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phrase qui, en vérité, n'est embarrassante que pour moi.

est sujet à s'égarer, c'est que, dès le premier pas | lorsque... Je laisse à chacun de vous à finir une que nous faisons, venant à peine de poser une vérité fondamentale, nous rencontrons aussitôt l'abus qu'on en a fait. Je ne parle pas seulement des Anglais, à qui l'auteur du Temple du Goût a dit avec tant de raison:

Sur votre théâtre infecté

D'horreurs, de gibets, de carnages,
Mettez donc plus de vérité,

Avec de plus nobles images.

Mais nous-mêmes, à qui l'exemple de Corneille et de Racine apprit dans le siècle dernier à être plus délicats, nous commençons à revenir, depuis quelques années, aux horreurs révoltantes ou dégoûtantes qui appartiennent à l'enfance de l'art. Les exemples en sont si nombreux et si connus, qu'il serait inutile de les citer ici; nous aurons assez souvent l'occasion d'en parler ailleurs.

Quand Voltaire donna Tancrède, le bruit se répandit que l'on verrait sur la scène l'échafaud où devait périr Aménaïde. Rien n'était plus faux; et jamais l'auteur n'y avait pensé. Quelqu'un lui écrivit à ce sujet : Gardez-vous bien de donner cet exemple; car si le génie élève un échafaud sur la scène, les imitateurs y attacheront le roué.

Au reste, il est également dans l'ordre des choses que la médiocrité produise ces sortes de monstres à l'époque où l'on se tourmente pour trouver le mieux, faute de connaître la limite du bien; que l'amour de la nouveauté les fasse applaudir, et que la raison s'en moque. Mais ce qui n'est pas juste, c'est de prétendre aux honneurs de la sensibilité, quand on a besoin de pareilles émotions; car la sensibilité est encore un de ces mots parasites qui composent le dictionnaire du jour. On en abuse avec une si ridicule profusion, qu'il faut aujourd'hui qu'une personne sensée prenne bien garde où elle place ce mot, si elle ne veut pas tomber dans le ridicule à la mode. C'est l'expression favorite des gens blasés, qui, ne pouvant plus être émus de rien, veulent pourtant qu'on parvienne à les émouvoir, et se plaignent toujours d'un manque de sensibilité, qui, dans le fait, n'est que chez eux. C'est pour eux qu'il faut des spectacles atroces, comme il faut des exécutions à la populace; c'est pour eux que les auteurs ont le transport au cerveau, et que les acteurs ont des convulsions; en un mot, c'est la manie des extrêmes, si fatale à toute espèce de jouissance; c'est là ce qu'on appelle aujourd'hui la sensibilité. Quel est pourtant celui qui en a? C'est l'homme qui laisse échapper une larme quand par hasard il entend au théâtre quelques vers de Racine prononcés avec l'accent de la vérité, et non pas celui qui crie bravo

Les réflexions sur la première proposition d'Aristote nous ont menés un peu loin. Revenons à cette espèce de charme que l'imitation a pour tous les hommes, et dont ensuite Aristote veut assigner la cause.

« C'est, dit-il, que non-seulement les sages, mais tous les hommes en général, ont du plaisir à apprendre, et que pour apprendre il n'est point de voie plus courte que l'image (IV). »

Cette idée est aussi juste que profonde, mais il me semble qu'on pourrait lui donner plus d'étendue, en faisant entrer notre imagination pour beaucoup dans ce que l'auteur attribue ici à la seule raison. Toute imitation, en effet, exerce agréablement notre imagination, qui n'est que la faculté de nous représenter les objets comme s'ils étaient présents; et c'est toujours un plaisir pour nous de comparer les images que l'art nous présente, avec celles que nous avons déjà dans l'esprit.

