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NOTICE

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LA HARPE.

La Harpe (Jean-François), célèbre critique francais, né à Paris le 20 novembre 1739, était fils d'un capitaine d'artillerie, qui le laissa orphelin et dénué de toutes ressources avant l'âge de neuf ans. Recueilli par les sœurs de charité de la paroisse Saint-André des Arcs, qui, de son propre aveu, le nourrirent pendant l'espace de six mois, il obtint ensuite la protection de M. Asselin, principal du collége d'Harcourt, et fut admis comme boursier dans cet établissement. L'incertitude que ces premières circonstances de sa vie jetèrent sur son origine lui fut souvent reprochée dans la suite: on prétendit qu'il tirait son nom de la rue de la Harpe, où, soi-disant, il avait été trouvé, et on l'appela l'enfant du hasard, comme si cette qualification eût pu lui ôter quelque chose du mérite que l'on était forcé de lui reconnaître comme écrivain. La Harpe pouvait se dispenser de répondre à de semblables attaques: il le fit une fois cependant; mais les raisons qu'il donna pour appuyer la légitimité de sa naissance ne prévalurent pas sur l'opinion que la haine avait pris soin d'accréditer.

Un reproche beaucoup plus grave qu'elle lui adressa, fut d'avoir composé une satire contre l'homme respectable auquel il devait le bienfait de l'éducation. Ce fut durant son séjour au collége❘ qu'il subit cette humiliation amère; et son ingratitude supposée parut si odieuse, que, sans lui donner le temps d'établir sa justification, on eut recours à M. de Sartine, lieutenant-général de police, qui le fit d'abord conduire à Bicêtre, puis, par grâce, au For-l'Évêque, où sa détention dura plusieurs mois.

La Harpe avoue, dans un avertissement mis en tête de sa tragédie de Timoléon, « qu'il est bien vrai qu'à l'âge de dix-neuf ans il fit imprudemment quelques couplets contre des particuliers du collége d'Harcourt, et que quelques-uns de ses camarades les recueillirent et y en ajoutèrent d'autres; mais il affirme que dans ces couplets, il n'est nullement question de personnes envers qui il eût le moindre devoir à remplir, » et il invoque à ce sujet le témoignage de son bienfaiteur lui-même, et celui de tous les maîtres, dont il avait conservé l'amitié; ce qui

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assurément est une preuve irrécusable de son innocence. Vainement, toutefois, il confondit ses calomniateurs : leurs traits envenimés continuèrent à le poursuivre; et cet acharnement de la haine ne dut pas être sans quelque influence sur la direction que prit ensuite son talent.

Les brillants succès qu'il avait obtenus dans les hautes classes, particulièrement en rhétorique, où il remporta deux années de suite le prix d'honneur*, le fit pencher vers la carrière des lettres, envahie alors, comme celle des sciences, par la philosophie moderne, dont il adopta les principes. Deux héroïdes, qu'il publia en 1759, parurent sous le patronage de Voltaire, qui, dès longtemps, faisait et défaisait toutes les réputations littéraires. Ces deux pièces eurent un grand succès; mais le jeune auteur les ayant fait précéder d'un Essai sur l'Héroïde, où il soumet Ovide et Fontenelle à la rigueur de sa critique, fut attaqué par Fréron, qui se récria sur la hardiesse d'un écolier qui, d'une main encore soumise à la férule, osait déjà peser le mérite d'un poëte tel qu'Ovide. Conseillant au jeune Aristarque de relire les anciens au lieu de les juger, il lui prédit qu'avec du travail il parviendrait à posséder toutes les qualités qu'un écrivain peut acquérir à défaut de génie. Telle fut la cause de l'animosité qui exista depuis entre la Harpe et le rédacteur de l'Année littéraire : on sait que ce dernier donnait à son adversaire le nom du Bébé de la littérature, par allusion au nain du roi de Pologne, Stanislas, qui s'appelait ainsi.

Encouragé cependant par le succès qu'avaient obtenu ses premiers essais, la Harpe s'exerça bientôt dans le genre dramatique, qu'il paraissait affectionner de prédilection, et dut une célébrité précoce à sa tragédie de Warwick. Cette pièce, jouée à la cour en 1763, eut un grand nombre de représentations successives, et valut à l'auteur l'honneur d'être présenté à Louis XV; mais les jouissances d'amour-propre que lui fit éprouver le succès de ce premier ouvrage furent un peu tem

* Cet avantage n'a depuis été partagé que par M. Noël et par M. le Clerc, aujourd'hui professeur d'éloquence latine, et doyen de la Faculté des lettres.

