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qu'à penser au corps et à ses besoins, à gagner, à compter, à dépenser de l'argent, qui borne volontairement ses pensées à l'horizon de ses intérêts matériels, qui met une sorte d'orgueil à nier ce qu'il ne voit pas, à mépriser ce qu'il ne comprend pas, n'y a-t-il donc rien de Dieu dans un tel homme, pas une idée, pas un sentiment que quelque formule religieuse puisse faire tout à coup sortir de la nuit? Si nous-mêmes, habitués à réfléchir, nous qui avons cherché Dieu avec anxiété, qui avons tressailli de joie quand la science nous a permis de bannir toute incertitude, qui, chaque jour, nous faisons une étude de rattacher toutes nos idées à cette idée suprême, et de contempler la synthèse du monde dans ses rapports avec le Créateur, si nous avons des moments d'oubli et de défaillance, si nous sommes trop heureux qu'une image plus vive, une exhortation, une prière, nous rappelle au sentiment de la religion, comment pouvons-nous croire que la religion se soutiendra toute seule dans le commun des esprits? Plût à Dieu que l'État ne fût pas réduit à quelques formules très-générales de piété, et qu'il eût la force nécessaire pour créer un culte! Le pouvoir de ces symboles extérieurs est si grand et si connu, que, par exemple, tous les législateurs y ont recours pour entretenir l'amour de la patrie. Les fêtes nationales, les chants populaires, les drapeaux, les cocardes, qu'est-ce autre chose qu'un culte dont la patrie est l'objet? Cependant, aveugles que nous sommes, la

patrie est vivante et présente; son intérêt est notre intérêt, sa gloire est notre gloire; c'est nous-mêmes, en elle, que nous défendons et que nous aimons. Dieu est tout près, en réalité, mais par la faiblesse de nos vues, par l'éblouissement que nous cause le monde, par notre excessive préoccupation du moment, Dieu est si loin, qu'il nous faut un effort pour nous élever jusqu'à lui. Et nous ne comptons que sur nos propres forces? Il n'y aura pas un monument religieux sur nos places? Il n'y aura pas un mot de Dieu dans les actes du pouvoir public? Pas de solennelles actions de grâce rendues à la Providence au nom du peuple entier par ceux qui peuvent parler en son nom? Il n'y aura pas dans les foules une voix qui nous dira: «Soyez justes, au nom de Dieu; aimez-vous les uns les autres, au nom de Dieu ? »

Il ne nous reste plus à examiner d'autre élément du culte extérieur, que l'apostolat.

Quand on parle d'apostolat, la pensée se reporte involontairement vers ces douze hommes du peuple qui, après la mort du Christ, sans autre force que la sublimité de leur doctrine, ont entrepris de changer la face du monde, et y sont parvenus; ou vers ces héros de la pensée qui, dans les ténèbres du moyen. âge, ont affronté le mépris, la misère, la mort, pour renverser des préjugés et répandre la vérité parmi les hommes. Voilà les vrais apôtres, animés d'une foi invincible, toujours sur la brèche, donnant leur vie

pour leur croyance, et laissant après eux le monde vaincu et transformé. Il ne s'agit plus aujourd'hui que d'un enseignement pacifique, d'un apostolat sans péril. Dans cette phase nouvelle, l'Église et surtout l'Église catholique a conservé ses apôtres. Le prêtre parle au nom de Dieu avec autorité. Il s'appuie sur la tradition, sur un livre sacré, sur l'Église dont il est le ministre. Il a reçu une consécration; il s'assoit dans une chaire qu'entoure la majesté de la religion, il parle dans un temple où la Divinité semble plus présente. La grandeur de sa situation, le dévouement dont elle est la preuve, les sacrifices qu'elle impose, l'habit qu'il porte lui tiennent, s'il le faut, lieu de talent. Il parle au cœur et à l'imagination plutôt qu'à la raison; et le cœur et l'imagination sont plus forts que la raison pour entraîner les hommes. Tout lui vient en aide la pompe extérieure du culte,* ou même parfois, sa misère, car la pensée religieuse s'exalte dans un temple comme par une force naturelle, et une église de village parle aussi haut qu'une basilique. On le tient quitte le plus souvent de prouver et de discuter, il parle à un auditoire convaincu d'avance qui ne demande qu'à être éclairé et consolé. Les femmes se pressent autour de sa chaire avec une confiance sans bornes; il n'est occupé qu'à les retenir, car il est dans leur nature d'aimer et de rêver. Elles lui apportent leurs enfants pour qu'il leur donne les premières notions de religion et de morale. On l'appelle dans l'intérieur des familles comme un