La seconde cause originelle de la poésie est, suivant Aristote, le goût que nous avons pour le rhythme et le chant, goût qui ne nous est pas moins naturel que celui de l'imitation. Pour sentir combien cette observation est juste, il faut se souvenir que les premiers vers ont été chantés, et de plus, que, dans toutes les langues connues, on ne chante guère que des paroles mesurées ; ce qui prouve l'affinité du chant et du rhythme. Comme ce dernier mot, tiré du grec, est devenu en français d'un usage très-commun, il est à propos d'en donner une explication précise; car lorsque les mots techniques deviennent usuels, il arrive souvent aux gens peu instruits de les appliquer mal à propos quand ils s'en servent, ou de les entendre mal quand ils les lisent. On définit le rhythme un espace déterminé, fait pour symétriser avec un autre du même genre'. Cette définition générale est nécessairement un peu abstraite : elle va devenir beaucoup plus claire en l'appliquant aux trois choses qui sont principalement susceptibles du rhythme, au discours, au chant, et à la danse. Dans le discours, le rhythme est une suite déterminée de syllabes ou de mots qui symétrise ` avec une autre suite pareille, comme, par exemple, le rhythme de notre vers alexandrin est composé de douze syllabes qui donnent à tous les vers du même genre une égale durée par leurs intervalles et par leurs combinaisons. Dans la danse, le rhythme est une suite de mouvements qui symétrisent entre eux

1 Batteux, les quatre Poétiques.

par leur forme, par leur nombre, par leur durée. Il est reconnu que rien n'est si naturel à l'homme que le rhythmne: les forgerons frappent le fer en cadence, comme Virgile l'a remarqué des Cyclopes; et même la plupart de nos mouvements sont à peu près rhythmiques, c'est-à-dire ont une sorte de régularité. Cette disposition au rhythme a conduit à mesurer les paroles, ce qui a donné le vers; et à mesurer les sons, ce qui a produit la musique. On fit d'abord, dit Aristote, des essais spontanés, des impromptus; car le mot dont il se sert emporte cette idée. Ces essais, en se développant peu à peu, donnèrent naissance à la poésie, qui se partagea d'abord en deux genres, suivant le caractère des auteurs : l'héroïque, qui était consacré à la louange des dieux et des héros; le satirique, qui peignait les hommes méchants et vicieux. Dans la suite, l'épopée, menant du récit à l'action, produisit la tragédie; et la satire, par le même moyen, fit naître la comédie. Aristote ajoute :

« La tragédie et la comédie s'étant une fois montrées, tous ceux que leur génie portait à l'un ou à l'autre de ces deux genres préférèrent, les uns des comédies au lieu de satires, les autres des tragédies au lieu de poëmes héroïques, parce que ces nouvelles compositions avaient plus d'éclat, et donnaient aux pièces plus de célébrité (1v). » Cette remarque prouve que chez les Grecs, comme parmi nous, la poésie dramatique fut toujours mise au premier rang. L'on peut observer aussi que, parmi les différents genres de poésie grecque, dont Aristote promet de parler dans cette partie de son traité qui a été perdue, il y en a dont il ne nous reste aucun monument, le dithyrambe, le nome, la satire, et les mimes. Les mimes étaient, à ce qu'on croit, d'après quelques passages des anciens, une sorte de poésie très-licencieuse. Le nome était un poëme religieux fait pour les solennités. Le dithyrambe était destiné originairement à célébrer les exploits de Bacchus, et par la suite s'étendit à des sujets analogues, c'est-à-dire à l'éloge des hommes fameux. Il ne reste rien de tout cela que le nom. On sait qu'Archiloque, Hipponax, et beaucoup d'autres, ont fait des satires personnelles; mais les Grecs appelaient aussi du nom de satire des drames d'une licence et d'une gaieté burlesque. Le Cyclope d'Euripide est le seul drame de cette espèce qui soit parvenu jusqu'à nous : il ne fait pas regretter beaucoup les autres.

