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plus de cent endroits, et, comme nous n'y avons trouvé que des poteries faites au tour, lisses et cannelées du IIIe siècle, d'autres aux formes plus gracieuses et aux couleurs plus vives que l'archéologie fait remonter aux ive et ve siècles, et pas un tesson plus ancien que le vie siècle avant Jésus-Christ, il est parfaitement sûr que les murs cyclopéens (sic) de cette forteresse ne peuvent pas dépasser cet âge. » Et l'auteur met ces faits en opposition avec le caractère si archaïque des débris trouvés dans ses fouilles de Hissarlik.

Mais pourquoi ce bourg fortifié des temps helléniques est-il identifié par lui à Gergis plutôt qu'à une autre localité de la Troade? Il en indique comme preuve une inscription fort longue découverte par lui dans le temple de la Minerve Ilienne, et publiée aux pages 198-206 de ses Antiquités troyennes. N'ayant pas sous la main cet ouvrage, j'ai prié M. Graux de vouloir bien le consulter pour moi à Paris, et voici ce que je conclus des extraits qu'il m'a adressés.

En fait, ces indications sont un peu moins explicites que ne le font entendre les lignes que je viens de rappeler. Les fouilles de M. von Hahn signalent bien, au lieu désigné, un certain nombre de monnaies des cités voisines (Sigée, Mitylène, Alexandria-Troas, Abydos, Ilium) comme trouvées au BaliDagh, mais aucune ne porte le nom de Gergis. Seulement aueune monnaie romaine ou byzantine ne s'y trouve mêlée; aucune même ne paraît postérieure au Ie siècle avant JésusChrist; il est donc probable, selon l'auteur, que le site en question a cessé d'être habité vers cette époque. Or M. Schliemann rappelle, à la page 206 de son dernier ouvrage, que, selon Strabon, Gergis fut détruite par Attale Ir, roi de Pergame (241-197), qui en transporta les habitants vers les sources du Caïque. On ne peut nier que ce rapprochement ait quelque valeur, mais ce n'est pas une valeur décisive. J'en dirai à peine autant de l'argument tiré par l'auteur de l'épigraphie ilienne. Le texte topographique cité à la page 201 de son ouvrage1 nous apprend seulement que (le Satrape) Méléagre a transmis au Sénat et au peuple des Iliens une lettre d'un roi Antiochus, portant une concession de 2,000 plèthres de terres labourables, en faveur d'un certain Aristodikide d'Assos, concession qui doit être faite

'A la page précédente, il avait reconnu l'emplacement du temple de Minerve Ilienne à une inscription que son texte même dit avoir été placée dans le hiéron.

près d'Ilium ou de Skepsis, et dont Méléagre est chargé de choisir le terrain sur la limite des territoires de Gergis ou de Skepsis. L'auteur en conclut avec raison (p. 206) qu'il s'agit de l'ancienne Gergis, celle qui existait en Troade, et non de celle des sources du Caïque, puisque son territoire paraît avoir été resserré entre ceux d'Ilion et de Skepsis. Mais retrouver là la forteresse du Bali-Dagh plutôt qu'une position dans la chaîne de Tchiblack, comme celle où l'auteur avait placé Gergis en 1869, c'est une assertion un peu téméraire. La valeur n'en repose que sur l'argument numismatique dont nous venons de déterminer la portée.

Dans tous les cas, aucune grande ville n'a jamais pu exister sur le Bali-Dagh, puisque le plateau en est peu étendu ; nulle ville ancienne n'a jamais existé à Bounarbaschi, qui n'en conserve pas le moindre vestige. A Hissarlik, c'est différent : les décombres sont immenses et ont fourni à l'archéologie la plus riche moisson d'antiquités qu'un peuple inconnu lui ait laissée sur un terrain classique. Le mot peuple inconnu est dur; il est inexact peut-être; pourtant je n'ose affirmer qu'on doive en employer un autre. Les arguments invoqués pour l'identifier au peuple de Priam peuvent être plausibles; je ne puis encore me permettre de penser qu'ils soient décisifs. Les objets antiques, et très-antiques, trouvés là par centaines ou par milliers, ne sont assurément pas helléniques ; ils ne peuvent en aucune façon, à aucun titre se confondre avec les débris de l'Ilion gréco-romaine qui les recouvrent : nul n'en doutera s'il a seulement feuilleté un quart d'heure l'atlas de M. Schliemann. Mais à quelle race en appartient la fabrication? Non-seulement je ne suis pas compétent pour le dire, mais je ne crois pas qu'on ait hasardé d'indication à cet égard en dehors des affirmations de M. Schliemann lui-même. Il désigne ces antiquités comme formant la série intermédiaire des trois couches de décombres au-dessus desquelles fut bâtie l'Ilion hellénique, et par conséquent comme n'ayant été ni la plus ancienne cité formée en ce lieu, ni celle qui précéda immédiatement la ville fondée au temps de la monarchie lydienne. On pourrait cependant supposer que la ville du VIIIe siècle fut ruinée une première fois, par les Cimmériens par exemple, peu après sa fondation, et forme la couche intermédiaire entre les débris troyens et ceux de la ville grécoromaine? Mais, dans tous les cas, les restes que le célèbre voyageur considère comme étant des restes troyens sont ceux d'une grande cité, détruite apparemment par une catastrophe; la tra

