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Ces indifférents ne sont pas le grand nombre; la plupart des hommes croient fermement à l'existence de Dieu. Trop souvent leur foi n'est ni agissante ni réfléchie; ils ne se rendent pas compte de leur croyance, ils ne sauraient pas, au besoin, la justifier, et dans la pratique de la vie, ils agissent comme s'ils ne croyaient pas; mais ils se retrouvent, pour ainsi dire, eux-mêmes dans les circonstances solennelles. On les voit prier sur un tombeau, sur un berceau. Quoiqu'ils n'habitent pas, comme les philosophes, le monde invisible, ils savent que ce monde les attend, et qu'il est leur véritable patrie. Le nom de Dieu vient naturellement sur leurs lèvres dans leurs besoins, dans leurs peines. Ils sentent confusément que Dieu est le principe de toute morale et de toute science, et qu'abandonner cette vérité première, c'est se jeter dans le scepticisme et livrer son âme au néant.

En cherchant les causes qui font dominer cette croyance salutaire, on pourra compter sans doute l'influence de la religion, de l'éducation, de la philosophie; mais il faut reconnaître en même temps qu'il y a dans l'esprit et dans le cœur de l'homme un instinct secret et comme une force naturelle qui l'entraînent vers Dieu. Le spectacle du monde nous instruit; les douleurs de la vie, en nous montrant notre faiblesse, nous contraignent à chercher un consolateur; et la joie elle-même, dans une âme noble, fait naître un sentiment de reconnaissance et de piété. Plus l'on vit, plus l'on se pénètre de l'im

possibilité d'admettre le néant et de la nécessité de croire qu'il y a un Dieu au-dessus de nous.

Fortifiée à notre insu par tous les événements qui ont laissé leur trace dans notre âme, la croyance à l'existence de Dieu finit par faire en quelque sorte partie de nous-mêmes. Nous la sentons tellement nécessaire et tellement irrésistible, que, sans réfléchir, sans comprendre, nous nous reposons sur elle avec confiance et sécurité, comme on s'appuie sur l'amour et la protection d'un père.

Il est consolant de penser que cette conviction et cette confiance se rencontrent, avec la même force, dans toutes les classes de la société; que tous les peuples, divisés sur tout le reste, sont d'accord sur ce point; que la foi religieuse est antérieure à la civilisation, et qu'elle en est très-certainement la première institutrice; que les voyageurs ne découvrent pas une nouvelle peuplade sans y reconnaître au moins les éléments d'un culte grossier, et que l'histoire, aussi loin qu'elle remonte, voit partout Dieu associé aux premières pensées et aux premiers sentiments de l'homme. La foi bienfaisante que nous trouvons au dedans de nous, et que l'usage de la vie-ne fait que développer et accroître, rencontre de tous côtés au dehors une foi analogue. Cette communauté de croyance et de sentiment fait de l'humanité une seule famille.

Ainsi, quand on s'efforce de démontrer l'existence de Dieu, c'est moins pour triompher du doute, puisque la Providence a voulu que le doute fût une

exception, que pour transformer en dogme philosophique une croyance irréfléchie et spontanée. Certaines âmes éprouvent le besoin de raisonner leurs croyances, de les contrôler, d'en approfondir en quelque sorte la teneur, d'en développer toutes les conséquences, de les dégager de ce qui peut rester en elles d'obscur, d'incertain, de paradoxal; et sur ce besoin légitime, impérieux, repose la philosophie.

Depuis Platon, qui a démontré l'existence de Dieu dans le Timée et dans les Lois', et Aristote, qui l'a démontrée dans le XII livre de la Métaphysique, les écoles se sont transmis l'une à l'autre un certain nombre d'arguments en forme, que l'on a successivement améliorés, et qui, renouvelés, pour ainsi dire, par Descartes et Leibnitz, sont encore aujourd'hui le fond de l'enseignement. Nous passerons en revue les plus célèbres, quoiqu'ils aient surtout, à nos yeux, une importance historique, et que nous cherchions ailleurs la démonstration philosophique de l'existence de Dieu. Ce n'est pas, tant s'en faut, que nous méconnaissions la force des arguments de Descartes et de Leibnitz; mais ces arguments si vite parcourus, pour arriver à une conclusion de cet

1. « Comment peut-on sans indignation se voir réduit à prouver l'existence des dieux? On ne saurait s'empêcher de voir avec colère, de haïr même ceux qui ont été et sont encore aujourd'hui la cause qui nous y force. » Platon, Lois, liv. X (trad. de M. Cousin, t. VIII, p. 218).

ordre, ont quelque chose de peu rassurant. On a beau en reconnaître la solidité, l'esprit se sent intimidé et arrêté par la grandeur du résultat. Il lui faut un chemin plus long, plus de temps pour rassembler ses forces et pour s'accoutumer aux splendeurs de la majesté divine. Nous croyons, par un invincible instinct, à l'existence de Dieu; mais, pour établir scientifiquement notre croyance, ce n'est pas trop de la science humaine tout entière'.

Lorsque Descartes entreprit de faire une démonstration en règle de l'existence de Dieu, il y était forcé par la situation où il s'était mis volontairement. Afin de chasser de son esprit tous les préjugés contradictoires que l'éducation y avait fait entrer, et de ne plus admettre aucune opinion dont il ne connût exactement l'origine et la valeur, il avait fait table rase dans sa pensée, et renoncé à toutes ses croyances sans exception. Ce scepticisme, qui n'avait pas pour but de cesser de croire, mais de commencer à croire avec plus de raison et d'autorité, est ce que l'on a appelé le doute méthodique. Descartes en sortit par cette remarque, qu'il pouvait douter de

1. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu'elles frappent peu, et quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration; mais une heure après, ils craignent de s'être trompés. » Pascal, Pensées, art. 10; édit. Havet, p. 156.

tout, hormis de son doute, et par conséquent de sa pensée et de son être. Saint Augustin, avant lui, avait dit précisément la même chose : « Je suis sûr de mon existence, dit-il dans la Cité de Dieu; et en cela, je ne crains pas qu'on m'accuse de me tromper, car, même pour se tromper, il faut être1. » Une fois en possession de sa propre existence, Descartes se demande ce qu'il est, et il répond qu'il est un être pensant. Cette réflexion le conduit à examiner les différentes idées auxquelles il pense, et la première qui l'arrête, c'est l'idée d'un être parfait. Qu'est-ce que cette idée? Est-elle une pure chimère? ou se rapporte-t-elle à quelque objet réellement existant? C'est ainsi que Descartes se trouve amené, dès le début de sa philosophie, à démontrer l'existence de Dieu.

J'ai l'idée d'un être parfait, dit-il' : or, je ne suis pas moi-même un être parfait, car je doute. J'ai bien encore d'autres idées, par exemple, le ciel, la terre, les animaux; mais pour celles-là, je puis les avoir formées moi-même, car il n'y a rien en elles que je

1. « Prius abs te quæro utrum tu ipse sis: an tu fortasse metuis «ne in hac interrogatione fallaris, cum utique si non esses, falli om<< nino non posses? Mihi esse me, idque nosse et amare, certissi<< mum est. Nulla in his vero academicorum argumentorum formido, « dicentium Quid si falleris? Si enim fallor, sum; nam qui non est, << utique nec falli potest; ac per hoc, sum, si fallor. Lib. Il De libero arbitrio, cap. 1, et lib. Il de Civ. Dei, cap. xxvI.

2. Discours de la Méthode, IVe partie. - Troisième Méditation. Principes de la philosophie, Ire partie, § 17 et 18.

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