Aristote dit peu de choses de la comédie et de l'épopée, parce qu'il se réservait d'en parler dans la suite de son traité. Selon lui, l'épopée est, comme la tragédie, une imitation du beau par le discours : elle en diffère en ce qu'elle imite par le récit, au lieu que l'autre imite par l'action.A cette différence

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de forme il joint celle de l'étendue, qui est indéter minée dans l'épopée, au lieu que la tragédie tâche de se renfermer (ce sont les termes de l'auteur) dans un tour de soleil, ou s'étend peu au delà. On voit qu'Aristote est ici fort éloigné de ce rigorisme pédantesque que l'on a voulu reprocher à ses principes. Il laisse à ce que nous appelons la règle des vingt-quatre heures cette latitude raisonnable sans laquelle il faudrait se priver de plusieurs sujets intéressants, et il ne donne pas au calcul de quelques heures de plus ou de moins plus d'importance qu'il n'en faut. Quant à l'épopée comparée à la tragédie, il dit très-judicieusement :

<< Tout ce qui est dans l'épopée est aussi dans la tragé die; mais tout ce qui est dans la tragédie n'est pas dans l'épopée. »

Il regarde celle-ci comme susceptible indifféremment de recevoir la prose ou les vers, opinion qui n'est pas celle des modernes : quelques-uns se sont efforcés de la soutenir; mais elle est en général regardée comme un paradoxe; et le Télémaque, tout admirable qu'il est, n'a pu obtenir parmi nous le titre de poëme, que l'auteur lui-même n'avait jamais songé à lui donner. Si l'on cherche la raison de cette différence d'avis entre les anciens et nous,

je crois qu'elle peut tenir à la haute idée que nous

attachons avec justice au mérite si rare d'écrire bien en vers dans une langue où la versification est si prodigieusement difficile. Nous n'avons pas voulu séparer ce mérite d'un aussi grand ouvrage que le poëme épique, et en tout il n'entre guère dans nos idées de séparer la poésie de la versification. Je crois qu'en cela nous avons très-grande raison. La difficulté à vaincre, non-seulement ajoute aux beaux-arts un charme de plus quand elle est vaincue, mais elle ouvre une source abondante de nouvelles beautés. Il ne faut pas prostituer les honneurs d'un aussi bel art que la poésie. Si l'on pouvait être poëte en prose, trop de gens voudraient l'être; et l'on conviendra qu'il y en a déjà bien assez. Au reste il ne paraît pas que les Latins aient pensé là-dessus autrement que nous, ni qu'ils aient eu l'idée d'un poëme qui ne fût pas en vers. On peut croire que chez les Grecs mêmes l'opinion générale avait prévalu sur celle d'Aristote, puisqu'on ne connaît aucun passage des anciens d'où l'on puisse inférer qu'un prosateur ait été regardé comme un poëte. Je crois pouvoir rappeler à cette occasion une expression plaisante de Voltaire, que sans doute il ne faut pas prendre plus sérieusement qu'il ne l'entendait lui-même, mais qui peint assez bien l'enthousiasme qu'il voulait qu'un poëte eût pour son art. Un de ses amis, entrant chez lui comme il travaillait, voulut se retirer de peur de

le déranger. Entrez, entrez, lui dit gaiement Voltaire, je ne fais que de la vile prose. Quand on songe au mérite de la sienne, on conçoit aisément quelle valeur il faut donner à cette plaisanterie.

