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<< dont il n'ait connaissance. » Car par ce mot, en lui, en tant qu'il est une chose qui pense, il n'entend autre chose que son esprit, en tant qu'il est distingué du corps. Mais qui ne voit qu'il peut y avoir plusieurs choses en l'esprit dont l'esprit même n'ait aucune connaissance? Par exemple, l'esprit d'un enfant qui est dans le ventre de sa mère a bien la vertu ou la faculté de penser, mais il n'en a pas connaissance. Je passe sous silence un grand nombre de semblables choses.

DES CHOSES QUI PEUVENT ARRÊTER LES THÉOLOGIENS.

Enfin, pour finir un discours qui n'est déjà que trop ennuyeux, je veux ici traiter les choses le plus brièvement qu'il me sera possible; et à ce sujet mon dessein est de marquer seulement les difficultés, sans m'arrêter à une dispute plus exacte.

Premièrement, je crains que quelques-uns ne s'offensent de cette libre façon de philosopher par laquelle toutes choses sont révoquées en doute. Et de vrai, notre auteur mème confesse, dans sa Méthode, que cette voie est dangereuse pour les faibles esprits; j'avoue néanmoins qu'il tempère un peu le sujet de cette crainte dans l'abrégé de sa première Méditation.

Toutefois, je ne sais s'il ne serait point à propos de la munir de quelque préface, dans laquelle le lecteur fùt averti que ce n'est pas sérieusement et tout de bon que l'on doute de ces choses, mais afin qu'ayant pour quelque temps mis à part toutes celles qui peuvent laisser le moindre doute, ou, comme parle notre auteur en un autre endroit, qui peuvent donner à notre esprit une occasion de douter la plus hyperbolique, nous voyions si après cela il n'y aura pas moyen de trouver quelque vérité, qui soit si ferme et si assurée, que les plus opiniâtres n'en puissent aucunement douter. Et aussi, au lieu de ces paroles, ne connaissant pas l'auteur de mon origine, je penserais qu'il vaudrait mieux mettre : feignant de ne pas connaître.

Dans la quatrième Méditation, qui traite du vrai et du faux, je voudrais, pour plusieurs raisons, qu'il serait long de rapporter ici, que M. Descartes, dans son abrégé ou dans le tissu même de cette Méditation, avertît le lecteur de deux choses :

La première, que, lorsqu'il explique la cause de l'erreur, il entend principalement parler de celle qui se commet dans le discernement du vrai et du faux, et non pas de celle qui arrive dans la poursuite du bien et du mal. Car, puisque cela suffit pour le dessein et le but de notre auteur, et que les choses qu'il dit ici touchant la cause de l'erreur souffriraient de très-grandes objections si on les étendait aussi à ce qui regarde la poursuite du bien et du mal, il me semble qu'il est de la prudence, et que l'ordre même, dont notre auteur paraît si jaloux, requiert que toutes les choses qui ne servent point au sujet et qui peuvent donner lieu à plusieurs disputes soient retranchées, de peur que, tandis que le lecteur s'amuse inutilement à disputer des choses qui sont superflues, il ne soit diverti de la connaissance des nécessaires.

La seconde chose dont je voudrais que notre auteur donnât quelque avertissement est que, lorsqu'il dit que nous ne devons donner notre créance qu'aux choses que nous concevons clairement et distinctement, cela s'entend seulement des choses qui concernent les sciences et qui tombent sous notre intelligence, et non pas de celles qui regardent la foi et les actions de notre vie; ce qui a fait qu'il a toujours condamné l'arrogance et présomption de ceux qui opinent, c'est-à-dire de ceux qui présument savoir ce qu'ils ne savent pas; mais qu'il n'a jamais blàmé la juste persuasion de ceux qui croient avec prudence. Car, comme remarque fort judicieusement saint Augustin, au chapitre 45, de l'Utilité de la croyance, «< il y a trois choses en l'esprit de l'homme qui ont << entre elles un très-grand rapport et semblent quasi n'être << qu'une même chose, mais qu'il faut néanmoins très-soigneu<< sement distinguer, savoir est: entendre, croire et opiner.

