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gnorance et l'envie; mais nous, qui ne cherchons que l'instruction, rassemblons, s'il est possible, tous les rayons de leur gloire pour en former le jour de la vérité, et faisons de tant de clartés réunies un foyer de lumière qui repousse les ténèbres dont la barbarie menace de nous envelopper.

tiers, au milieu de vos hommages, leurs monuments, que l'on voudrait mutiler. Nous sommes tous également leurs admirateurs et leurs disciples. Ce n'est point ma faible voix qui fera leur éloge; c'est votre admiration qui marquera leurs beautés ; et je croirai avoir atteint le but le plus désirable pour moi, si mes pensées ne vous paraissent autre chose que vos propres souvenirs. Peut-être aussi pourrai-je me flatter de n'avoir pas été tout à fait inutile, si le peu de moments que vous passerez ici vous porte à en consacrer quelques autres à l'étude de ces écrivains classi

pour être sentis dans un âge plus mûr, mais trop souvent négligés dans les distractions d'une vie dissipée. L'on ne s'instruit bien que par ses propres réflexions: c'est l'habitude, le choix de la lecture, qui entretient le goût du beau et l'amour du vrai; et, pour finir par un précepte du grand homme* qui a mis si souvent des vérités utiles dans des vers charmants,

En vous invitant à ce lycée, on a voulu y réunir tous les genres d'instruction et d'amusement. En est-il un plus noble, plus intéressant que celui qu'on vous y propose? C'est de vivre et de converser avec les grands hommes de tous les âges, depuis Homère jusqu'à Voltaire, et depuis Archimède jusqu'à Buf-ques, mal connus dans la première jeunesse, faits fon. Ce ne sera donc pas en vain que notre nation se glorifiera d'avoir mieux connu que les autres les avantages de la sociabilité, et tous les plaisirs des âmes honnêtes et des esprits cultivés. Il existera chez clle un lieu d'assemblée où les amateurs se réuniront pour étudier les chefs-d'œuvre de l'esprit humain, et dont heureusement ne sera point exclu ce sexe qui, par sa seule présence, avertit de donner à l'instruction des formes plus douces et plus attirantes, commande à tout ce qui a reçu quelque éducation la décence et la réserve si nécessaires dans les assemblées littéraires, et, par un tact sûr et une sensibilité prompte, répand sur toutes les impressions qu'il partage plus de charme et plus d'effet. Ici paraîtront ces auteurs immortels que le temps a consacrés, non plus comme dans les écoles, hérissés de tout l'appareil du pédantisme; non plus comme sur nos théâtres, entourés d'illusions et de prestiges, mais avec la grandeur qui leur est propre, et la simple majesté de leur génie. Ici leurs noms ne seront prononcés qu'avec les témoignages d'une vénération que n'affaiblira point l'aveu de quelques fautes mêlées à tant de beautés. C'est auprès de vous que viendra se réfugier leur gloire outragée, et que reposeront en

S'occuper, c'est savoir jouir;
L'oisiveté pèse et tourmente :
L'âme est un feu qu'il faut nourrir,
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.

N. B. On a justifié ici la philosophie des reproches qui ne doivent en effet tomber que sur l'abus qu'on en a fait;

et c'est cet abus qui a si malheureusement influé sur les

lettres comme sur la morale, sur le goût comme sur les moeurs. On ne peut trop se garantir de cette erreur commune, de confondre l'abus avec la chose; et ce qui prouve que c'est seulement l'abus qu'il faut accuser, c'est que l'examen fera voir que ce ne sont point les véritables philosophes qui ont corrompu le goût, comme tout le reste, mais des hommes qui usurpaient ce titre et le déshonoraient : c'est ce qui sera développé dans la partie de cet ouvrage où je traiterai de la philosophie du dix-huitième siècle.

* Voltaire.

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Il ne fallait rien moins que tout le pédantisme et tout le fanatisme des siècles qui ont précédé la renaissance des lettres, pour exposer à une sorte de ridicule un nom tel que celui d'Aristote. On l'a presque rendu responsable de l'extravagance de ses enthousiastes. Mais celui qui disait, en parlant de son maître, Je suis ami de Platon, mais encore plus de la vérité, n'avait pas enseigné aux hommes à préférer l'autorité à l'évidence; et celui qui leur avait appris le premier à soumettre toutes leurs idées aux formes du raisonnement n'aurait pas avoué pour disciples des hommes qui croyaient répondre à tout par ce seul mot: Le maitre l'a dit. Sa dialectique, étant devenue le fondement de la théologie, rendit sa doctrine pour ainsi dire sacrée, en la liant à celle de l'Église de là ces arrêts des tribunaux, qui, jusque dans le siècle dernier, défendaient d'enseigner dans les écoles une autre philosophie que la sienne. Le sage paisible qui conversait dans le lycée d'Athènes sur les éléments de la logique ne pouvait pas prévoir qu'un jour la rage de l'argumentation, se joignant à la frénésie de l'esprit de secte, produirait des meurtres et des crimes, et qu'on s'égorgerait au nom d'Aristote. Mais ce nom, quoiqu'on en ait fait un si funeste abus, n'en est pas moins respectable. Aujourd'hui même que les progrès de la raison ont comme anéanti une partie de ses ouvrages, ce qui lui reste suffit encore pour en faire un homme prodigieux. Ce fut certainement une des têtes les plus fortes et les plus pensantes que