A l'égard de la comédie, voici le peu qu'en dit Aristote :

« On sait par quels degrés et par quels auteurs la tragédie s'est perfectionnée. Il n'en est pas de même de la comédie, parce que celle-ci n'attira pas dans ses commencements la même attention: ce fut même assez tard que les archontes en donnèrent le divertissement au peuple. On y voyait figurer des acteurs volontaires qui n'étaient ni aux gages ni aux ordres du gouvernement. Mais quand une fois elle eut pris une certaine forme, elle eut aussi ses auteurs qui sont renommés. On sait que ce fut Épicharme et Phormis qui commencèrent à y mettre une action. Tous deux étaient Siciliens: ainsi la comédie est originaire de "Sicile. Chez les Athéniens, Cratès fut le premier qui aban donna l'espèce de comédie nommée personnelle parce qu'elle nommait les personnes et représentait des actions réelles. Ce genre d'ouvrage ayant été défendu par les magistrats, Cratès fut le premier qui prit pour sujets de ses pièces des noms inventés et des actions imaginaires (v). »

Tout ce que l'on peut observer ici, c'est l'usage des anciens, de faire des représentations théâtrales une solennité publique. Parmi les archontes, premiers magistrats d'Athènes, il y en avait un chargé spécialement de la direction des spectacles. Il achetait les pièces des auteurs, et les faisait jouer aux dépens de l'État. Cet établissement dut produire deux effets : il empêcha que l'art ne fût perfectionné dans toutes ses parties, comme il l'a été parmi nous, où l'habitude d'un spectacle journalier a exercé davantage l'esprit des juges, et les a rendus plus difficiles; mais, d'un autre côté, cet établissement prévint la satiété, et s'opposa plus longtemps à la corruption de l'art : du moins ne voyons-nous pas que les Grecs, après Euripide et Sophocle, soient tombés, comme nous, dans l'oubli total de toutes les règles du bon sens. C'est au temps de ces deux grands hommes, et surtout par leurs ouvrages, que la tragédie fut portée à son plus haut point de splendeur.

« Après divers changements, dit Aristote, elle s'est fixée à la forme qu'elle a maintenant, et qui est sa véritable forme; mais d'examiner si elle a atteint ou non toute sa perfection, soit relativement au théâtre, soit considérée en elle-même, c'est une autre question (IV). »

non du mauvais pris dans toute son étendue, mais de celui qui cause la honte et produit le ridicule ( v ). C'est avoir, ce me semble, très-bien saisi l'objet principal et le caractère distinctif de la comédie. L'expérience a justifié le législateur toutes les fois qu'on a voulu attaquer dans la comédie des vices odieux, plutôt que des travers et des ridicules. L'auteur du Glorieux a échoué dans l'Ingrat. Ce n'est pas que Tartufe ne le soit, et d'une manière horrible; mais les grimaces de son hypocrisie et ses expressions dévotes, mêlées à ses entreprises amoureuses, donnent à son rôle une tournure comique, qui en tempère l'atrocité et la bassesse; et c'est le chef-d'œuvre de l'art de l'avoir rendu théâtral.

Après ces vues générales, Aristote commence à considérer la tragédie, qu'il paraît avoir regardée comme l'effort le plus grand et le plus difficile de tous les arts de l'imagination. Il la définit

« L'imitation d'une action grave, entière, d'une certaine étendue; imitation qui se fait par le discours dont les ornements concourent à l'objet du poëme, qui doit, par la terreur et la pitié, corriger en nous les mêmes passions (v). »

Je m'arrêterai d'abord sur le dernier article de cette définition, parce qu'il a été mal interprété, et qu'en effet il était susceptible de l'être. Il n'y a personne qui ne demande d'abord ce que veut dire corriger, purger (car c'est le mot du texte grec) la terreur et la pitié en les inspirant. Dans le siècle dernier, où tous les critiques s'étaient accordés à vouloir qu'il fût de l'essence de tous les ouvrages d'imagination d'avoir avant tout un but moral, on crut retrouver cette prétendue règle dans le passage dont il s'agit. Toutes les explications se firent en conséquence. Voici celle de Corneille, qui est la plus plausible dans ce sens, et la mieux énoncée :