I

pérées par les nombreuses critiques qui en parurent, à la Nouvelle salle, ou les Audiences de Thalie

ст

(1782), et le drame de Mélanie, ou les Vœux forcés, qui n'a été joué qu'en 1793, et qu'il retira du théâtre un an avant sa mort, après y avoir fait des corrections.

Dans l'intervalle que lui laissaient ses compositions dramatiques, la Harpe s'exerçait dans le genre de l'éloquence, et, avant d'entrer à l'Académie, où il

et auxquelles il répondit avec ce ton de supériorité dédaigneuse qui dès lors lui attira tant d'ennemis. Résolu d'imposer silence à ses détracteurs, il poursuivit la carrière du théâtre, où il ne voyait désormais que des lauriers faciles à cueillir, et fit jouer Timoléon le 1er août 1764; mais cette seconde composition, loin d'être accueillie comme l'avait été la première, disparut dès la quatrième repré-fut reçu en 1776, il en avait obtenu huit fois les sentation; et Pharamond, qu'il donna l'année suivante, eut encore moins de succès. En vain la Harpe espéra se relever de cette double chute en refaisant le Gustave Wasa de Piron; il ne recueillit de sa nouvelle pièce, jouée le 3 mars 1766, que les murmures du parterre et les caustiques épigrammes

de son rival.

palmes annuelles. Il y remporta aussi des prix de vers. En général, le plus grand mérite de ses poésies, c'est la correction du style et la pureté du goût; il manque presque toujours de feu, d'invention, et de coloris. Nous ne parlons ici que pour mémoire de son abrégé de l'Histoire générale des Voyages de l'abbé Prévost : ce travail ne fut guère de sa part qu'une spéculation de librairie, qui n'a

tournure d'esprit de la Harpe le portant à disserter, un attrait de prédilection le ramenait sans cesse vers l'épineuse profession de journaliste. Pendant quarante ans il enrichit diverses feuilles périodiques, et particulièrement le Mercure de France, d'articles où règnent les principes conservateurs du bon goût, lorsqu'aucun motif de partialité ne l'égare, et qu'il croit devoir adoucir l'humeur dénigrante qui semble lui être naturelle. Il traitait si rudement la plupart des écrivains soumis à sa censure, que d'Alembert lui appliqua un jour plaisamment ce vers burlesque :

Ces revers multipliés mettaient le comble à la détresse du jeune auteur, qui, n'ayant d'autre res-joute rien à sa réputation comme littérateur. La source que son talent, s'était marié presque à son début dans la carrière des lettres. Il alla puiser des consolations auprès de Voltaire, avec lequel il entretenait depuis longtemps une correspondance suivie, et demeura environ un an à Ferney, avec sa femme, qui, douée d'un très-bel organe et d'un extérieur agréable, y jouait, ainsi que lui, la comédie. Chabanon, l'un des acteurs, raconte que la Harpe, dominé par son penchant irrésistible pour la critique, se permettait souvent des changements dans les rôles dont il était chargé, et que lorsque l'on s'étonnait de la patience que l'irascible vieillard opposait aux critiques d'un jeune homme opiniâtre, il répondait : « Il aime ma personne et mes ouvrages. »

Toujours en butte à l'inimitié des hommes dont il avait irrité la censure par ses orgueilleux dédains, la Harpe était à peine de retour à Paris, lorsque la Gazette d'Utrecht annonça qu'il avait soustrait plusieurs manuscrits du cabinet de Voltaire, et que cet abus de confiance l'avait fait bannir de Ferney. Voltaire donna au gazetier un démenti formel; et si quelques-unes de ses lettres semblent annoncer qu'il ne croyait pas à l'innocence de l'accusé, on ne peut attribuer son langage qu'aux rapports calomnicux de la malveillance, qu'il ne prit pas la peine de vérifier.