LA HARPE. TOME 1.

:

la nature ait organisées. Il embrassa tout ce qui est du ressort de l'esprit humain, si l'on excepte les talents de l'imagination; encore, s'il ne fut ni orateur ni poëte *, il dicta du moins d'excellents préceptes à l'éloquence et à la poésie. Son ouvrage le plus étonnant est sans contredit sa Logique. Il fut le créateur de cette science, qui est le fondement de toutes les autres; et, pour peu qu'on y réfléchisse, on ne peut voir qu'avec admiration ce qu'il a fallu de sagacité et de travail pour réduire tous les raisonnements possibles à un petit nombre de formes précises, avec lesquelles ils sont nécessairement conséquents, et hors desquelles ils ne peuvent jamais l'être. Il paraît avoir senti quel honneur cet ouvrage pouvait lui faire; car, à la fin de ses Analytiques, où ce chef-d'œuvre de méthode est contenu, il a soin d'avertir que les autres sujets qu'il a traités lui sont communs avec beaucoup d'auteurs, mais que cette manière est toute neuve, et que tout ce qu'il en a dit n'avait jamais été dit avant lui. Il m'en a coûté, ajoute-t-il, bien du temps et bien de la peine. On me doit donc de l'indulgence pour ce que j'ai pu omettre, et de la reconnaissance pour ce que j'ai su découvrir.

Un de ses plus grands monuments est son Histoire des Animaux; et c'est aussi un des plus beaux de l'antiquité. Pour composer cet ouvrage, son disciple Alexandre lui fournit huit cents talents, environ cinq millions d'aujourd'hui, et donna des ordres pour faire chercher les animaux les plus rares dans toutes les parties de la terre. Un pareil pré

* Aristote fut poëte; peut-être même fut-il orateur.

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sent et de pareils ordres ne pouvaient être donnés, l'ouvrir, il semble que ses erreurs excusables tien

que par Alexandre. C'étaient de grands secours, il est vrai; mais ce qu'Aristote tira de son génie est encore au-dessus, si l'on s'en rapporte à un juge dont personne ne niera la compétence en ces matières, à Buffon. Voici comme il en parle dans le premier des discours qui précèdent son Histoire naturelle; et j'ai cru qu'on entendrait avec quelque plaisir Buffon parlant d'Aristote.

nent à la nature même de l'esprit humain. En effet,
il doit arriver dans les sciences naturelles et spécu-
latives le contraire de ce qu'on a toujours observé
dans les arts et dans les lettres. Ici le progrès est
toujours rapide, la perfection prompte; on vole au
but dès qu'il est indiqué, parce que ce but est cer-
tain, et que la route est bientôt connue : aussi la
belle poésie et la vraie éloquence remontent aux
époques les plus reculées. Mais les deux choses qui
contribuent le plus à avancer les succès en ce genre,
c'est-à-dire la promptitude à saisir les objets et la
disposition à imiter, sont précisément ce qui retarde
la marche de l'homme dans la recherche de la vérité.
Celle-ci ne se laisse pas approcher aisément : on
n'arrive jusqu'à elle que par le chemin de l'expé-
rience, qui est long et pénible. L'esprit humain est
impatient, et l'expérience est tardive de là vient
qu'il s'attache à ces fantômes séduisants qu'on ap-
pelle systèmes, qui le flattent d'ailleurs par ce qu'il
y a chez lui de plus aisé à séduire, l'imagination et
l'amour-propre. Il y a plus : c'est que les plus grands
esprits sont les plus susceptibles de l'illusion des
systèmes. Leur vaste intelligence ne peut souffrir
ce qui l'arrête; le doute est pour eux un état violent;
et c'est ainsi qu'un Descartes, un Leibnitz, en
cherchant les premiers principes des choses, ren-
contrent, l'un des tourbillons, l'autre des monades.
Quand de pareils guides ont marché en avaût, le reste
des hommes, naturellement imitateur, suit comme
un troupeau; et l'on emploie à étudier les erreurs,
le temps qu'on aurait pu mettre à chercher la vérité.
Les bornes de l'esprit d'Aristote ont été en philoso-

