Immagini della pagina
PDF
ePub

PERPETUELLE.

Par le docteur Goodheart. Traduction de M.Chambon.

I.

LA feule paix perpétuelle qui puiffe être établie

chez les hommes eft la tolérance: la paix imaginée par un français, nommé l'abbé de Saint-Pierre, eft. une chimère qui ne fubfiftera pas plus entre les princes qu'entre les éléphans et les rhinocéros, entre les loups et les chiens. Les animaux carnaffiers se déchireront toujours à la première occasion. (1)

(1) Le projet d'une paix perpétuelle eft abfurde, non en lui-même, mais de la manière qu'il a été propofé. Il n'y aura plus de guerre d'ambition ou d'humeur, lorfque tous les hommes fauront qu'il n'y a rien à gagner, dans les guerres les plus heureuses, que pour un petit nombre de généraux ou de miniftres; parce qu'alors tout homme qui entreprendrait la guerre par ambition ou par humeur, ferait regardé comme l'ennemi de toutes les nations, et qu'au lieu de fomenter des troubles chez les voifins, chaque peuple emploierait fes forces pour les apaiser: lorfque tous les peuples feront convaincus que l'intérêt de chacun est que le commerce foit abfolument libre, il n'y aura plus de guerre de commerce; lorfque tous les hommes conviendront que fi l'héritage d'un prince est contefté, c'est aux habitans de ses Etats à juger le procès entre les compétiteurs, il n'y aura plus de guerre pour des fucceffions ou d'antiques prétentions. Alors les guerres devenant extrêmement rares, les auteurs des guerres etant fouvent punis, on pourrait dire: les hommes jouiffent d'une paix perpétuelle, comme on dit qu'ils jouiffent de la fureté dans les Etats policés, quoiqu'il s'y commette quelquefois des affaffinats. L'établissement d'une diète européanne pourrait être très-utile pour juger différentes conteftations fur la reftitution des criminels, fur les lois du commerce fur les principes d'après lefquels doivent être décidés certains

I I.

Si on n'a pu bannir du monde le monftre de la guerre, on eft parvenu à le rendre moins barbare : nous ne voyons plus aujourd'hui les Turcs faire écorcher un Bragadini, gouverneur de Famagoufte, pour avoir bien défendu fa place contre eux. Si on fait un prince prifonnier, on ne le charge point de fers, on ne le plonge point dans un cachot, comme Philippe, furnommé Augufle, en ufa avec Ferrand, comte de Flandre, et comme un Léopold d'Autriche traita plus lâchement encore notre grand Richard cœur de lion. Les fupplices de Conradin, légitime roi de Naples, et de fon coufin, ordonnés par un tyran vaffal, autorisés par un prêtre fouverain, ne fe renouvellent plus: il n'y a plus de Louis XI, furnommé très chrétien ou Phalaris, qui faffe bâtir des oubliettes, qui érige un taurobole dans les halles, et qui arrofe de jeunes princes fouverains (a) du fang de leur père nous ne voyons plus les horreurs de la rofe rouge et de la rofe blanche, ni les têtes couronnées tomber dans notre île fous la hache des bourreaux; l'humanité femble fuccéder enfin à la férocité des princes chrétiens; ils n'ont plus la coutume de faire affaffiner des ambaffadeurs qu'ils foupçonnent ourdir

[ocr errors]

procès où l'on invoque les lois de différentes nations. Les fouverains con viendraient d'un code d'après lequel ces conteftations feraient décidées, et s'engageraient à fe foumettre à fes décisions, ou à en appeler à leur épée; condition néceffaire pour qu'un tel tribunal puiffe s'établir, puiffe être durable et utile. On peut perfuader à un prince qui dispose de 200000 hommes, qu'il n'eft pas de fon intérêt de défendre fes droits ou fes prétentions par la force; mais il est abfurde de lui propofer d'y renoncer. (a) C'étaient les enfans du comte d'Armagnac

quelques trames contre leurs intérêts, ainfi que CharlesQuint fit tuer les deux miniftres de François 1, Rinçon et Frégofe perfonne ne fait plus la guerre comme ce fameux bâtard du pape Alexandre VI, qui fe fervit du poison, du ftilet, et de la main des bourreaux plus que de fon épée : les lettres ont enfin adouci les mœurs. Il y a bien moins de cannibales dans la chrétienté qu'autrefois; c'eft toujours une confolation dans l'horrible fléau de la guerre, qui ne laiffe jamais l'Europe refpirer vingt ans en repos.

