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disaient

le même et l'autre, ou bien l'immuable et le mobile; comme nous dirions aujourd'hui : Dieu et le monde.

Le temps et l'espace n'étant, comme nous l'avons vu, que des relations, il n'est pas étonnant qu'on se trouble et qu'on se perde dans ses pensées quand on veut raisonner sur leur nature, comme s'ils étaient des êtres réels, des contenants. On trouve en eux trois difficultés principales: l'une en les divisant, parce qu'ils s'amoindrissent jusqu'à l'infiniment petit; l'autre en les multipliant, parce qu'ils croissent jusqu'à l'infiniment grand; et la troisième en les isolant, parce qu'une fois qu'on les considère en faisant abstraction du monde, on est tenté de les déclarer in. finis par l'absence nécessaire de limites. Examinons à ce triple point de vue la doctrine étrange de la réalité métaphysique du temps et de l'espace.

L'hypothèse de la divisibilité à l'infini a rempli de sophismes célèbres l'histoire de la philosophie. Si l'étendue est divisible à l'infini, toutes les dimensions sont égales, dit-on, car elles ont toutes le même nombre de parties; ou plutôt les parties contenues dans une grande étendue, et les parties contenues dans une petite étendue, sont également incommensurables.

Si l'on inscrit un carré dans un cercle, il n'y a aucune raison de soutenir que le cercle contient plus de parties que le carré.

Les parties de l'étendue divisible étant elles-mêmes

divisibles à l'infini, on ne peut dire de quoi se compose une étendue. Il n'y a que l'indivisible qui puisse servir à composer une grandeur.

Se jette-t-on, pour échapper à la difficulté, dans l'hypothèse des indivisibles? On n'y gagne rien. En effet, qu'est-ce qu'une unité indivisible? Qu'on l'appelle comme on voudra, l'unité, la monade, l'atome, le point, on n'en peut pas dire autre chose sinon qu'elle est indivisible et qu'elle engendre l'étendue, c'est-à-dire le divisible. C'est là sa définition, et cette définition contient une absurdité manifeste, si l'étendue est quelque chose de réel.

Mais, si l'étendue n'est qu'un rapport, la difficulté disparaît; car il faut deux termes pour qu'un rapport existe, deux points pour qu'il y ait une étendue ; et il n'en résulte pas que l'étendue se compose de ces deux points, ni que le rapport se compose de ces deux termes.

Il n'y a donc pas lieu de se préoccuper de tous les arguments de l'école, le Chauve, la Tortue, et des autres sophismes de cette espèce, qui étaient déjà connus du temps de Gorgias, et que Bayle a pris la peine de reproduire1.

Tous ces raisonnements, qui engendrent tant de difficultés, ne sont pas seulement bâtis sur la pointe

1. « Il est fâcheux, dit Pascal, de s'arrêter à ces bagatelles; mais il y a des temps de niaiser. » De l'esprit géométrique, édit. Havet, p. 455.

d'une aiguille; ils sont bâtis sur le néant. Ce fameux dilemme : Si la monade, ou le point, est étendue, il y a de l'étendue indivisible; si le point n'est pas étendue, deux points non étendus forment une étendue; ce fameux dilemme ne peut évidemment embarrasser que ceux qui prennent l'étendue pour quelque chose. Mais, pour qui raisonne sur l'être et non sur le vide, il n'y a pas plus de difficulté à comprendre cela, qu'il n'y en a à comprendre que deux ne soit pas un, et qu'un ne soit pas deux, ou à comprendre qu'un rapport résulte de deux termes.

Il est très-vrai que nous ne connaissons point la monade dans la nature des choses. Nous la concevons d'une façon abstraite, et nous ne pouvons ni l'apercevoir, ni même nous la figurer. Nous ne pouvons nous la figurer, parce que toute figure est une étendue; et nous ne pouvons la percevoir, parce que nos sens sont des étendues dont la nature est de percevoir seulement des étendues. Pourquoi ne percevons-nous que des étendues? C'est-à-dire, pourquoi sommes-nous ainsi faits? Voilà ce que nous ne savons pas. Ces sortes de secrets nous sont impénétrables. Remarquons seulement que c'est l'étendue, et non la monade, qui est difficile à comprendre. Mais enfin, comprise ou non, l'étendue existe; nous la constatons, nous la mesurons, et cela suffit, pourvu qu'après l'avoir abstraite du corps par la pensée, nous ne l'érigions pas arbitrairement en réalité physique.

Comme on fait des difficultés à perte de vue sur

la divisibilité à l'infini, on en fait sans plus de raison sur la multiplication à l'infini, et voici comment: l'Europe, dit-on, est plus grande que la France, le globe terrestre plus grand que l'Europe, et tout cela n'est qu'un atome dans l'univers; mais quelle est la grandeur de l'univers? S'il est limité, mille difficultés se présentent : pourquoi n'est-il pas plus grand? qu'y a-t-il en dehors de lui? etc. Et s'il n'est pas limité, il est infini alors l'infinitude est composée de la totalité des êtres finis, ce qui engendre des difficultés non moins inextricables.

Voici comment nous croyons qu'on peut répondre : Il n'y a rien en dehors du tout, par l'excellente raison que quelque chose en dehors du tout est une contradiction dans les termes. Si l'on est porté à faire cette question absurde, c'est par suite de l'habitude contractée de parler du vide comme s'il était. Or il n'est point; car l'espace n'est qu'un rapport et n'est pas un être. En outre, le tout ne pouvait pas être plus grand; et il ne pouvait pas non plus être plus petit; et cela, parce qu'il n'est ni grand ni petit. En effet, puisqu'il est le tout, il est seul de son espèce, et ne peut être comparé à rien. L'espace n'étant qu'un rapport, le tout n'a que faire avec l'espace. L'espace est en lui, mais lui n'est pas dans l'espace. On peut, si l'on veut, dire du tout, qu'il est grand, parce qu'il contient toutes les grandeurs ; mais c'est mal parler. Notre langue n'est pas faite pour ce qui est solitaire; elle procède toujours par

rapprochements, par classes. Ce qui est solitaire ne se classe pas, et peut à peine se nommer.

Faisons, pour nous en convaincre de plus en plus, quelques hypothèses. Une coquille de noix est plus petite que le monde, puisque le monde la contient. Supposons que Dieu, par un acte de sa volonté, anéantisse le monde, à l'exception d'une coquille de noix; et que, par un second acte de sa volonté, il crée de nouveau le monde, avec tous ses soleils, dans l'intérieur de cette coquille, en mettant partout les mêmes rapports que dans le monde détruit le nouveau monde sera-t-il plus petit que l'ancien? Oui, pour quiconque connaît la coquille de noix, parce qu'il a un terme de comparaison; mais, pour quiconque ne la connaît pas, les deux mondes ont des dimensions

égales'.

Quand on demande si le monde est infini, on abuse évidemment de ce mot d'infinitude. Infini veut dire parfait, et non pas immense. Demande-t-on si le monde est parfait? Outre que la question est absurde, elle n'a aucun rapport avec les dimensions du monde et avec l'espace. Demande-t-on si le monde est incommensurable? Oui, certes, il est incommensurable, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui avec quoi on puisse le comparer.

Cette affaire des mesures est encore une de nos il

1. Cf. Malebranche, Entretiens sur la métaphysique, neuvième entretien, $7.

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