« Son Histoire des Animaux, dit-il, est peut-être encore aujourd'hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre... Il les connut peut-être mieux et sous des vues plus générales qu'on ne les connaît aujourd'hui.... Il accumule les faits, et n'écrit pas un mot qui soit inutile. Aussi a-t-il compris dans un petit volume un nombre infini de différents faits; et je ne crois pas qu'il soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu'il avait à dire sur cette matière, qui paraît si peu susceptible de précision qu'il fallait un génie comme le sien pour y conserver en même temps de l'ordre et de la netteté. Cet ouvrage d'Aristote s'est présenté à mes yeux comme une table des matières qu'on aurait extraite avec le plus grand soin de plusieurs milliers de volumes remplis de descriptions et d'observations de toute espèce; c'est l'abrégé le plus savant qui ait jamais été fait, si la science est en effet l'histoire des faits et quand même on supposerait qu'Aristote aurait tiré de tous les livres de son temps ce qu'il a mis dans le sien, le plan de l'ouvrage, sa distribution, le choix des exemples, la justesse des comparaisons, une certaine tournure dans les idées, que j'appellerais volontiers le caractère philosophique, ne laissent pas douter qu'il ne fût lui-même beaucoup plus riche que ceux dont il aurait emprunté. » Voilà quel a été cet Aristote que l'on a presque voulu envelopper dans le mépris que, depuis Descartes, on a conçu pour la scolastique. Cette prétendue science n'est en effet qu'un tissu d'abstrac-phie, pendant vingt siècles, les bornes de l'esprit tions chimériques et de généralités illusoires, sur lesquelles on peut disputer à l'infini sans rien apprendre et sans rien comprendre; et il faut convenir qu'elle est fondée tout entière sur la métaphysique d'Aristote, qui ne vaut pas mieux. C'est pourtant à lui qu'on est redevable de cet axiome célèbre dans l'ancienne philosophie, et adopté dans la nôtre, que les idées qui sont les représentations des objets, arrivent à nos esprits par l'organe des sens. C'est le principe fondamental de la métaphysique de Locke et de Condillac; c'était peut-être la seule vérité essentielle qu'il y eût dans celle d'Aristote, et c'est la seule qu'on ait rejetée dans les écoles, parce qu'elle était contraire aux idées innées, regardées longtemps comme une croyance religieuse, et abandon-être en tout l'opposé de son maître Platon, et que, nées généralement depuis les grandes découvertes des modernes, qui sont les vrais fondateurs de la saine métaphysique. Au reste, s'il s'est égaré dans cette carrière à l'époque où la philosophie venait de

humain. Ce n'est qu'au temps des Galilée, des Copernic, des Bâcon, qu'enfin l'on a compris qu'il valait mieux observer notre monde que d'en faire un, et qu'une bonne expérience qui apprenait un fait valait mieux que le plus ingénieux système qui ne prouve rien. Alors est tombée la philosophie d'Aristote, mais non pas sa gloire avec elle, puisque cette gloire est fondée, comme nous l'avons vu, sur des titres que le temps a consacrés.

Ce n'est pas que, dans ses meilleurs ouvrages, sa manière d'écrire n'ait des défauts très-marqués. Il pousse jusqu'à l'excès l'austérité du style philosophique et l'affectation de la méthode : de là naissent la sécheresse et la diffusion. Il semble qu'il ait voulu

non content d'enseigner une autre doctrine, il ait voulu aussi se faire un autre style. On reprochait à Platon trop d'ornements: Aristote n'en a point du tout. Pour se résoudre à le lire, il faut être déter

