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Ce qui prouve bien l'absurdité de cet anthropomorphisme, c'est l'absurdité de ses formules. On veut que Dieu soit un homme, et on veut qu'il soit infini. On lui attribue toutes nos facultés, et on ajoute: elles sont infinies en lui, et en nous elles sont finies. Après cela, comme on comprend la faculté humaine qui est finie, on ne veut pas admettre l'incompréhensibilité de la faculté infinie. Qu'est-ce donc que cette infinitude compréhensible? Si infini ne veut dire ici qu'immense, Dieu s'évanouit; s'il veut dire véritablement infini, on se paye de vains mots, et ces qualités humaines élevées à l'infinitude sans cesser d'être compréhensibles, ne forment qu'une phrase confuse, sans idée.

Platon, Aristote, les alexandrins, les grands théologiens de l'Église chrétienne avaient mis la philosophie sur une tout autre voie. Ils étaient si loin de rendre Dieu analogue au monde, que la difficulté était pour eux, non de l'en séparer, mais de l'en rapprocher. A force de le vouloir parfait et immuable, ils ne savaient plus comment l'abaisser au rôle de Providence. Ce même sentiment de l'incompréhensible perfection est très-frappant dans Malebranche'.

il ne

1. « Vous devez savoir que, pour juger dignement de Dieu, lui faut attribuer que des attributs incompréhensibles. Cela est évident, puisque Dieu c'est l'infini en tout sens, que rien de fini ne lui convient, et que tout ce qui est infini en tout sens est en toutes manières incompréhensible à l'esprit humain. » Malebranche, Huitième entretien sur la métaphysique, § 7.

Peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs le motif qui a déterminé Descartes à repousser les causes finales. Il nous refusait, avec le pouvoir de comprendre Dieu, celui de deviner, dans l'effet éphémère, les intentions de la cause infinie. Si l'on est, depuis, retombé dans l'anthropomorphisme, cela tient à un certain abaissement de la métaphysique au XVIIIe siècle. Le XVIIIe siècle a été grand en philosophie par l'audace, par la précision, par le sens pratique et expérimental; mais en même temps qu'il réagissait contre les restes de la scolastique, il réagissait aussi contre la métaphysique élevée de Descartes et de Leibnitz. Il ne prenait à Descartes que cette grande maxime: Ne rien admettre en sa créance que l'on ne comprenne clairement et distinctement être vrai. Ennemi, comme il le disait, des systèmes, épris du bon sens, craignant par-dessus tout la subtilité et la chimère, il a eu le tort d'exagérer ces excellentes qualités jusqu'à l'étroitesse, de descendre au niveau de l'opinion commune, et, peu à peu, de décadence en décadence, de ne plus admettre que ce qu'il pouvait voir et toucher. Le plus grand nombre des philosophes de cette époque ont abouti au matérialisme. Ceux qui n'ont pas poussé le fanatisme de l'incrédulité jusqu'à avoir peur des esprits, ont voulu du moins que le monde des esprits ressemblât le plus possible à celui des corps; il leur a fallu un Dieu compréhensible, parce qu'il était dans leurs principes de ne rien admettre de trop supérieur à la

raison, de ne pas choquer les habitudes du vulgaire, d'écarter le mystérieux, de rendre compte de tout, de définir, et, en quelque sorte, de mesurer tout. Or, un Dieu compréhensible était nécessairement un Dieu humain. On le comprendra par un exemple. Que savons-nous du corps? qu'il est figuré, coloré, pesant, sapide, sonore. Nous connaissons ses formes par la vue et par le toucher, sa sonorité par l'ouïe, etc. Pouvons-nous affirmer qu'il n'ait pas d'autres qualités que celles que nous connaissons? Comment le pourrions-nous? Est-il impossible qu'il ait même de certaines qualités imperceptibles à nos sens? Cela n'est pas impossible. Si ces qualités existent, pouvonsnous nous en faire une idée, ou, en d'autres termes, pouvons-nous les comprendre? Il est clair que nous ne comprenons que les idées puisées dans notre expérience interne ou externe, ou les idées formées à l'aide de celles-là. Quant aux qualités qui ne tombent pas sous les sens, nous nous abstenons de les affirmer, parce que nous ne saurions ni les prouver ni les comprendre; nous sommes à leur égard comme un aveugle à l'égard des couleurs, comme un sourd à l'égard d'un son. Si donc les attributs de Dieu diffèrent de nos facultés, non par le degré, mais par la nature, nous ne saurions comprendre Dieu; ce que les rationalistes mêmes de la fin du XVIIIe siècle ne voulaient pas admettre. Ils ont donc fait un Dieu humain pour le rendre compréhensible. Ils ont donné ainsi raison aux matérialistes plus logiciens qu'eux dans leurs

négations. Dès qu'ils ont abaissé Dieu au point de le rendre impuissant et inutile, ils ont été désarmés devant l'athéisme. Ils n'ont pas compris que l'infinitude ne pouvait être analogue à son contraire, c'està dire à ce qui est fini. Ils n'ont pas vu que si les formules scientifiques étaient également vraies pour le fini et pour l'infini, il s'ensuivait qu'elles étaient fausses.

Il fallait aux philosophes un principe pour établir l'analogie de Dieu avec l'homme, et voici celui qu'ils ont mis en honneur, et qui se répète encore avec assurance dans les écoles les plus autorisées : il faut bien, disent-ils, qu'il y ait dans la cause tout ce qui est dans l'effet. Ce principe est de toute fausseté; aussi en ont-ils tiré de tristes conséquences. Ils ont été jusqu'à soutenir que la matière était en Dieu et faisait partie de son être, parce qu'en effet il est l'auteur de la matière. Ils ont écarté seulement de la

nature de Dieu l'imperfection et le mal, parce qu'il permet le mal, disent-ils, sans le faire, et que l'imperfection résulte, dans les êtres produits, de leur qualité d'êtres produits et non de l'acte par lequel leur cause les produit. Cette distinction est bien subtile pour des théologiens qui se font gloire de courtiser le sens commun. Ils sont bien hardis de faire ainsi le discernement de ce qui nous vient de notre auteur et de ce qui nous vient de notre qualité d'êtres créés. Ils font là, sans s'en apercevoir, de la

métaphysique la plus aventureuse et la plus nuageuse; mais ils sont condamnés par leurs principes à la faire ou à tomber dans le panthéisme. Et, au fond, comment auraient-ils échappé au panthéisme, après avoir assez abaissé Dieu pour que l'intelligence humaine pût le comprendre?

La vérité est que leur principe ne vaut rien. Il n'est pas vrai que tout ce qui est dans l'effet soit dans la cause; il est vrai seulement que la cause a une puissance égale ou supérieure à l'effet, et cela est bien différent. Dieu, étant la cause de l'homme, ne peut pas être moins parfait que l'homme, voilà qui est certain; Dieu, étant la cause du monde, ne peut pas être inférieur au monde en perfection, voilà qui est incontestable. En conclure que Dieu ressemble à l'homme ou ressemble au monde, voilà l'erreur, voilà l'absurde. Nous serions bien avancés vraiment d'avoir prouvé que Dieu est simplement supérieur à l'homme! Il faut prouver qu'il est infini, ou se taire.

Ne craignons pas d'insister ici sur la différence du fini et de l'infini; car c'est le fondement principal du dogme de l'incompréhensibilité, et ce sera plus tard la base de la réfutation du panthéisme.

Dans toutes les écoles de philosophie où l'on admet l'existence de Dieu, et dans les écoles où l'on apprend à lire aux petits enfants, on dit de Dieu qu'il est éternel et infini.

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