Malgré le peu d'encouragements donné à ses dernières compositions dramatiques, la Harpe n'avait pas renoncé à la carrière du théâtre, et y rentra en 1775, par la tragédie de Menzicoff, qui fut jouée à la cour, et lui valut une pension de douze cents livres, dont avait joui de Belloy. Il fit ensuite représenter successivement les Barmécides (1778), les Brames et Jeanne de Naples (1783), puis Coriolan (1784), Virginie (1786), et enfin, en (1787), Philoctete, heureuse imitation de Sophocle, qui, ainsi que Warwick et Coriolan, est restée au théâtre. On lui doit encore les Muses rivales, ou l'Apothéose de Voltaire (1779), Molière

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Gille a cela de bon, quand il frappe, il assomme.

Au moyen de ses pensions et du produit de ses ouvrages, la Harpe, qui avait obtenu en 1786 la chaire de littérature au Lycée, se trouvait dans une sorte d'opulence pour un homme de lettres, lorsque la révolution française éclata. Partisan des nouvelles réformes, dont il ne prévoyait pas les suites déplorables, il consigna ses sentiments dans la partie littéraire du Mercure, qui, à raison de la couleur que Mallet-Dupan prêtait à la partie politique et du talent très-remarquable des deux rédacteurs, présentait sous la même couverture un contraste extrêmement piquant, et répondait ainsi aux deux opinions les plus diamétralement opposées qui partageaient alors la France. Ce fut surtout dans ses leçons de littérature au Lycée que la Harpe déposa les preuves irrécusables de son enthousiasme pour la révolution. Tant de sacrifices faits à des opinions que plus tard il devait attaquer si vivement ne purent le sauver de la proscription'; il fut emprisonné, menacé de la mort, et ce fut alors qu'il se réfugia dans le sein de la religion, asile le plus sûr de l'infortune.

Rendu à la liberté au 18 brumaire, il ne craignit point d'avouer públiquement sa conversion, et reparut avec un nouvel éclat dans la chaire du Lycée, où sa première leçon fut une espèce d'amende

honorable. Il pouvait terminer paisiblement sa car-
rière; mais accoutumé à vivre dans une lutte con-
tinuelle, il porta lui-même atteinte à son repos et à
la considération dont il jouissait en divulguant la
Correspondance littéraire que, depuis 1774 jus-
qu'en 1791, il avait entretenue avec le grand duc de
Russie. L'apparition de ce livre, où il juge presque
tous les écrivains avec la dernière rigueur, et où
ses décisions sont dictées trop souvent par l'amour-
propre et par des préventions haineuses, réveilla
toutes les animosités qu'il avait depuis longtemps
soulevées contre lui; aussitôt il en parut un autre
ayant pour titre; Correspondance turque, pour
servir de supplément à la Correspondance russe
(1801). On y donne des anecdotes fâcheuses arrivées
à la Harpe, les épigrammes sanglantes dont il a
été l'objet; on y passe en revue ses diverses pro-
ductions auxquelles on refuse à peu près toute es-
pèce de mérite; en un mot, on paraît ne vouloir lui
laisser d'autre titre que le Cours de Littérature,
qui a mis le sceau à sa réputation et lui a mérité le
nom de Quintilien français.

Ses écrits et ses discours contre le parti philosophique lui attirèrent bientôt un ordre qui l'exilait à vingt-cinq lieues de Paris; il obtint ensuite, cependant, de regagner à Corbeil la retraite où déjà il avait échappé aux marais infects de Sinnamary : mais le dépérissement de sa santé lui fit accorder de revenir à Paris, où il mourut le 11 février 1803, dans sa soixante-quatrième année.

térature, dit M. Duviquet, la curiosité vive et soutenue qu'il excite, le piquant de la critique, le plaisir de comparer ses propres jugements à ceux d'un censeur aussi exercé que la Harpe, enfin l'immensité des connaissances en tout genre dont cet ouvrage est l'unique et précieux dépôt, toutes ces causes ou séparées ou réunies ont élevé le Cours de Littérature à une telle hauteur, qu'avec bien de la peine les autres productions de la Harpe peuvent éviter de se perdre dans l'ombre d'un monument aussi colossal.

« Ce que Louis XIV disait à Boileau : « Je vous crois, vous vous y connaissez mieux que moi,» la plupart des lecteurs de la Harpe peuvent le lui dire sans excès d'humilité; c'est un guide habituellement sûr, auquel on doit s'abandonner avec confiance toutes les fois que l'on n'a pas à craindre que ses passions, en l'écartant de la route, ne nous égarent avec lui.