« Celui-là entend qui comprend quelque chose par des rai« sons certaines. Celui-là croit, lequel, emporté par le poids « et le crédit de quelque grave et puissante autorité, tient « pour vrai cela même qu'il ne comprend pas par des raisons <«< certaines. Celui-là opine qui se persuade ou plutôt qui pré« sume de savoir ce qu'il ne sait pas.

« Or, c'est une chose honteuse et fort indigne d'un homme « que d'opiner, pour deux raisons: la première, pour ce que «< celui-là n'est plus en état d'apprendre qui s'est déjà per<«< suadé de savoir ce qu'il ignore; et la seconde, pour ce que << la présomption est de soi la marque d'un esprit mal fait et << d'un homme de peu de sens.

<«< Donc ce que nous entendons, nous le devons à la raison; «< ce que nous croyons, à l'autorité; ce que nous opinons, à « l'erreur. Je dis cela afin que nous sachions qu'ajoutant foi <«< même aux choses que nous ne comprenons pas encore, <«< nous sommes exempts de la présomption de ceux qui opi«< nent. Car, ceux qui disent qu'il ne faut rien croire que ce <«< que nous savons, tâchent seulement de ne point tomber << dans la faute de ceux qui opinent, laquelle en effet est de << soi honteuse et blàmable. Mais si quelqu'un considère avec << soin la grande différence qu'il y a entre celui qui présume <«< savoir ce qu'il ne sait pas et celui qui croit ce qu'il sait << bien qu'il n'entend pas, y étant toutefois porté par quelque «< puissante autorité, il verra que celui-ci évite sagement le «< péril de l'erreur, le blâme de peu de confiance et d'huma«< nité, et le péché de superbe. »

Et un peu après, chapitre 12, il ajoute :

« On peut apporter plusieurs raisons qui feront voir qu'il <«< ne reste plus rien d'assuré parmi la société des hommes si << nous sommes résolus de ne rien croire que ce que nous pour<«<rons connaître certainement. »> (Jusques ici saint Augustin.)

M. Descartes peut maintenant juger combien il est nécessaire de distinguer ces choses, de peur que plusieurs de ceux

qui penchent aujourd'hui vers l'impiété ne puissent se servir de ses paroles pour combattre la foi et la vérité de notre créance.

Mais ce dont je prévois que les théologiens s'offenseront le plus est que, selon ses principes, il ne semble pas que les choses que l'Église nous enseigne touchant le sacré mystère de l'Eucharistie puissent subsister et demeurer en leur entier; car nous tenons pour article de foi que la substance du pain étant ôtée du pain eucharistique, les seuls accidents y demeurent. Or, ces accidents sont l'étendue, la figure, la couleur, l'odeur, la saveur et les autres qualités sensibles.

De qualités sensibles, notre auteur n'en reconnaît point; mais seulement certains différents mouvements des petits corps qui sont autour de nous, par le moyen desquels nous sentons ces différentes impressions, lesquelles puis après nous appelons du nom de couleur, de saveur, d'odeur, etc. Ainsi il reste seulement la figure, l'étendue et la mobilité. Mais notre auteur nie que ces facultés puissent être entendues sans quelque substance en laquelle elles résident, et partant aussi qu'elles puissent exister sans elle; ce que même il répète dans ses Réponses aux premières Objections.

Il ne reconnaît point aussi, entre ces modes ou affections et la substance, d'autre distinction que la formelle, laquelle ne suffit pas, ce semble, pour que les choses qui sont ainsi distinguées puissent être séparées l'une de l'autre, même par la toute-puissance de Dieu.

Je ne doute point que M. Descartes, dont la piété nous est très-connue, n'examine et ne pèse diligemment ces choses, et qu'il ne juge bien qu'il lui faut soigneusement prendre garde qu'en tâchant de soutenir la cause de Dieu contre l'impiété des libertins, il ne semble pas leur avoir mis des armes en main pour combattre une foi que l'autorité du Dieu qu'il défend a fondée, et au moyen de laquelle il espère parvenir à cette vie immortelle qu'il a entrepris de persuader aux hommes.

DES VRAIES

ET DES

FAUSSES IDÉES

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