Je veux bien vous promettre une amitié plus tendre : Je n'écouterai point sans contrainte et sans peine Que la fidélité n'est chez vous qu'à ce prix, Je m'expose à l'amour, et n'aimez point Doris. Parmi les poésies mêlées de Fontenelle, qui so presque toutes mauvaises, on trouve trois piece qui méritent d'être conservées : le Portrait de C rice, le sonnet de Daphné, et cet apologue de l'à mour et de l'Honneur, qui est peut-être la plus is génieuse de ses pièces détachées. Dans l'âge d'or, que l'on nous vante tant, J'ai rapporté ailleurs le sonnet de Daphné; voic le Portrait de Clarice: J'espère que Vénus ne s'en fâchera pas; J'étais dans l'âge où règne la tendresse, Et mon cœur n'était point touché. Je disais quelquefois : Qu'on me trouve un visage Co qui serait encor bien nécessaire, On n'est pas obligé de garder de mesure Dans les souhaits qu'on peut former : Je ne sais cependant comment l'Amour a fait : peuvent dédommager d'un long verbiage ou d'un jargon précieux et maniéré? Voltaire a dit avec raison qu'il n'y avait point de peuple qui eût un aussi grand nombre de jolies chansons que le peuple français; et cela doit être, s'il est vrai qu'il n'y en a pas de plus gai. Cette gaieté a été surtout satirique ou galante. Quant à la satire, les couplets qu'elle a dictés sont partout: on les trouvera particulièrement dans un recueil en giné de rappeler et de caractériser les événements et les personnages du dernier siècle par les chansons dont ils ont été le sujet. Cette idée est prise dans le caractère français: on n'aurait pas imaginé chez les Romains, ni même chez les Athéniens, aussi légers que les Romains étaient sérieux, de trouver leur histoire dans leurs chansons. Celles d'Horace et d'Anacréon n'ont pour objet que leurs plaisirs et leurs amours; et les guerres civiles et les proscriptions n'ont point été chez les anciens des sujets de vaudeville. Salvien, il est vrai, a dit des Germains, qu'ils consolaient leurs infortunes par des chansons'; mais il ne fait entendre en aucune manière que ces chansons fussent des épigrammes; et la gravité, de tout temps naturelle aux Germains, ne permet pas de le supposer. Chez nous, la Ligue et la Fronde firent éclore des miliers de satires en chansons, et la plupart de celles qui nous restent de cette folle guerre de la Fronde sont pleines d'un sel qu'on appellerait le sel français, si nous étions des anciens; car notre vaudeville est vraiment national, et d'une tournure qu'on ne retrouverait pas ailleurs. Le refrain le plus com Ces trois pieces valent mieux que la plupart de celles de plusieurs poëtes qui ont conservé jusqu'à nos jours la réputation d'écrivains agréables, tels que la Fare, Charleval, Lainez, Ferrand, Pavillon, Régnier-Desmarests, et quelques autres, distingués comme eux en différents genres de poésie légère, et dont pourtant il ne reste dans la mémoire des connaisseurs qu'un très-petit nombre de morceaux choisis. Les madrigaux de la Sablière sont d'une galanterie aimable, et ont même quelquefois l'ex-quatre volumes, publié de nos jours, où l'on a imapression de la sensibilité. Mais Chaulieu a passé de bien loin tous ces écrivains : il est le seul qui ait conservé un rang dans un genre où tous ceux qui s'y étaient exercés comme lui sont depuis longtemps confondus pêle-mêle, et comme entièrement éclipsés par la prodigieuse supériorité de Voltaire, qui, de l'aveu même de l'envie, ne permet aucune comparaison. Chaulieu du moins, malgré la distance où il est resté, est encore et sera toujours lu. Ce n'est pas un écrivain du premier ordre, et ce même Voltaire l'a très-bien apprécié dans le Temple du Goût, en l'appelant le premier des poëtes négligés. Mais c'est un génie original, un de ces hommes favorisés de la nature, et qu'elle avait réunis en foule pour la gloire du siècle de Louis XIV. Il était né poëte, et sa poésie a un caractère marqué : c'était un mélange heureux d'une philosophie douce et paisible, et d'une imagination riante. Il écrit de verve, et