« Il est donc bien essentiel de signaler, surtout aux jeunes gens, les caractères principaux auxquels ils peuvent reconnaître que le juge n'est pas monté à jeun sur son tribunal, et que quelque fumée ou d'amour-propre ou d'intérêt personnel lui a porté à la tête; je réduis ces caractères à deux. Je pense qu'il faut marcher avec précaution sur les pas de la Harpe, toutes les fois qu'il parle des auteurs anciens, et surtout des auteurs grecs; et qu'il faut également s'en défier lorsqu'il cite à sa barre les écrivains avec lesquels il a eu des relations spéciales ou d'opposition ou d'amitié. Je suis convaincu

M. de Fontanes, au nom de l'Institut, répandit sur sa tombe les fleurs de l'amitié. M. Chazet pro-que, plus d'une fois, il s'est hasardé à juger supernonça, en 1805, son éloge à l'ouverture des cours de l'Athénée; mais M. Lacretelle aîné, successeur de la Harpe à l'Académie française, le jugea, dans son discours de réception, avec une sévérité qui fut trouvée excessive.

On a publié les OEuvres de la Harpe, accompagnées d'une notice sur sa vie et sur ses ouvrages, par M. de Saint-Surin, Paris, 1821-1822, 16 vol. in-8°. Cette collection renferme le Théâtre, 2 vol.; les Poésies, 1 vol.; les Éloges, Discours et Mélanges, 2 vol.; les Douze Césars, de Suétone, 2 vol.; la Lusiade, les huit premiers chants de la Jérusalem délivrée, et fragments de la Pharsale, 1 vol.; le Psautier, 1 vol.; Correspondance, 4 vol.; Littérature et Critique, Philosophie du dix-huitième siècle, 2 vol.; fragments de l'Apologie de la Religion. Pour avoir les œuvres complètes de la Harpe dans le même format, il faut ajouter aux 16 volumes précédents, l'Abrégé de l'Histoire des Voyages, Paris, 1820-1821, 24 vol.; ses Commentaires sur Racine et sur le théâtre de Voltaire; enfin son Lycée ou Cours de Littérature, publié jusqu'à ce jour en 16 volumes, et dont les douze premiers seulement parurent du vivant de l'au

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ficiellement, sur la foi d'autrui, sur des traductions infidèles, ou sur des commentaires inexacts, et qu'en cela il cédait à l'ambition de ne pas paraître reculer devant la tâche immense qu'il s'était témérairement imposée; d'un autre côté, je soupçonne qu'étant sensible et extrêmement irritable, il a dû se laisser prévenir souvent par des sentiments de gratitude ou de vengeance qui ont rompu l'équilibre de son impartialité naturelle.

« Si l'on se rappelle les travaux continuels auxquels la Harpe n'a cessé de se livrer depuis sa sortie du collége, travaux presque tous étrangers à la littérature grecque, la quantité des pièces qu'il a données au théâtre, et dont une seule (Philoctete) est moins une traduction de Sophocle qu'une imitation de Fénelon, son Abrégé de l'Histoire des Voyages, ses traductions de Suétone et du Camoëns, les trois journaux dont la rédaction principale lui fut confiée, son séjour de dix-huit mois à Ferney, ses habitudes dans une foule de grandes maisons, son assiduité aux séances académiques; si l'on réfléchit qu'il n'avait que quarante ans lorsqu'il commença son cours au Lycée par l'analyse raisonnée de Platon, d'Aristote et des trois tragiques grecs, on ne demandera point d'autres preuves nonseulement qu'il avait peu étudié, mais même qu'il

J.

avait peu lu dans leur langue originale des auteurs dont un seul, Aristote ou Platon, par exemple, occuperait facilement pendant une année les veilles laborieuses d'un savant helléniste qui les lui aurait exclusivement consacrées.