<< La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos semblables nous porte à la crainte d'un pareil pour nous, cette crainte au désir de l'éviter, et ce désir, à purger, mo

dérer, rectifier et même déraciner en nous la passion qui plonge, à nos yeux, dans ce malheur les personnes que nous plaignons, par cette raison commune, mais naturelle et indubitable, que pour ôter l'effet, il faut retrancher la cause. » (Premier discours sur le poëme dramatique.) Cette logique est fort bonne; mais si c'était là ce qu'Aristote voulait dire, il se serait fort mal expliqué dans la chose du monde la plus simple; car alors il n'y avait qu'à dire que la tragédie corrige en nous, par la terreur et la pitié, les passions qui causent les malheurs dont la représentation poursuit cette terreur et cette pitié. Mais ce n'est point du tout ce qu'il dit : il dit en propres termes, purger, tempérer, modifier (car le mot grec présente ces idées analoIl définit la comédie une imitation du mauvais; gues) la terreur et la pitié; et c'est précisément pour

Il ne juge point à propos d'entrer dans cette question, que peut-être il traitait dans ce que nous avons perdu. Au reste, cette réserve à prononcer marque un esprit très-sage, qui ne peut poser ni les bornes de l'art ni celles du génie.

n'avoir pas voulu le suivre mot à mot qu'on s'est écarté de son idée. Il veut dire, comme on l'a trèsbien démontré de nos jours, que l'objet de toute imitation théâtrale, au moment même où elle excite la pitié et la terreur en nous montrant des actions feintes, est d'adoucir, de modérer en nous ce que cette pitié et cette terreur auraient de trop pénible si les actions que l'on nous représente étaient réelles. L'idée d'Aristote, ainsi entendue, est aussi juste qu'elle est claire; car qui pourrait supporter, par exemple, la vue des malheurs d'OEdipe, ou d'Andromaque, ou d'Hécube, si ces malheurs existaient sous nos yeux en réalité? Ce spectacle, loin de nous être agréable, nous ferait mal; et voilà le charme, le prodige de l'imitation, qui sait vous faire un plaisir de ce qui partout ailleurs vous ferait une peine véritable. Voilà le secret de la nature et de l'art combinés ensemble, et qu'un philosophe tel qu'Aristote était digne de deviner.

Je me crois obligé de déclarer ici qu'entraîné par l'autorité de tous les interprètes les plus habiles, j'ai moi-même, dans un Essai sur les Tragiques grecs, adopté l'ancienne explication que je viens de combattre, quoique en la restreignant beaucoup, et rejetant toutes les conséquences qu'on en voulait tirer, et qui m'ont paru très-fausses. C'est dans la traduction de la Poétique d'Aristote, par l'abbé Batteux, que j'ai trouvé l'explication nouvelle que je crois devoir préférer. Il s'étend fort au long sur les raisons qui l'ont déterminé il serait hors de propos de les rappeler ici; mais elles m'ont paru décisives, et je me suis rendu à l'évidence.

écartés de ce principe. C'est ce mélange du sérieux et du bouffon, du grave et du burlesque, qui défigure si grossièrement les pièces anglaises et espagnoles; et c'est un reste de barbarie. Aristote ajoute que cette action doit être entière et d'une certaine étendue (VII). Il s'explique :

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J'appelle entier, dit-il, ce qui a un commencement, un milieu et une fin. »

Quant à l'étendue, voici ses idées, qui sont d'un grand sens :

« Tout composé, pour mériter le nom de beau, soit animal, soit artificiel, doit être ordonné dans ses parties, et avoir une étendue convenable à leur proportion; car la beauté réunit les idées de grandeur et d'ordre. Un animal très-petit ne peut être beau, parce qu'il faut le voir de près, et que les parties trop réunies se confondent. D'un autre côté, un objet trop vaste, un animal qui serait, je suppose, de mille stades de longueur, ne pourrait être vu que par parties: on ne pourrait en saisir la proportion ni l'ensemble: il ne serait donc pas beau. De même done que, dans les animaux et dans les autres corps naturels, on d'œil, de même dans l'action d'un poëme on veut une cerveut une certaine grandeur qui puisse être saisie d'un coup taine étendue qui puisse être embrassée tout à la fois, et faire un tableau dans l'esprit. Mais quelle sera la mesure de cette étendue ? c'est ce que l'art ne saurait déterminer rigoureusement. Il suffit qu'il y ait l'étendue nécessaire pour que les incidents naissent les uns des autres vraisemblablement, amènent la révolution du bonheur au malheur ou du malheur au bonheur. (Ibid.) »