tous ses écrits sont des épanchements de son âme. On y voit les négligences d'un esprit paresseux, mais en même temps le bon goût d'un esprit délicat, qui ne tombe jamais dans cette affectation, premier attribut des siècles de décadence. Il a de l'harmonie, et ses vers entrent doucement dans l'o-mun, le dicton le plus trivial a souvent fourni les reille et dans le cœur. Quel charme dans les stances sur la Solitude de Fontenay, sur la Retraite, sur sa Goutte! Son ode sur l'Inconstance est la chanson du plaisir et de la gaieté. Il a même des morceaux d'une poésie riche et brillante. Mais ce qui domine surtout dans ses écrits, c'est la morale épicurienne et le goût de la volupté. Les plaisirs dont il jouit ou qu'il regrette sont presque toujours le sujet de ses vers. Il a très-bonne grâce à nous en parler, parce qu'il les sent; mais malheur à qui n'en parle que pour paraître en avoir! Ses madrigaux sont pleins de grâce. Il tourne fort bien l'épigramme. Et, si l'on peut retrancher sans regret quelquesunes de ses poésies, qui n'aimerait mieux avoir fait une douzaine de ces pièces pleines de sentiment et de philosophie que des volumes entiers de ces poësies, aujourd'hui si communes, dont les auteurs semblent trop persuadés que quelques jolis vers traits les plus heureux. Ceux des chansons du temps de Louis XIV ont plus de finesse et de grâce que ceux de la Fronde, et le sel en est moins âcré. Mais quoi de plus gai, par exemple, que ce couplet contre Villeroi, sur le refrain si connu, Vendome, Vendôme? Villeroi, A fort bien servi le roi... Y a-t-il une rencontre plus heureuse, et une chute Palsambleu, la nouvelle est bonne, Cantilenis infortunia sua solantur. Ce tour d'esprit est toujours le même en France, et n'a rien perdu de nos jours : témoin ce couplet sur la déroute de Rosbach, si prompte et si imprévue; et c'est encore ici la parodie d'un refrain populaire trèsbien appliqué; c'est le général qui parle : Mardi, mercredi, jeudi, Sont trois jours de la semaine : Je m'assemblai le mardi; En un mot, on peut assurer qu'il n'y a pas eu en France un seul événement public, de quelque nature qu'il fût, qui n'ait été la matière d'un couplet; et le Français est le peuple chansonnier par excellence. Il n'y a dans toute son histoire qu'une seule époque où il n'ait pas chansonné, c'est celle de la terreur : mais aussi ce n'est pas une époque humaine, puisque ni les bourreaux ni les victimes n'ont été des hommes; et dès qu'on a cessé d'égorger, le Français a recommencé à chanter. Il est à remarquer que cette facilité à faire des chansons est une sorte d'esprit tellement générale, et pour ainsi dire endémique, que, dans cette multitude de jolis couplets de tout genre qui ont été retenus, le nom des auteurs a le plus souvent échappé à la mémoire. Tant de personnes en ont fait et peuvent en faire ! Boileau accordait ce talent même a Linière. D'ailleurs les chansonniers de profession n'ont pas été renommés. Les Haguenier, les Testu, les Vergier, et autres du même métier, ne sont pas ceux qui brillent dans nos recueils; et nos chansons les mieux faites sont de ces bonnes fortunes de société que tout homme d'esprit peut avoir; et beaucoup en ont eu de cette sorte. La chanson galante et amoureuse avait, dans le dernier siècle, plus de simplicité, de sentiment, et de grâce; elle a eu dans le nôtre plus d'esprit et de tournure. Je ne sais si l'on pourrait citer une chanson de ce siècle aussi tendre et aussi naïve que celle-ci : De inon berger volage} Autrefois l'infidèle Il y a dans cette chanson une scène, une conversation et un tableau; et comme tout est précis, quoique tout soit si loin de la sécheresse! Le troisième couplet surtout est charmant, et la chanson entière est un modèle en ce genre. Je citerai encore un couplet très-bien fait et beaucoup moins connu. L'idée en est très-ingénieuse, et la tournure intéressante. Il est de madame de Murat. Faut-il être tant volage? Tu nous fuis, las ! quel dommage! FIN DU PREMIER VOLUME. |