour ainsi dire, préparée, et elle vient à nous quand nous la demandons, sans que Dieu ait besoin d'intervenir par une action temporaire1. Voilà une belle hypothèse, contre laquelle Malebranche ne voit aucune objection sérieuse, et qui suffit pour faire de la prière une véritable demande. Il semble bien, au premier abord, qu'une loi préexistante qui s'applique nécessairement quand l'occasion lui en est fournie, ne répond pas à ce besoin de communication directe, intime, personnelle, qui est essentiel à la prière; mais quand nous nous représentons sous la forme d'une loi abstraite les éternels décrets de Dieu, nous oublions que le passé, le présent et l'ave

1. « Qu'on cultive les terres ou qu'on les laisse stériles, il n'y pleut ni plus ni moins. C'est qu'il ne pleut ordinairement qu'en conséquence des lois générales de la nature, selon lesquelles Dieu conserve l'univers. De même la raison de la distribution de la grâce ne se tire point de nos mérites naturels. » Neuvième Entretien sur la métaphysique, $12.

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