Plus on réfléchira sur ces principes, plus on sentira combien ils sont fondés sur la connaissance de la nature. Qui peut douter, par exemple, qué les L'ignorance a voulu quelquefois tirer avantage pièces de Lopez de Vega et de Shakspeare, qui conde ces contradictions que l'on trouve entre ceux tiennent tant d'événements que la meilleure mémoire qui s'occupent de l'étude de l'antiquité. Quelle foi pourrait à peine s'en rendre compte après la reprépeut-on avoir en eux, a-t-elle dit, puisque eux-mêmes sentation; qui peut douter que de pareilles pièces ne sont pas toujours d'accord? On peut en appeler ne soient hors de la mesure convenable, et qu'en violà-dessus au témoignage de quiconque a étudié une lant le précepte d'Aristote on n'ait blessé le bon autre langue que la sienne, même une langue vivante. sens? Car enfin nous ne sommes susceptibles que C'en est assez pour savoir qu'il n'en est aucune dont d'un certain degré d'attention, d'une certaine dules écrivains n'offrent quelques passages suscepti-rée d'amusement, d'instruction, de plaisir Le goût bles de discussion pour un étranger qui les lit. A plus forte raison doit-on s'attendre aux mêmes difficultés dans les langues mortes, dont les monuments très-anciens ont pu et ont dû même être fort altérés; ce qui n'empêche pas que, sur la plus grande partie de ces mêmes écrits, il ne soit comme impossible de ne pas s'accorder, parce que le plus souvent il n'y a pas le moindre nuage, à moins qu'on ne veuille en chercher.

Reprenons les autres parties de la définition. La tragédie est l'imitation d'une action grave. Oui, sans doute. Il n'y a que les modernes qui se soient

consiste donc à saisir cette mesure juste et nécessaire, et là-dessus le législateur s'en rapporte aux poëtes. Combien, d'ailleurs, ce qu'il dit sur l'essence du beau, sur la nécessité de n'offrir à l'esprit que ce qu'il peut embrasser quand on veut inspirer l'intérêt et l'admiration, est profond et lumineux ! Avouons-le : éblouir un moment la multitude par des pensées hardies, qui ne paraissent nouvelles que parce qu'elles sont hasardées et paradoxales, c'est ce qui est donné à beaucoup d'hommes; mais instruire la postérité par des vues sûres et universelles, trouvées toujours plus vraies à mesure qu'elles sont

plus souvent appliquées; devancer par le jugement l'expérience des siècles, c'est ce qui n'est donné qu'aux hommes supérieurs.

Poursuivons. Aristote fait entrer encore dans sa définition les ornements du discours, qui doivent concourir à l'effet du poëme. Ces ornements se réduisent pour nous à ceux de la versification et de la déclamation pour les anciens, c'était, de plus, la mélopée ou le récit noté, et la musique des chœurs et les mouvements rhythmiques qu'ils exécutaient. « Il y a donc, conclut-il, six choses dans une tragédie: la fable ou l'action, les mœurs ou les caractères (ici ces expressions sont synonymes), les paroles ou la diction, les pensées, le spectacle, et le chant (vi).

Substituez au chant la déclamation, et tout cela convient également à la tragédie des anciens et à la nôtre. Mais écoutons ce qui suit, et nous jugerons si Aristote avait connu la tragédie.