« Que si comparant ensuite, le livre à la main, l'étendue donnée à l'analyse des deux in-folio de Platon avec l'espace si complaisant et si remarquable accordé à l'analyse d'une tragédie de Voltaire, on se demandait compte des motifs d'une disproportion de travail aussi peu en rapport avec les auteurs qui en font l'objet, ne serait-on pas forcé de se répondre à soi-même que la Harpe, pressé d'expédier sur mémoire communiqué une cause dont il n'avait pas pris connaissance, s'en dédommageait, et en dédommageait généreusement ses auditeurs, lorsqu'il arrivait à des objets mieux appropriés à ses études et à ses goûts, et sur lesquels il était certain d'attirer bien plus sûrement l'attention et l'intérêt de la plus belle moitié de son assemblée? C'est là sans doute une excuse valable pour l'orateur qui parle en public; mais l'excuse s'évanouit pour le lecteur, qui veut une instruction solide, et qui malheureusement ne trouve que des aperçus là où il s'attendait à des résultats positifs et satisfaisants.

<< La Harpe est déjà replacé sur son terrain quand il se rencontre avec les premiers classiques latins; on s'en aperçoit à la facilité avec laquelle il les parcourt et les juge: Virgile, Ovide, Lucain, les principaux discours de Cicéron, les traités les plus marquants de Sénèque, jusque-là tout va à merveille; l'embarras devient sensible lorsque des discours de l'orateur romain il passe à ceux des traités philosophiques qu'une prudence très-louable arrête sur le seuil des colléges; et quand il arrive aux poëtes ou aux sophistes du troisième et du quatrième siècle de l'empire, alors la lumière qui le conduit s'affaiblit par degrés, et il ne recommence marcher d'un pas sûr et intrépide qu'à la lueur des flambeaux rallumés au génie de Léon X et de François Ier.

à

« Il avance alors à pas de géant jusqu'au grand siècle de Louis XIV, et il traverse également avec fermeté les premières années du siècle qui l'a vu naître; quand il est arrivé à l'époque où les chefs de la littérature devinrent ou ses protecteurs ou ses rivaux, des obstacles d'un autre genre viennent arrêter la sûreté, la régularité de sa marche : la censure ou la louange se ressent de l'exagération de

son caractère. Voltaire est exalté d'abord sans inesure, Gilbert dénigré sans ménagement. Depuis, il a rectifié ses jugements sur Voltaire ; mais le malheureux satirique n'a reçu aucune espèce de consolation; peut-être la Harpe pensait-il de bonne foi que les meilleurs vers devenaient détestables quand ils étaient dirigés contre lui. Ainsi, pour apprécier les jugements de la Harpe sur ses contemporains, il serait bon de se pourvoir d'une espèce de thermomètre physico-littéraire où l'on aurait marqué d'avance, à côté du tube où serait renfermée la bile du critique, le degré habituel de fermentation que tel auteur excitait. Fréron, Clément, Gilbert, occuperaient le haut de l'échelle; Linguet, Dorat, Mercier, descendraient quelques degrés plus bas; Delille, Marmontel, Thomas, correspondraient à peu près au point de départ, au zéro de la température bilieuse; et enfin la liqueur sinistre coulerait entièrement et jusqu'à nouvel ordre aux pieds de Voltaire; nous avons vu le temps où le nom du grand homme la faisait bouillonner plus vivement même que celui de Fréron.

« Le Cours de Littérature, pris, repris et quitté à trois époques bien différentes de la vie de la Harpe, présentait des disparates choquantes qu'une révision sévère a fait totalement disparaître; ses doctrines y ont reçu des mains de l'auteur l'homogénéité, qui seule peut leur donner de la consistance. La religion et la morale ont applaudi à cette heureuse réformation, et le goût y gagné.

« Je résume en peu de mots mes observations, continue le même critique, sur les différents ouvrages de la Harpe. Warwick et Philoctete resteront au théâtre; Tangu et Féline, l'Ombre de Duclos, la Réponse d'Horace à Voltaire, orneront un recueil bien choisi de poésies érotiques, satiriques et légères; l'Éloge de Racine, de Catinat, de la Fontaine, de Fénelon, assurent à la Harpe, très-près de Thomas, une place distinguée dans le second rang de nos orateurs; l'Apologie, le Triomphe de la Religion, sont deux ouvrages à part, qui attestent un talent élevé au-dessus de lui-même par l'inspiration religieuse, mais qu'il est impossible de classer, parce qu'ils ne sont achevés ni l'un ni l'autre: mais si jamais le buste de la Harpe était placé dans l'enceinte d'une société littéraire, on n'écrirait point sur le socle ces mots : Le poète ou l'orateur; on y écrirait : le Quintilien français.

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W.

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