dition n'en connaît, sur ce point, aucune autre que Troie, et le site que ces débris occupent est, nous l'avons vu plus haut, en accord avec la topographie de l'Iliade.

Une objection purement archéologique a cependant été faite contre cette identification. On a dit que ces antiquités ont le même caractère que des objets trouvés à Théra et reportés par la géologie jusqu'au xvIII ou xx siècle avant notre ère. Devant cet argument je n'hésite pas à dire que M. Schliemann, si aisément affirmatif dans bien des cas, me paraît avoir faibli trop aisément, quand il a consenti, pour maintenir ses conclusions, à reporter jusqu'à cette date les traditions homériques. Quand le grave Thucydide nous dit que l'invasion dorienne dans le Péloponèse eut lieu quatre-vingts ans seulement avant la guerre de Troie, et quand la chronologie des archontes Médontides nous permet de remonter sans lacune jusqu'au dernier contre-coup de cette invasion, quand il est d'ailleurs certain que les conquêtes des Doriens ont amené la grande émigration hellénique dans l'Asie-Mineure, et quand nul dissentiment ne s'est jamais élevé sur la chronologie approximative de l'Éolide, de l'Ionie et de la Doride, il est clair qu'il faut s'en tenir, pour la guerre de Troie, aux dates des marbres de Paros ou de la critique alexandrine les Grecs qui les formulaient au Ive et au IIIe siècle avant Jésus-Christ ne pouvaient pas se tromper de six siècles sur quinze.

Mais c'est une déplorable et inépuisable cause d'erreurs que de s'obstiner à confondre les époques en les identifiant à l'aide de monuments archéologiques appartenant à des contrées différentes ou à des peuples différents. Persister dans ce système, ce serait empêcher l'archéologie préhistorique de devenir jamais une science. On ne saurait trop le répéter: l'âge de pierre dure encore dans une partie du globe, et des instruments de cette nature ont été employés à des époques très-historiques par des peuples civilisés ; ils le sont aujourd'hui encore dans l'agriculture hellénique, comme M. Émile Burnouf l'a fait récemment savoir à l'Académie des inscriptions. Donc affirmer la date des antiquités de Hissarlik par la date plus ou moins démontrée d'antiquités de Théra est un procédé contre lequel la science doit protester énergiquement, qu'elle doit combattre sans paix ni trêve, jusqu'à ce qu'il ait disparu. Pour le cas actuel, il conduit à une erreur démontrée, très-grave par sa nature et très-considérable en étendue.

Reste la question de la situation militaire et de l'acropole. As

surément la Troie du Bali-Dagh en aurait une (ou plus exactement se trouverait concentrée dans une petite acropole), et, dit-on, la Troie de Hissarlik n'en aurait pas, ce qui serait en contradiction avec les témoignages d'Homère et même d'Hérodote, Xerxès ayant, selon celui-ci, offert un sacrifice sur la Pergame de Priam. M. Perrot fait de plus observer' que « la forte position du Bali-Dagh, couvert au sud et à l'est par la gorge étroite du Mendéré, convient bien mieux que toutes les autres positions indiquées à une cité des temps héroïques. » Mais, en parlant ainsi, le docte voyageur semble avoir oublié que la Troie homérique était bâtie dans une plaine 2. Sur le Bali-Dagh, sans doute, avait pu être la Troie primitive dont parle Homère au même lieu, mais non celle qu'assiégèrent les Atrides. Xerxès n'a point vu les débris découverts par M. Schliemann, car ils étaient déjà de son temps recouverts par une construction nouvelle et même ensevelis auparavant sous d'autres débris. Il est même vrai, comme on l'a dit, que la marche de l'armée perse, au livre cité d'Hérodote, convient indifféremment à un départ de Bounarbaschi et à un départ de Hissarlik : il est donc possible que le roi ait sacrifié sur le Bali-Dagh; mais cela ne prouve pas grand'chose quant à l'identité du site épique. Quand un roi de Perse voulait voir un emplacement curieux, il trouvait toujours quelqu'un pour le lui montrer. Pourtant on a très-bien pu aussi lui montrer un monticule quelconque se dressant sur la petite chaîne de Tchiblak.

