Immagini della pagina
PDF
ePub

l'exagération de nos idées des êtres finis; mais qu'elle résulte nécessairement de la conception d'un être infini, ayant en lui l'indivisible plénitude de la perfection.

En reprenant après Leibnitz cette discussion, on a voulu prouver que certaines idées et certains principes que possède notre esprit ne peuvent venir de l'expérience, et, pour faire cette démonstration, on a soutenu que ces idées ont une valeur absolue, indépendante de l'esprit qui les conçoit et des faits qui les subissent.

On a notamment appliqué cette méthode à la discussion des idées de temps et d'espace; et c'est ici qu'on a abandonné la trace de Leibnitz et oublié sa longue et victorieuse argumentation contre Clarke. Non-seulement, a-t-on dit, nous avons l'idée de temps et d'espace; mais nous avons nécessairement l'idée que tout ce qui existe est dans le temps et dans l'espace, et nous avons, par conséquent, l'idée d'un espace infini et l'idée d'un temps éternel.

Il faut avouer que ces propositions, si elles étaient établies, ne laisseraient rien subsister de la doctrine sensualiste. Elles contiennent trois points: une certaine opinion sur l'origine de l'idée d'espace limité et de temps limité, opinion peu importante dans le débat, et que nous laissons en dehors; l'affirmation de l'existence nécessaire dans notre esprit d'un principe qui nous force à localiser chaque étendue dans l'espace et chaque mouvement dans le temps, principe

qui, ne pouvant venir de l'expérience, aurait nécessairement la raison pour origine; enfin l'affirmation de la présence dans notre esprit des deux idées de temps et d'espace infinis, idées positives, nécessaires, absolues, et par conséquent rationnelles et non empiriques.

Est-il vrai qu'il y ait dans notre esprit un principe qui nous force à supposer toujours que toute grandeur et toute durée est nécessairement contenue dans une grandeur ou une durée plus grande?

Cela paraît évident; on peut s'en assurer par l'expérience la plus simple. Que l'on imagine quelque grandeur que ce soit, on se sentira toujours contraint de concevoir que cette grandeur est contenue1. Cette contrainte n'a pas pour cause, comme les sensualistes le supposent, une généralisation. Ce n'est pas à force d'avoir constaté que les grandeurs que nous apercevions étaient contenues que nous avons fini par exprimer ce fait en formule générale. L'affirmation de la nécessité d'un contenant pour toute grandeur conçue est spontanée, immédiate, antérieure à l'expérience. Les rationalistes ont démontré cela contre Locke, et jusqu'ici ils sont dans le vrai.

1. « Quelque grand que soit un espace, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui le soit davantage, et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse être augmenté. Il en est de même du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand, sans dernier. » Pascal, de l'Esprit géométrique, édit, Havet, p. 451.

Ils n'avaient nul besoin d'aller plus loin. Cette démonstration suffisait à la réfutation de leurs adversaires; mais, après avoir renversé, ils ont eu l'ambition de construire, et c'est là qu'ils se sont fourvoyés.

De ce qu'une grandeur, quelle qu'elle soit, nous paraît toujours contenue, ils ont conclu l'existence d'un espace infini; et de ce qu'une durée, quelque longue qu'on puisse la feindre, nous paraît toujours précédée et suivie d'une autre durée, ils ont conclu l'existence du temps infini ou éternel.

Or, s'il est vrai, comme Leibnitz l'a démontré et comme nous avons essayé après lui de le faire voir, que le temps et l'espace ne sont pas autre chose que le rapport de succession ou de coexistence qui existe entre les choses, que peuvent signifier ces expressions de temps et d'espace infinis? On peut supposer l'infinité d'un être; mais qu'est-ce que l'infinité d'un rapport?

Sans aller plus avant, un rapport infini est évidemment un assemblage de mots incohérents. Cela ne porte aucun sens à l'esprit; mais à toute rigueur, si l'on veut que ce rapport infini soit quelque chose, encore faut-il que les êtres qu'il sert à classer et à mesurer soient eux-mêmes infinis ou en nombre infini; car un rapport suppose deux termes mis en rapport. De sorte que la chimère de l'infinité du temps et de l'espace suppose nécessairement l'infinité du monde dans le sens de la durée et dans le sens de l'étendue.

L'infinité du monde dans la durée et dans l'étendue est une doctrine soutenue par quiconque refuse d'admettre l'existence d'un Dieu distinct et séparé du monde. Cette doctrine nous paraît contradictoire, à nous qui ne sommes pas panthéistes; mais enfin, au premier abord, elle offre quelque chose d'accessible à l'esprit; elle présente l'image d'une réalité sans limite, tandis que l'infinité du temps et de l'espace n'est qu'une qualification du néant.

Nous pouvons, si l'on veut, prêter à l'espace et au temps une réalité qu'ils n'ont pas; nos adversaires n'y gagneront rien. Que l'espace ne soit, comme nous le croyons, qu'un rapport de coordination des êtres, ou qu'il ait, comme paraissent le croire nos adversaires, quelque réalité individuelle, il est clair que l'esprit ne peut le concevoir sans le concevoir divisible. Tout ce qui est étendu est divisible, et cette nécessité s'applique également au plein et au vide. Qu'est-ce qu'une étendue indivisible ou un espace indivisible? Du moment qu'une étendue cesse d'être divisible, elle cesse d'être une étendue; elle devient le point ou l'atome. C'est un axiome de géométrie et une vérité d'évidence. Disons donc que l'espace, quel qu'il soit d'ailleurs, a nécessairement et inévitablement pour caractère d'être divisible.

Maintenant, qu'est-ce qu'être infini? Nous avons vu que c'est posséder actuellement la plénitude de l'être. Nous n'imposons pas cette définition à ceux contre lesquels nous discutons en ce moment; elle

est commune à eux et à nous; nous l'avons apprise à leur école, et à l'école de tous les rationalistes. Si l'infinitude n'est pas cela, ils ont tort contre Locke, et toute leur doctrine s'écroule. Ils ne peuvent donc contester cette définition; et qu'implique-t-elle? Elle implique l'indivisibilité de l'infini, comme la doctrine de Locke en implique la divisibilité. L'infini de Locke est un nombre infini d'unités ajoutées l'une à l'autre ; et c'est pourquoi il pense que le monde peut être infini l'infini des rationalistes est une seule unité à laquelle rien ne peut être ajouté ni retranché. Ainsi, ce qui est infini est nécessairement indivisible.

Si, d'un côté, ce qui est espace est nécessairement divisible, et que, de l'autre, ce qui est infini soit nécessairement indivisible, en prononçant ces mots d'espace infini, on dit quelque chose d'aussi sensé si l'on faisait des raisonnements à perte de vue sur le divisible indivisible.

que

Rien de plus facile que de répéter ce même raisonnement pour le temps. Donc il n'y a pas de temps et d'espace infinis, en premier lieu parce que le temps et l'espace ne sont que des rapports, et ensuite, parce que la divisibilité est inhérente au temps et à l'espace, et l'indivisibilité inhérente à l'infinitude.

Mais par quel aveuglement une école rationaliste peut-elle mettre ses adversaires dans l'obligation de faire contre elle une pareille démonstration? Comment des rationalistes prononcent-ils légèrement ce grand mot d'infinitude? Est-ce que l'infinitude peut

« IndietroContinua »