« De toutes ses parties, la plus importante est la composition de la fable, ou l'action. C'est la fin de la tragédie, et la fin est en tout ce qu'il y a de plus essentiel. Sans action, point de tragédie. On peut coudre ensemble de belles maximes, des pensées ou des expressions brillantes, sans produire l'effet de la tragédie; et on le produira, si, sans rien de tout cela, sans peindre des mœurs, sans tra

cer des caractères, on a une fable bien composée. Aussi ceux qui commencent réussissent-ils bien mieux dans la diction et dans les mœurs que dans la composition de la fable. (Ibid.) »

Tout cela est aussi vrai aujourd'hui que du temps où l'auteur écrivait. Que le mérite de l'action ou de l'intérêt soit le premier et le plus essentiel au théâtre, c'est ce qui est prouvé par un assez grand nombre de pièces que l'on voit jouer avec plaisir, et qu'on ne s'avise guère de lire. Mais il faut observer ici une différence entre les Grecs et nous : c'est qu'il paraît que chez eux le mérite le plus rare de tous (à en juger par ce que vient de dire Aristote), c'était celui du sujet et du plan & parmi nous, au contraire, c'est celui du style.

Nous avons vingt auteurs dont il est resté des ouvrages au théâtre, et même des ouvrages d'un grand effet; et nous n'en avons encore que deux (je ne parle que des morts; la postérité jugera la généraration présente), nous n'en avons que deux qui aient été continuellement éloquents en vers, et qui aient atteint la perfection du style tragique, Racine et Voltaire. Le grand Corneille est hors de comparaison, parce qu'étant venu le premier, il n'a pas pu tout faire aussi, quoiqu'il ait donné des modèles presque dans tous les genres de beautés dramatiques, il ne peut pas être mis pour le style au rang des classiques. D'où vient cette différence entre les Grecs et nous? Elle tient, je crois, à la nature de la langue

et de leur tragédie. L'idiome grec, le plus harmonieux de tous ceux que l'on connaisse, donnait beaucoup de facilité à la versification, et la musique y joignait encore un charme de plus. On ne peut douter que cette réunion ne flattât beaucoup les Grecs, puisque Aristote dit en propres termes : La mélopée est ce qui fait le plus de plaisir dans la tragédie. Nous en pouvons juger par nos opéras, où les impressions les plus fortes que nous éprouvons sont dues principalement à la musique. L'autre raison de la différence que nous examinons, c'est la nature même de la tragédie chez les Grecs, toujours renfermée dans leur propre histoire, et même, comme le dit expressément Aristote, dans un petit nombre de familles. Parmi nous, le génie du théâtre peut chercher des sujets dans toutes les parties du monde connu. Il existe même pour lui un monde de plus, que les anciens ne connaissaient pas; et pour comprendre tout ce qu'on en a pu tirer, il suffit de se rappeler Alzire.

Il n'est donc pas étonnant qu'il soit plus commun parmi nous de rencontrer des sujets convenables au théâtre que d'écrire la tragédie en vrai poëte. Mais un trait remarquable et heureux dans notre histoire littéraire, c'est que ceux de nos auteurs dramatiques qui ont le mieux écrit sont aussi ceux qui ont le plus intéressé; c'est que nos pièces les mieux faites sont aussi les plus éloquentes; et c'est l'ensemble de tous les genres de perfection qui a mis notre théâtre audessus de tous les théâtres du monde.

Aristote continue à tracer les règles de la tragédie : \

« La fable sera une, non par l'unité de héros, mais par l'unité de fait; car ce n'est pas l'imitation de la vie d'un homme, mais d'une seule action de cet homme.... Que les parties soient tellement liées entre elles, qu'une seule transposée ou retranchée, ce ne soit plus un tout ou le même tout; car ce qui peut être dans un tout, ou n'y être pas sans qu'il y paraisse, n'est point partie de ce tout (vin). »

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