I I I.

Si la guerre même eft devenue moins barbare, le gouvernement de chaque Etat femble devenir auffi moins inhumain et plus fage. Les bons écrits faits depuis quelques années ont percé dans toute l'Europe, malgré les fatellites du fanatifme qui gardaient tous les paffages. La raifon et la pitié ont pénétré jufqu'aux portes de l'inquifition. Les actes d'antrhopophages, qu'on appelait actes de foi, ne célèbrent plus fi fouvent le Dieu de miféricorde à la lumière des bûchers, et parmi les flots de fang répandus par les bourreaux. On commmence à se repentir en Espagne d'avoir chaffé les Maures qui cultivaient la terre; et s'il était queftion de révoquer aujourd'hui l'édit de Nantes, perfonne n'oferait proposer une injustice si funeste.

I V.

Si le monde n'était compofé que d'une horde fauvage vivant de rapines, un fripon ambitieux ferait excufable peut-être de tromper cette horde pour la civilifer, et d'emprunter le fecours des prêtres. Mais

qu'arriverait-il? bientôt les prêtres fubjugueraient cet ambitieux lui-même; et il y aurait entre fa poftérité et eux une haine éternelle, tantôt cachée, tantôt ouverte cette manière de civilifer une nation ferait en peu de temps pire que la vie fauvage. Quel homme en effet n'aimerait pas mieux aller à la chaffe avec les Hottentots et les Caffres, que de vivre fous des papes tels que Sergius, Jean X, Jean XI, Jean XII, Sixte IV, Alexandre VI, et tant d'autres monftres de cette espèce? Quelle nation fauvage s'eft jamais fouillée du fang de cent mille manichéens, comme l'impératrice Théodore? quels iroquois, quels algonquins ont à fe reprocher des maffacres religieux tels que la Saint-Barthelemi, la guerre fainte d'Irlande, les meurtres faints de la croifade de Montfort, et cent abominations pareilles, qui ont fait de l'Europe chrétienne un vafte échafaud couvert de prêtres, de bourreaux et de patiens? L'intolérance chrétienne a feule caufé ces horribles défaftres; il faut donc que la tolérance les répare.

V.

Pourquoi le monftre de l'intolérantisme habita-t-il dans la fange des cavernes habitées par les premiers chrétiens? pourquoi de ces cloaques, où il fe nourriffait, paffa-t-il dans les écoles d'Alexandrie, où ces demi-chrétiens, demi-juifs enfeignèrent? pourquoi s'établit-il bientôt dans les chaires épifcopales, et fiégea-t-il enfin fur le trône à côté des rois qui furent obligés de lui faire place, et qui fouvent furent précipités par lui du haut de leur trône? Avant que ce monftre naquît, jamais il n'y avait eu de

guerres religieufes fur la terre, jamais aucune querelle fur le culte. Rien n'eft plus vrai; et les plus déterminés impofteurs qui écrivent encore aujourd'hui contre la tolérance, n'oferaient contrarier cette vérité.

V I.

Les Egyptiens femblent être les premiers qui ont donné l'idée de l'intolérance; tout étranger était impur chez eux, à moins qu'il ne fe fît affocier à leurs mystères: on était fouillé en mangeant dans un plat dont il s'était fervi, fouillé en le touchant, fouillé même quelquefois en lui parlant. Ce miférable peuple, fameux feulement pour avoir employé fes bras à bâtir les pyramides, les palais et les temples de fes tyrans, toujours fubjugué par tous ceux qui vinrent l'attaquer, a payé bien cher fon intolérantilme, et eft devenu le plus méprifé de tous les peuples, après les Juifs.

VII.

Les Hébreux, voifins des Egyptiens, et qui prirent une grande partie de leur rites, imitèrent leur intolérance, et la furpafsèrent; cependant il n'est point dit dans leurs hiftoires, que jamais le petit pays de Samarie ait fait la guerre au petit pays de Jérufalem uniquement par principe de religion. Les Hébreux juifs ne dirent point aux Samaritains: Venez facrifier fur la montagne Moriah, ou je vous tue; les Juifs famaritains ne dirent point: Venez facrifier à Garifim, ou je vous extermine. Ces deux peuples fe déteftaient comme voifins, comme hérétiques, comme gouvernés par des petits roitelets dont les intérêts

« IndietroContinua »