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consolateur, comme un maître. Il est admis jusque dans les intérieurs d'où la foi est absente. La coutume, une sorte de bienséance passée dans les mœurs, le rend nécessaire, même au chevet de l'athée. S'il publie un livre, son nom seul, et son titre de prêtre, le recommandent à tous les fidèles. Il peut, sans crainte, attaquer la doctrine de ceux qui ne partagent pas sa foi. Pourvu que la charité ne soit pas blessée, cette attaque est une preuve de zèle dont tout le monde le loue avec raison. L'auteur blàmé ne lui répond, s'il l'ose faire, qu'avec respect et timidité; il atténue, il enveloppe sa pensée, il demande grâce; avec ces précautions, il n'est pas sûr de ne pas courir quelque péril, parce que la loi protége contre la liberté des écrivains tous les cultes autorisés. Dans la religion catholique, l'usage de la confession auriculaire centuple la force du corps sacerdotal. Un enfant est né; on le baptise. Il commence à penser; on le catéchise, on l'admet à la sainte table. L'homme, pour se marier, va s'agenouiller aux pieds du prêtre. Moribond, il trouve un prêtre à son chevet. Mort, on le porte à l'église, on l'ensevelit en terre sainte.

Mais qu'est-ce qu'un philosophe? C'est un homme qui a tout juste autant d'autorité que lui en donne son talent. Il ne va pas vous prendre dans votre demeure; il n'est pas associé aux joies et aux misères des familles; il n'a de rôle officiel nulle part. Il écrit une page sans savoir qui la lira, ni si elle sera lue. Il traite les sujets les plus difficiles, souvent les plus ingrats,

et ne peut être compris que par des intelligences trèsexercées; cependant le premier venu le juge sans appel. Il n'échappe ni à la calomnie, ni au dédain, ni, selon les temps, à la persécution. Il s'estime heureux, s'il obtient, d'un petit nombre d'oisifs, une attention distraite. Le public l'ignore, les lettrés le raillent, les autres philosophes le discutent sans justice; presque personne ne le comprend, parce que personne ne se donne la peine nécessaire pour le comprendre. Lui-même travaille sans relâche pour édifier un système dont il n'est jamais entièrement satisfait. Tantôt il ne trouve pas la vérité, tantôt, l'ayant trouvée, il ne peut l'exprimer clairement. Sa vie n'est qu'une lutte pénible contre la passion et l'erreur. Plus il aime l'humanité et la vérité, plus il souffre de son impuissance et de son isolement. C'est sa grandeur qui fait son supplice.

Cependant, quels que soient les obstacles dont la voie du philosophe est semée, il y a quelque chose qui combat pour la philosophie; c'est la force de la liberté et de la vérité, force invincible, contre laquelle rien ne prévaut. On a beau étouffer la science, fermer les écoles, interdire les chaires, brûler les livres. La persécution même est un enseignement. On ne sait si la pleine et absolue liberté de tout dire porte mieux et plus loin une doctrine. Les discussions métaphysiques sont pour les savants et ne passent pas le seuil des écoles; mais quand il se dégage de leurs disputes une seule vérité, elle va, quoi qu'on fasse

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