Quant à la Pergame antique, on ne peut guère démontrer aujourd'hui qu'elle ne s'élevait pas sur une éminence de ce plateau, au-dessus de la ville d'Homère, puisque les vastes débris dėblayés par M. Schliemann sont à quatorze mètres au-dessous du sol actuel de ce petit plateau, qui en a lui-même une trentaine 3. Les épithètes homériques s'appliqueraient fort bien à une ville bâtie sur celui-ci, fût-il alors moins élevé qu'aujourd'hui ; et quand on a traduit par ville attaquable d'un seul côté les mots d'Homère:

on

ἔνθα μάλιστα

Αμβατός ἐστι πόλις, καὶ ἐπίδρομον ἔπλετο τείχος,

forcé le sens des termes : une situation sur le Tchiblak ou au pied du Tchiblak convient très-bien à cette désignation. Seul,

Annuaire, p. 67-8.

Voy. au paragraphe précédent. Cf. d'Eichthal, p. 21, et Vivien de Saint-Martin, Revue archéol., p. 156.

3 G. Perrot, Annuaire, p. 61.

le passage de l'Odyssée indiqué par M. d'Eichthal 1 s'applique beaucoup mieux au Bali-Dagh qu'à un point quelconque du Tchiblak; mais ce passage est de l'Odyssée, et, s'il n'est pas permis de contester l'unité puissante du génie qui, dans l'un et l'autre poème, a fondu les chants historiques des peuples grecs, il est beaucoup moins certain que tous les deux soient l'œuvre du même poète, que les récits relatifs aux Nooto fussent l'oeuvre de chanteurs connaissant bien la plaine de Troie, et que la tradition des aventures d'Ulysse ait été remaniée par un homme qui connaissait la Troade comme le chantre d'Achille. Ce ne serait pas, si je ne me trompe, la seule contradiction géographique qu'on eût signalée entre ces deux œuvres, et l'opinion d'une distinction entre leurs auteurs a été proposée dans l'antiquité elle-même. Je ne voudrais pas cependant faire dépendre la question proposée de cette autre et bien délicate question. Admettons, si l'on veut, la tradition commune de l'antiquité sur l'identité d'auteur entre les deux poèmes, et bornons-nous à reconnaître que, pour décrire les courses du héros dans les mers d'Afrique et de Sicile, Homère n'avait pas senti le besoin impérieux de se faire une idée exacte de la topographie troyenne; les chants traditionnels qui en avaient pu recevoir l'empreinte fidèle furent les éléments de l'Iliade, mais nullement ceux des tableaux de la cour d'Alcinous.

Terminons ici cette dissertation, que de récentes et savantes contradictions ne me permettaient pas d'omettre, dès que j'abordais le terrain de la géographie homérique. Je ne me flatte pas assurément d'avoir mis fin à toute controverse; je ne prétends pas même apporter ici une affirmation absolue. Il me paraît tout à fait inadmissible qu'Homère ait eu en vue le petit plateau du Bali-Dagh; je suis moins certain qu'il ait voulu représenter le point du plateau de Tchiblak reconnu par les anciens et par M. Schliemann comme correspondant à l'emplacement de Troie ; peut-être la grande découverte se rapporte-t-elle à une civilisation encore plus antique que le royaume de Priam et laisset-elle place à de plus hardies investigations historiques; pourtant cela est invraisemblable, puisqu'enfin les résultats des fouilles et ceux de la topographie nous conduisent au même lieu, puisque les conclusions des deux paragraphes sont à la fois indépendantes et identiques. Mais surtout il me semble que j'ai com

Annuaire, p. 21-2 (Od., VIII, 505-10, et non 454, comme le porte l'imprimé).

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