miné à s'instruire. Il tombe aussi de temps en temps dans l'obscurité; de sorte qu'après avoir paru, dans ses longueurs et ses répétitions, se défier trop de l'intelligence de ses lecteurs, il semble ensuite y compter beaucoup trop. On a su de nos jours réduire à un petit espace toute la substance de sa Logique, qui est très-étendue. Sa Poétique, dont nous n'avons qu'une partie, qui fait beaucoup regretter le reste, a embarrassé en plus d'un endroit et divisé les plus habiles interprètes. Sa Rhétorique, dont Quintilien a emprunté toutes ses idées principales, ɛes divisions, ses définitions, est abstraite et prolixe dans les premières parties; mais pour le fond | des choses, c'est un modèle d'analyse. Ces deux écrits sont, avec ses traités de Politique, ce qu'il a produit de plus parfait. On se souvient avec plaisir qu'Aristote les a composés pour Alexandre, et ces deux noms forment, après tant de siècles, une belle association de gloire. C'est une exception de plus (car il y en a encore quelques autres) à ce principe si énergiquement établi par Thomas, sur le peu d'accord qui se trouve ordinairement entre les rois et les philosophes. Leur grandeur, dit-il, se choque et se repousse. Ce n'était pas là ce que pensait Philippe, roi de Macédoine, lorsqu'il écrivit à Aristote cette lettre fameuse, si souvent citée, et qui ne saurait trop l'être : Je vous apprends qu'il m'est né un fils. Je remercie les dieux, non pas tant de me l'avoir donné, que de l'avoir fait naitre du temps d'Aristote. Le précepteur d'Alexandre ne se sépara de lui qu'au moment où ce prince partit pour la conquête de la Perse. Il obtint du père de son élève les plus grands priviléges pour la ville de Stagyre, sa patrie, et pour Athènes, qui était déjà celle des arts. C'est aussi à Athènes qu'il se retira, pour philosopher dans une république après avoir élevé un roi. Les Athéniens lui donnèrent le Lycée pour y ouvrir son école, et ce nom seul vous avertit que ce peu de mots que je viens de dire à sa louange n'était pas déplacé dans cette assemblée : ce sera peut-être un fait assez remarquable dans l'histoire de l'esprit humain, que, plus de deux mille ans après qu'Aristote eut ouvert le Lycée d'Athènes, son éloge et ses ouvrages aient été lus à l'ouverture du Lycée français.

Passons à l'analyse de sa Poétique.

Quand nous lisons un poëme ou que nous assistons à la représentation d'un drame, nous sommes tous portés à nous rendre compte de ce qui nous a plus ou moins affectés soit dans l'ensemble, soit dans les détails de l'ouvrage : c'est là l'espèce de critique qui semble appartenir à tout le monde, et qui est aussi la plus amusante. Mais quand il s'agit de

remonter aux premiers principes des arts, et de suivre dans cette recherche un philosophe législateur, il faut une attention plus particulière et plus soutenue. C'est pour cela qu'on ne fait lire à la première jeunesse aucun ouvrage de ce genre; on croit cette étude trop forte pour cet âge: mais elle est attachante pour un âge plus mûr, et l'on voit alors avec plaisir toute la justesse et toute l'étendue de ces vues générales et de ces idées primitives, dont l'application se trouve la même dans tous les temps. Ainsi donc, ayant à parler de la poésie, le plus ancien de tous les arts de l'esprit chez tous les peuples connus, et qui paraît le plus naturel à l'homme, cherchons d'abord, avec le guide que nous avons choisi, pourquoi cet art a été cultivé le premier, et sur quoi est fondé le plaisir qu'il nous procure. Aristote en donne deux raisons.

« La poésie semble devoir sa naissance à deux choses que la nature a mises en nous. Nous avons tous pour l'imitation un penchant qui se manifeste dès notre enfance. L'homme est le plus imitatif des animaux : c'est même une des propriétés qui nous distinguent d'eux. C'est par l'imi. tation que nous prenons nos premières leçons; enfin tout ce qui est imité nous plaît. Des objets que nous ne verrions qu'avec peine s'ils étaient réels, des bêtes hideuses, des cadavres, nous les voyons avec plaisir dans un tableau (chap. IV). »

Toutes ces idées vous paraissent sans doute justes et incontestables; et vous avez dû reconnaître dans la dernière phrase la source où Despréaux a puisé ce morceau de son Art poétique (chap. III): Il n'est point de serpent ni de monstre odieux Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux,

etc.

Mais, en reconnaissant la vérité du principe, remarquons qu'il est susceptible de quelque restriction, et qu'il en est de même de presque tous ceux que nous avons à établir. Le même bon sens qui les a dictés enseigne à ne pas les prendre dans une généralité rigoureuse, qui n'est faite que pour les axiomes mathématiques. Ainsi, quoique l'imitation soit une source de plaisir, il ne faut pas croire que tout soit également imitable. Dans la peinture même, dont le principal objet est l'imitation matérielle, il y a un choix à faire, et bien des choses ne seraient pas bonnes à peindre; à plus forte raison dans la poésie, qui doit surtout imiter avec choix, et embellir en imitant. Ce précepte paraît bien simple. Horace et Despréaux ont tous deux fait une loi de cette restriction judicieuse qu'Aristote lui-même a mise en principe général, comme nous le verrons tout à l'heure en suivant la marche qu'il a tenue. Cependant rien n'est si commun que de l'oublier, même depuis que l'art est perfectionné; et si quelque chose peut faire voir combien l'esprit humain

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